Le Mesnil Durdent à travers les siècles (1)
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Première partie : Sur les traces du passé
Rendons hommage à la plus petite commune de Normandie comprenant dix huit habitants en 2018 : le Mesnil Durdent. Ce n’est pas par hasard que j’ai choisi ce lieu car c’est aussi celui des ancêtres paternels de mon épouse. C’est donc un endroit que j’affectionne particulièrement. Ce qui nous lie à la terre de nos origines constitue un mystère en soi. Ainsi la mémoire d’un lieu, c’est bien plus qu’un témoignage des faits de son histoire, c’est aussi un hommage à ses habitants. C’est donc avec nostalgie, que j’ai abordé différents pans d’histoire de ce petit village du Pays de Caux.
Description du village :
Quand on arrive de Pleine-Sève, sur la route qui mène au local du cercle généalogique du pays de Caux, à Fontaine le Dun, on voit apparaître sur la gauche un grand bosquet d’arbres de haute futaie, composé d’hêtres et de chênes, qui protègent les habitations des vents dominants, soufflant souvent en rafales. Dès l’entrée du village, après avoir passé le bois, on se trouve dans un paysage champêtre typique du Pays de Caux, composé de haies et de talus où poussent différentes plantes sauvages. Ce sont les clos-masures, terme récent, traditionnellement nommés masures, terme que je préfère. Dès le XVII ème siècle, on constate la présence sur les plans terriers, de bâtiments (étables, granges, charreteries) dispersés dans la cour des fermes plantée d’arbres fruitiers. On y trouve encore quelques chaumières ou longères, habitat traditionnel, construites avec les matériaux de la région (pierres de carrière, terre argileuse, limon, paille, bois de chênes ou châtaigniers, joncs et roseaux). Ces demeures ajoutent beaucoup de cachet à ce lieu. Une rue principale, ombragée par de grands arbres centenaires, fait le tour du village où se trouve trois lieux dits : le buisson, le suret et le trou-pierrot.
Jusqu’en 1964, le seul commerce qui existait dans ce village, était le café épicerie de Jeanne Marie Léonie Famery, épouse d’Ambroise Léon Alexandre Videcoq. Ce lieu convivial servait de rencontres entre les habitants. Une des dix pièces de l’habitation servait de Mairie.
En sillonnant le village, sur le terrain de la mairie actuelle, on peut visiter un jardin conservatoire de la flore sauvage locale : le jardin des amouhoques (L’amouhoque est le nom cauchois de la camomille sauvage). Au cœur d’un corridor d’arbres, sur les talus, des étiquettes permettent de connaître le nom des diverses plantes.
Aujourd’hui il n’y a plus ni seigneur, ni curé, mais une petite église en grès encore bariolée des armes de ses patrons et de ses bienfaiteurs qui ont disparu. Cette église, reconstruite au XVI ème siècle, dont la chapelle date de 1528, est dédiée à Saint Aubin. Cette chapelle dut être bâtie et ornée par les seigneurs du lieu. Les murs sont en grès du pays, plus petits sur la partie nord, qui est la partie la plus ancienne. Le reste de l’édifice, bâti avec des blocs de grès plus gros et plus soigneusement découpés, a subi des réfections, comme en témoignent les dates portées par certains d’entre-eux : 1715 sur la façade ; 1731 sur le mur sud, avec indication en latin de la réfection et du nom du prêtre en fonction dans la commune.
Dès l’entrée, on peut voir la corde servant à actionner la petite cloche dite « tinterelle » nommée « Louise ». Celle-ci, d’un poids de 400 Kg a été fondue en 1706. Jusqu’à une époque récente, un habitant du village, Mr Carpentier, successeur de Mr Dulong, faisait sonner l’angélus à midi, tradition qu’il exerce depuis 1961.
Sur le mur de la nef se trouve le blason de la famille Langlois De Breteuil, famille alliée aux Le Picard, derniers seigneurs du lieu. A l’intérieur, quelques seigneurs locaux et leurs enfants y furent inhumés. A l’entrée du cœur, sur une pierre tombale effacée par le temps, on déchiffre à peine la date de 1528. Sur une autre dalle on y trouve la date de 1364.
