Enfants trouvés et abandonnés (1ère partie)

jeudi 13 avril 2017
par  Francis RENOUT
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Situations des enfants trouvés ou enfants abandonnés au cours des siècles

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Je fus surpris, lors de recherches généalogiques, de retrouver autant de décès de nourrissons sur sur un si petit village de Seine Maritime, Nesle Normandeuse, situé entre la Bresle et la haute forêt d’Eu. Ce village était composé de 48 feux environ vers 1780. C’est en ce lieu, que fut construit en 1750, le château de Romesnil par Louis de Bourbon, prince de Dombes, comte d’Eu ainsi qu’une verrerie en 1776.

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Sur les actes d’inhumations se trouvaient diverses informations. On y mentionnait :

1) Le lieu d’origine d’où provenaient ces nourrissons : « l’hôpital des enfants trouvés de Paris ». Je fus étonné car Paris était à 40 lieux de Nesle Normandeuse. Cela faisait beaucoup de km à parcourir pour ces jeunes enfants dans des conditions de voyage catastrophiques à cette époque. Et pourquoi les envoyer si loin ?

2) Le nom des familles qui les avaient recueillis moyennant finances. Ce travail permettait aux familles pauvres de gagner un peu plus d’argent pour faire vivre leur famille.

3) Parfois le nom du meneur. Qui est cette personne et quel est son rôle ? Le meneur était autrefois un métier qui consistait à aller chercher des enfants trouvés pour les placer dans des familles. Certains nourrissons décédaient soit en cours de route, soit à son domicile, avant de n’avoir pu être recueilli par une famille.

4) Concernant l’intéressé, soit on parlait d’un garçon ou d’une fille sans plus de précisions, soit on mentionnait plusieurs prénoms, quelquefois très rarement un nom ou l’âge.

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Concernant ce sujet très complexe, celui-ci sera décomposé en 4 articles distincts :

1) L’hôpital des enfants trouvés de Paris

2) Les meneurs d’enfants trouvés

3) Les nourrices au XVIII ème siècle

4) Une étude sur les familles nourricières de Nesle-Normandeuse entre 1775 et 1783 suivant mes relevés d’actes.

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1) L’hôpital des enfants trouvés de Paris

Suite à cette mention retrouvée sur les actes d’inhumations du village de Nesle Normandeuse, j’ai voulu savoir pourquoi ces nourrissons venaient de Paris en ce lieu très éloigné de la capitale.

En milieu rural, le seigneur - détenteur de la haute justice - doit donc s’occuper des enfants abandonnés.

En ville, des institutions hospitalières et charitables en ont la charge ; il en résulte une grande diversité d’un lieu à l’autre.

L’esprit post-tridentin et la volonté de développer des mesures de charité aboutissent à l’Oeuvre des enfants trouvés en 1638 à Paris, créée par Saint Vincent de Paul et reconnue en 1670 comme un des hôpitaux de Paris. En 1670 cette institution changement complètement de statut, PNG - 91.2 ko elle est transférée sous la responsabilité de l’Hôpital général de Paris sous la direction du Parlement de Paris.
L’abandon concerne surtout en priorité des enfants illégitimes : en ville, enfants de servantes, conséquence des rapports avec les domestiques, ou des ouvrières. Pour les mères ayant des enfants illégitimes, peu de veuves, très peu de filles mineures, beaucoup de femmes célibataires âgées de 20 à 30 ans. La confrontation des déclarations de grossesse avec les registres des hôpitaux des enfants trouvés est indispensable.
Pour les enfants légitimes, on note le grand nombre des mères, très pauvres,PNG - 108.3 ko surtout des veuves ou délaissées par leurs conjoints ; la désorganisation de la famille, la destruction du couple constituent des facteurs favorables ainsi que la surcharge d’enfants au delà d’un seuil subjectif de ce qui est tolérable. A ajouter, le rejet de l’enfant infirme ou malade.

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Pour donner un ordre d’idées, à la fin du XVII° siècle, dans les zones rurales, 1 à 2% des naissances étaient illégitimes, alors qu’à Paris et dans les grands centres on pouvait en dénombrer 17 à 20%.

Dans un premier temps, l’enfant trouvé est soigné et nourri à l’hôpital. A la fin de l’Ancien régime, des nourrices sont attachées sur place à l’établissement, ou bien on recourt au lait animal.

En général le jeune enfant est placé auprès de "nourrices mercenaires". Autour des villes, une première zone délimite les lieux d’habitation des nourrices auxquelles recourent les habitants les plus fortunés ; puis, à moyenne distance, la petite bourgeoisie.

Enfin, plus loin, sont placés les enfants trouvés. La mortalité y est effrayante beaucoup meurent avant d’avoir atteint le lieu d’accueil : les autres vivent difficilement jusqu’à l’âge du sevrage. La principale cause de l’effrayante mortalité, c’est le défaut ou le manque de bonnes nourrices". Les nourrices se chargent de nourrissons pour surtout accumuler les pensions.

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A la fin du XVII ème siècle, il n’y a plus aucun village nourricier à moins de 50 km de la capitale. En 1751, il est courant d’envoyer des enfants à plus de 100km. C’est pourquoi à cette époque on commença à les envoyer en Normandie et en Picardie.

Ce sont le plus souvent des bébés de deux à quatre jours qui partent pour ce long voyage emmenés par le « meneur » accompagné normalement par des nourrices. Ces enfants, lorsqu’ils survivaient, étaient rendus à l’hôpital des enfants trouvés quand ils étaient sevrés 3 à 5 ans selon les époques

Les règlements de l’hôpital de Paris prévoyaient d’allouer aux meneurs une certaine somme suivant ses services. De 1783 à 1788, près de dix mille enfants de cet hôpital ont gagné la province dans des conditions désastreuses.

