L’auberge à l’enseigne surprenante : « au nom de Jésus »
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A Saint Romain de Colbosc, l’hôtel « Au nom de Jésus » est le plus ancien à être encore en activité. Depuis plus de 250 ans, cette auberge devenue un hôtel de 14 chambres de nos jours, continue d’accueillir les voyageurs dans le centre de la ville ; du moins jusqu’à récemment.
Saint Romain de Colbosc se trouve à un carrefour de voies très fréquentées, l’une est-ouest de Rouen vers le Havre, l’autre nord-sud d’Etretat ou Montivilliers vers les ports de la Seine. Situé dans l’actuelle rue du docteur Hachard, entre la place de l’église et la place de la mairie, cet hôtel se trouve dans un endroit stratégique au centre du bourg de quoi s’assurer une clientèle d’habitués mais aussi de passage. Il était facile aux voyageurs arrivant en diligences, de trouver un logis. A cette époque, c’était un relais de poste avec tables d’hôtes, chambres pour les voyageurs, remises pour les voitures et écuries pour les chevaux. Aux XIX et au début du XX ème siècle, c’est juste devant cet hôtel que se trouvait le terminus du tramway de Saint Romain à Etainhus.
Le 9 décembre 1870, pendant le terrible hiver, 160 dragons prussiens suivis dans la nuit par un corps de 1500 hommes d’infanterie arrivent à Saint Romain de Colbosc. Ils réquisitionnent la nourriture et des logements pour les hommes et les chevaux. Victor Fidelin, aubergiste et propriétaire de l’hôtel « Au nom de Jésus » dut servir 70 rations et 43 bouteilles.
Un nom curieux me diriez vous pour une auberge ; sauf si on en connaît l’origine ? Cette vieille bâtisse, toute en longueur, est une institution dans le bourg. Beaucoup de zones d’ombre émaillent son histoire ; à commencer par l’époque à laquelle celle-ci voit le jour. En quelle année fût elle bâtie et par qui ? Le premier propriétaire connu vers la fin du XVIII ème siècle en tant qu’aubergiste, se nomme Nicolas Lalouette.
Son nom provient d’une confrérie franciscaine du saint nom de Jésus, établie dans certaines régions en France et en Belgique depuis le XVI ème siècle, cultivant le partage et la charité. Ce lieu abrita donc des religieux appartenant à cette confrérie. La tradition raconte, que pour pouvoir y entrer et y séjourner, le voyageur ou le pèlerin, devait fournir un mot de passe qui n’était autre que « le nom de Jésus ».
Saint Romain de Colbosc : l’histoire d’un village :
http://saint-romain-de-colbosc.blogspot.com/2015/08/lhotel-du-nom-de-jesus.html
Histoire et biographie de Nicolas Lalouette :
Au XVII ème siècle, la famille Lalouette est originaire du village des Trois Pierres, dans le Pays de Caux. Plusieurs mystères entourent l’histoire de ce village dont le nom et les deux fiefs. Nicolas Lalouette y naît le 4 février 1708, dans une famille de marchands. De son mariage en 1732 avec Marie Suzanne Bobée, va naître trois enfants à Saint Gilles de la Neuville.
Nicolas Lalouette, fils aîné du couple, né le 5 juin 1737, deviendra marchand comme son père. Domicilié à Gommerville, il se marie le 18 novembre 1766, à Saint Romain de Colbosc, avec Marie Anne Bertin. Après son mariage, il s’installe donc dans ce bourg rural. Quatre enfants vont naître au cours des sept années qui suivirent:deux garçons et deux filles.
En février 1769, Nicolas est mentionné comme aubergiste sur un acte de baptême. Je pense donc qu’à cette date, il est déjà propriétaire avec son épouse de l’auberge « au nom de Jésus » et non en 1771 comme il est dit couramment. Seul, un aveu pourrait nous confirmer la date d’acquisition de cette bâtisse. Coïncidence, en 1771, le 4 septembre, son père décède à Gommerville.
Nicolas gère l’auberge de 1769 à 1793 ; soit pendant près de 25 ans. Agé de 55 ans, aubergiste cabaretier, il décède le 9 février 1793, dans son auberge, à Saint Romain de Colbosc. De 1793 à 1795, son épouse continuera de gérer l’auberge en compagnie de ses deux fils Nicolas Pierre et Louis Pierre. Prendront-ils la suite de leur mère ? On sait qu’à partir de 1806, l’auberge deviendra la propriété de Pierre Aimable Martin.
Nicolas Pierre Lalouette, fils de Nicolas et de Marie Anne Bertin, né le 6 février 1768, à Saint Romain de Colbosc, est mentionné comme aubergiste au moment de son mariage, le 22 janvier 1795, avec Thérèse Marie Dyel de Graville. Au cours des cinq années suivantes, il est marchand pâtissier, épicier et traiteur.
La cérémonie de mariage eut lieu à Saint Romain de Colbosc ou plutôt à Châlier des Chaussées. En effet, de 1793 à 1795, la commune prit le nom de Châlier des chaussées car le nom de Saint Romain de Colbosc était devenu suspect comme vestige de la religion.