La révolution est passée par là et a cassé la croix du cimetière datant de 1556. L’entretien de l’église a toujours posé énormément de problèmes comme en témoigne un document de 1746 relatant l’obligation d’abattre des arbres au sein du cimetière afin de poser des chevrons à la chapelle de l’église et autres pièces principales, la toiture s’étant effondrée d’elle-même.
Vers 1800, il existait huit mares dans ce village. L’une d’entre-elles se nommait Saint Onuphre. Peut-être celle qui se trouvait en face de l’église (derrière le parking actuel). Les habitants venait s’y baigner. En 1852, celle-ci n’existait plus depuis quelques années déjà. On allumait un feu de carrefour en l’honneur de ce saint. Autrefois, le 24 juin, un pèlerinage avait lieu chaque année, en l’honneur de Saint Onuphre qui attirait entre 1500 et 2000 personnes. Il y avait aussi un pèlerinage à Sainte Clotilde, peu fréquenté.
Au Mesnil Durdent, Saint Onuphre, patron des tisserands, était fêté le 19 juin ; mais le pèlerinage avait lieu le 24 qui était un jour férié pour les ouvriers agricoles. Ce saint anachorète égyptien du V ème siècle, représenté avec une barbe et des cheveux tombant jusqu’à terre, avait le pouvoir de guérir des douleurs rhumatismales. Une messe y était dite à l’église par le curé. La procession avait lieu autour de l’église. Les fidèles venaient des villages environnants et parfois de plus loin. Les voitures à cheval étaient rangées le long de la route et dans la cour de la ferme proche de l’église (actuellement la ferme de Mr Carpentier). Des marchands s’installaient à la sortie du cimetière, pour y vendre des galettes et des fruits et légumes de saisons. L’après midi et le dimanche suivant avait lieu la fête du village. Des jeux y étaient organisés : couse à la valise, course en sac etc. Des forains s’installaient dans la cour du café : balançoires, marchands de pain d’épices etc.
Concernant ces seigneurs locaux, on note aussi deux mariages dans l’église de ce village. En premier, celui de David Joseph Raulin De Gueutteville De Réalcamp avec Marie Magdeleine De Bourdainville, le samedi 16 février 1697. Le second, celui de François Le Picard avec Charlotte Marie Françoise Raulin De Gueutteville De Réalcamp, le jeudi 21 septembre 1719. Ils se marièrent certainement sous la canicule, car celle-ci dura de juillet à septembre. A cette époque, il y avait un cadran solaire en pierre, datant de 1731, sur les murs de l’église, comme à Houdetot, Fontaine le Dun, etc. Ils ont précédé les horloges qui pénétrèrent dans nos campagnes sous le règne de Louis XIV. On lit auprès de ce cadran cette inscription latine : « sumptibus michaelis antonii vavltier, hujus ecclesioe rectoris, extructum anno 1731 » .
Dans le cimetière verdoyant entourant l’église, protégé d’une haie, fleurit chaque année un superbe rhododendron, qui abrite le tombeau d’un nouveau né. Celui-ci, plus que centenaire, fut certainement planté lors de l’inhumation de Théodore Désiré Marie Joseph Anquetil, âgé de six mois, le 17 septembre 1884 ; hommage rendu par ses parents Marie Antoine Anquetil, cultivateur et maire du lieu, et Augustine Marie Gardet.
Concernant le faible nombre d’habitants actuels du Mesnil Durdent, il en fut autrement au cours des siècles. On note sur le rôle d’assiette de la taille du village, entre 1697 et 1789, qu’il y avait 24 feux en 1697 et 1712 ; c’est à dire à peu près 120 habitants. C’est en 1891, qu’on atteint le nombre maximum d’ habitants, c’est à dire 175. Cinq ans plus tard, en 1896, on en dénombrait plus que 107. Ce nombre continuera de décroître jusqu’à notre époque.
Quelques anecdotes puisées dans le passé :
Pierre Lansille, né hors mariage de Marguerite Dumontier de la paroisse de Brametot, déclare donner le nouveau né à Pierre Lansille, domestique de Mr de Gueutteville père, qui s’avère être d’après mes recherches, Gédéon Raulin, seigneur du lieu.
Françoise Surval, âgée de 75 ans, épouse de Louis le Mognan, décède le 20 avril 1760, dans cette paroisse, et est inhumée en présence de son époux, lequel n’a pas pu signer, étant dans un état mortel. Quelques jours plus tard, Louis le Mognan décède à son tour, le 26 avril, âgé de 70 ans.