Les Archives de Paris conservent dans le fonds des enfants assistés les documents depuis 1639 jusqu’en 1918. Sur le répertoire des Enfants Trouvés aux Hospices de Paris, figure alors la mention "emmené à la campagne".

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2) Les meneurs d’enfants trouvés

A Nesle Normandeuse, Joseph Olivier est mentionné Meneur en 1775. Quel est donc ce métier très particulier ?

Si par bonheur l’enfant passe le cap de l’abandon et du séjour à l’hôpital, il est mis en nourrice généralement à la campagne. Pour recruter les nourrices, les hôpitaux ont recours à l’intermédiaire des "meneurs". Ce système restera en vigueur jusqu’en 1821. On ne peut s’improviser meneur, des règlements assez stricts veillent à la moralité et à PNG - 655.2 ko l’honorabilité des personnes qui postulent. Les meneurs doivent verser une caution généralement du quart de la somme qu’ils ont à convoyer jusqu’aux nourrices. Ils doivent déclarer leurs biens et hypothèques éventuels devant notaire. Le curé de leur paroisse doit leur fournir un certificat de bonne conduite qui est légalisé par un juge royal.
"Pendant les longues routes qu’on leur fait faire dans des paniers d’osier ou dans des voitures ouvertes à toutes les injures de l’air, ils n’ont point de nourrice qui les allaitent et ce n’est souvent qu’avec du vin qu’on les nourrit"

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Le meneur allait en principe à Paris une fois par mois mais il était dans son intérêt de faire plusieurs voyages. Le voyage se faisait dans d’ignobles charrettes à ciel ouvert et sans ressort, dans lesquelles les enfants étaient entassés pèle-mêle. Un grand nombre de nourrissons décèdent pendant le transport, long et inconfortable, dans les auberges à l’aller, dans la neige,sous les roues de la charrette du meneur dont ils sont tombés ou dans les mois qui suivent. Celui-ci pouvait aussi faire le voyage à pieds à raison de 40 à 50 km par jour , transportant les bébés dans une hotte.

Il faudra attendre 1773 pour que la police ordonne aux meneurs et autres transporteurs d’enfants de se servir de voitures dont le fond soit en planches suffisamment garnies de paille neuve, de couvrir leurs voitures avec une bonne toile, et d’exiger que les nourrices soient avec eux dans la voiture pour veiller à ce qu’aucun ne tombe.PNG - 472.6 ko
A l’hospice, on établissait une "Bulle" qui contenait le nom du meneur, le sexe de l’enfant, la date du jour de sa remise à la nourrice, le nom et le prénom attribué à l’enfant... et une formule de certificat de décès. Cette bulle constituait le dossier de l’enfant lors de son envoi à la campagne.
Si l’enfant venait à mourir, la nourrice devait rendre la Bulle, le collier ou le bracelet contenant le n° d’enregistrement, ainsi que la layette qui lui avait été fournie avec l’enfant.

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C’est le meneur qui achemine la rétribution des nourrices. Celles-ci doivent être payées "en argent et non en blé, orge ou autres denrées" comme quelques meneurs peu scrupuleux ont dû le faire. Le métier est fort lucratif : le règlement de 1723 de l’HET de Paris prévoit que le meneur perçoit le vingtième de l’argent porté aux nourrices. Quand il conduit les enfants à la campagne le meneur touche le quart du premier mois de nourrice. Lorsqu’il apportait les "vêtures" après le décès d’un enfant : cinq sous. Lorsqu’il ramenait l’enfant après le sevrage : trois livres. Et d’autres gratifications exceptionnelles. Les sommes qu’il remet doivent figurer sur le bordereau, signé de la nourrice, qu’il remet à la Maison de la Couche. L’argent qu’il n’a pas rétribué doit être retourné à l’HET. En cas de mort de l’enfant, le meneur doit rapporter le certificat de décès signé par le curé, et à partir de 1765 les linges. Tous les six mois, il doit visiter les pensionnaires qu’il a déposé dans son secteur.

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Souvent les nourrices recrutées par les meneurs ne se présentent pas en nombre suffisant à l’HET, ce qui provoque une surmortalité comme en 1772, à Paris, où 2650 enfants sur 7676 périrent de ce fait. Il faut alors convoyer les bébés chez les mères nourricières qui n’ont pas pu se déplacer, pour cause de travaux agricoles ou de difficulté des transports en hiver. C’est le travail des femmes que l’on appelle commissionnaires. Généralement elles se chargent de deux enfants de sexes différents pour éviter les substitutions volontaires ou non. Cette pratique est très rémunératrice pour... le meneur car c’est lui qui commandite ces femmes et les salarie. De 1783 à 1788, pour l’HET de Paris, près de 10000 enfants ont ainsi gagné la province contre 9100 par des nourrices patentées.

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Certains meneurs abusent de la situation. Ainsi en 1757, dans les environs d’Evreux (Normandie), le meneur habitant Orgeville, paie à retardement les nourrices de son secteur et utilise les sommes retenues pour ses propres affaires. Il fait de même avec les vêtements des enfants. Il sera révoqué et remplacé par un meneur habitant Vernon.

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Un projet de placement des enfants abandonnés de Paris à la campagne, dans les années 1760-1770 :

ttp ://www.academia.edu/7314078/_Un_projet_de_placement_des_enfants_abandonn%C3%A9s_de_Paris_%C3%A0_la_campagne_dans_les_ann%C3%A9es_1760-1770_

F,Renout
Sources diverses, recherches personnelles


Documents joints

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