Son épouse, Thérèse Marie Dyel, est la fille de Louis Dyel, écuyer seigneur de Graville, originaire d’une famille noble de Cailleville, et de Madeleine Marie Marais. Celui-ci fut employé des fermes du Roi . La révolution passa par là,. Une loi du 27 mars 1791 supprime la ferme et les fermiers généraux. Il dut changer de métier et se retrouva marchand de vin. On peut supposer que Louis Dyel était le fournisseur en vin de l’auberge de la famille Lalouette, et que c’est ainsi que se connurent les deux jeunes mariés ; bien que ceux-ci habitaient le même bourg.
Ce qui est sur, c’est que le second fils, Louis Pierre, frère de Nicolas Pierre, est aubergiste en janvier 1799, lors de son mariage avec Marie Louise Foucos. C’est certainement lui, peut-être accompagné de sa mère et de son frère, qui continuera de gérer l’auberge « Au nom de Jésus » jusqu’en 1806.
Suivant l’ouvrage de Michel Auvray, plus de 20 propriétaires se succéderont pendant ces deux cent cinquante années d’activité de l’hôtel. Bien souvent les femmes continueront de gérer l’auberge après la mort de leurs époux ou alors ce seront les enfants qui assureront la pérennité de cette activité, après le décès de leurs parents.
Autres relais de postes, auberges aux noms surprenants :
Partons à la découverte de quelques auberges aux noms tout aussi surprenant que celui de l’auberge « Au nom de Jésus ».
L’auberge de « La botte » :
Elles sont souvent situées sur de grands axes comme l’auberge de « la botte » à Epretot. D’où lui vient ce nom ?d’une route, d’un aspect du terrain ?Vieille de plusieurs siècles, elle est implantée le long de l’ancienne voie romaine, unique axe de communication qui reliait alors le Havre de grâce, Chef de Caux, Leure et Harfleur à Lillebonne, Rouen et Paris, au temps où seules les diligences et les chevaux étaient le seul moyen pour se déplacer.
L’auberge de « la botte » faisait office de relais de poste. Les voyageurs pouvaient s’y reposer et s’y restaurer. On dit que François I s’y serait arrêté, en route pour inaugurer la nouvelle ville du Havre de Grâce, en 1517. On note aussi le passage de Louis XIV, Louis XV, Mlle De Scudéry en 1644 ainsi que Napoléon. Le bâtiment actuel date du XVII ème siècle. Il fut construit à l’emplacement de l’auberge. En 1930, il ne restait d’origine que la petite écurie, le cellier, deux plaques de cheminée avec personnages et décors d’époque et une enseigne en fer ornée d’une botte, crochée en façade. L’auberge de « la botte » comme toute auberge de l’époque, se devait de posséder des écuries pour le repos des montures. Tout près se trouvait un forgeron pour ferrer les chevaux et réparer les roues des carrosses endommagées sur des chemins mal entretenus.
Un inventaire du 7 avril 1760, nous apprend ceci : « Nous Jean Baptiste Adrien Durécu, nottaire du Roy...soussignés sommes transportés en la (ite) paroisse de Saint Aubin des cercueils, en la maison et auberge où pend pour enseigne la botte, où était demeurant le sieur Charles Lemercier, marchand aubergiste au dit lieu... ». Celui-ci est décédé dans son auberge, le 5 avril 1760, âgé seulement de 36 ans.
L’écrivain Jean François Regnard qui vécut au XVII ème siècle décrit de manière imagée son passage à l’auberge : « Passants fuyez de la botte le séjour trop ennuyeux ; il est vrai que dans ces lieux, la maîtresse n’est pas sotte mais sans pain, sans vin, ni feu, dans un pays plein de crotte, l’amour n’est pas trop beau jeu. »
L’auberge de « la queue au chien » :
Depuis Montivilliers, on aborde Epouville par le hameau de la queue du chien. Un curieux nom qui qualifia aussi une fameuse auberge ! Pour en connaître l’histoire, il faut remonter à sa création en 1702. Faisons connaissance avec les deux protagonistes d’une fort ancienne légende :
L’aubergiste et son voisin propriétaire d’un chien, dont la queue magnifique faisait la fierté, étaient incapables de vivre en bonne intelligence et se chamaillaient sans cesse. L’une des disputes fut si forte que l’aubergiste n’eût qu’une idée en tête:se venger ; ce qu’il fit en coupant la superbe queue du pauvre chien de son belliqueux voisin. On dit qu’il accrocha son sanglant trophée à la porte de son auberge, dont le nom rappelle ce triste épisode.
Relais de poste et auberges sous l’ancien régime :
Cette histoire est le fruit de recherches entre Françoise Lefort et moi-même, tous deux passionnés d’histoires locales, de patrimoine et de généalogie.
Francis Renout
(Administrateurcgpcsm)
fc.renout@free.fr
Sources :
Françoise Lefort ( recherches historiques concernant l’hôtel au nom de Jésus)
Archives départementales de Seine Maritime
Les fermes de Saint Romain (ferme prosper Debray)
Michel Auvray (histoire de Saint Romain de Colbosc)