Anne Leborgne, âgée de 55 ans, veuve Bocquet, décédée en la paroisse de Cailleville, ayant été trouvée moribonde dans l’étendue de cette paroisse et transportée dans une étable de Mr De Gueutteville, où elle est décédée, a été inhumée au Mesnil Durdent, le 27 juillet 1728.
Anne Guéroult, âgée de 26 ans, épouse d’Adrien Roussel, sous brigadier des fermes du roi, domiciliée à la paroisse Notre Dame de Lillebonne, se rendit en celle du Mesnil Dudent pour y accoucher chez sa belle mère Marie Anne Maillard, veuve de Christophe Roussel, depuis le 21 novembre 1730. Onze lieues séparent les deux paroisses. Le voyage ne fut donc pas évident à cette époque. C’est donc le 14 décembre 1736, que naquît une fille Marie Anne Angélique.
Sur les registres des délibérations des procès criminels du bailliage de Cany, en mars 1750, est mentionné la plainte de noble et discrette personne, Maître Isaac François René Lemaréchal, escuyer et prêtre curé du Mesnil Durdent, contre la demoiselle Marie Madeleine Vauttier et Marie Anne Picquet, sa servante, demeurant en la dite paroisse, pour insultes, voyes de fait, libelles diffamatoires et lettres écrites à différentes personnes contre l’honneur et la réputation du dit seigneur Lemaréchal.
La demoiselle Vauttier et se servante étaient accusées d’avoir insulté plusieurs fois dans le cimetière, le curé de la paroisse lorsqu’il entrait dans l’église et en sortait, de l’avoir suivi lorsqu’il chantait en célébrant l’office, d’un ton si haut, qu’il se serait trouvé interrompu, d’avoir exposé des libelles, même sur la haie de son jardin, qui forme la clôture du cimetière, quand la procession de la messe paroissiale y passait, d’avoir jeté des pierres dans le dit cimetière à ceux qui entraient dans l’église pour la prière du soir et en sortaient. Je ne sais pas comment se termine l’histoire ! Toujours est-il qu’il célèbre un dernier baptême le 1 août 1779, un mois avant son décès, à l’âge de 70 ans, le 1 septembre 1779. Parmi les témoins, on note la présence du seigneur et cousin du lieu, Jean François Le Picard, et quelques prêtres des communes environnantes.
Les seigneurs locaux :
Le premier seigneur local mentionné fut Richard Duredent en 1240 . Il possédait le fief d’Ermenouville, village voisin. Etait-ce ce seigneur normand surnommé Dens Durus ? Le peuple lui a gardé longtemps le nom de Mesnil-bas, relativement au Mesnil-Geoffroy qu’il appelait le Mesnil-haut. En 1250, le curé et le seigneur Richard De Durdent se présentaient à la cure. Le village comptait 20 chefs de famille. En 1443, le seigneur du lieu était Guillaume Duredent. Quand cette famille Duredent s’éteint, la seigneurie échoit aux Pévrel, puis aux Le Balleur. On note la naissance d’un Robert Balleur en 1566.
Au XVI ème siècle, la seigneurie appartient à la famille Raulin de Gueutteville de Réalcamp, famille originaire de Bourgogne, anoblie au XV ème siècle. Ces derniers étaient aussi connu sous le nom de « De Gueutteville » ; nom de leur fief.
http://racineshistoire.free.fr/LGN/PDF/Rollin.pdf
Voici un résumé de leur histoire, qui commence avec Jean Raulin. Il se marie vers 1614 avec Suzanne De Clercy, fille de Charles III, chevalier, Seigneur de Clercy, de Gonneville et Silleron, patron d’Angiens et Blamesnil. De leur union nassent deux fils Gédéon et Jean et une fille Suzanne.
Jean Raulin, écuyer, sieur de Réalcamp,seigneur de Mesnil Durdent et autres lieux épouse vers 1640 Judith De Grouchy. Il possède 60 acres de terre. Son fils Michel aura trois épouses et un fils du même prénom qui décède, âgé de 25 ans, le 2 novembre 1710. Il sera inhumé au Mesnil Durdent. Avec lui s’éteindra cette branche.
Gédéon Raulin, son frère, se marie le 10 août 1657 avec Nicole De Tourneroche, fille de Jacques, Seigneur de Fontaine le Dun et de Valmont, et d’Anne de Bourbel de Montpinson. De cette union naissent deux fils Jean Baptiste et David Joseph entre 1662 et 1672 et cinq filles.
Jean Baptiste, âgé de 32 ans, se marie le 16 janvier 1694, à Autigny, avec Marie Anne Le Vert. De ce mariage naissent dix enfants entre 1696 et 1708, dont huit décèdent en bas âge dans la paroisse du Mesnil Durdent. L’histoire retiendra le mariage de Charlotte Marie Françoise, née le 20 décembre 1696, noble Dame et patronne de Réalcamp, en date du 21 septembre 1719, en l’église Saint Aubin du Mesnil Durdent, avec François Le Picard, Seigneur de Beaucamp et de Saint Philibert et de Veules les roses en partie, capitaine de la capitainerie de Saint Vallery en Caux, qui deviendra le seigneur du lieu, suite à la donation des terres par son épouse.
David Joseph, son frère, âgé de 25 ans, se marie le 16 février 1697, en l’église du Mesnil Durdent, avec Marie Magdeleine De Bourdainville dont naîtront 13 enfants : 11 fils et deux filles dont certains auront une descendance. David Joseph et Marie Magdeleine décèdent respectivement en janvier 1737 et le 16 avril 1742, à Autretot. Cinq jours plus tard, on trouve un acte, passé devant Maître Saffrey, notaire à Baon-le-Comte, près d’Yvetot, en date du 21 Avril 1742, où figurent leurs deux fils aînés Jacques Cosme Damien et Jean-Baptiste.
La seigneurie du Mesnil Durdent passe donc entre les mains De François Le Picard de par son mariage ; certainement après le décès de son beau-père Jean Baptiste Raulin, en 1737. Par la suite, c’est son fils Jacques François Martin et son petit fils Jean François qui deviendront seigneur et patron du Mesnil Durdent jusqu’à la révolution. Ces deux derniers épousèrent des demoiselles Langlois (d’Estaintot et De Bailleul). L’une d’elle, alors veuve, possédait une maison avec masure et douze acres de terre.
Mémoires des hommes :
https://geneafrance.com/?v=Le%20Mesnil-Durdent&i=76428&dn=Seine-Maritime
Une filiation quelque peu curieuse :
Concernant les personnalités liées à la commune, on mentionne Etienne De Raulin De Réalcamp, dit Raulin laboureur, ingénieur agricole, colonel dans la résistance, député de la libération, descendant de la famille seigneurial du Mesnil Durdent.
Etienne De Raulin, fils d’André De Raulin et Marie Thérèse Varangot, naît le 17 janvier 1902, à Laval et décède le 13 février 1956, à Erquy. Il se marie en premières noces avec Bernadette Braye de Chéreille en 1921, puis en secondes noces avec Thiphaine de Launoy, en 1933.
A sa naissance, son patronyme était simplement Raulin. Son état civil est rectifié par jugement du 16 mars 1905 par le tribunal civil de la Mayenne. Il devient alors De Raulin De Gueutteville De Réalcamp. Cette mention de patronyme figure sur l’acte de décès de Joseph Ange Raulin, teinturier, en date du 8 février 1856, arrière arrière grand-père d’Etienne. Ce dernier est le fils de Jacques de Raulin De Gueutteville et de Madeleine de la Fontaine.
Ayant fait des recherches familiales sur la famille Raulin du Mesnil Durdent, je fus étonné de ne pas voir ce dernier couple mentionné sur mon arbre. Ce serait donc intéressant de pouvoir l’intégrer. J’ai donc fait quelques recherches concernant un certain Jacques Cosme Damien, célibataire, décédé le 30 octobre 1762, à Autretot ; le seul suceptible d’être l’ancêtre de cette famille Raulin de la Manche. La seule information que je retrouve, c’est qu’il demeure depuis quinze ou seize ans en la paroisse de Veauville (certainement Veauville lès baons) et que malade, il revient dans cette paroisse où il décède chez son neveu Jean Baptiste Carpentier. Il n’est donc pas le maillon pouvant relier ces deux familles du Pays de Caux et de la Manche !
J’oriente alors mes recherches sur les archives de la Manche. Où ont pu se marier Jacques de Raulin et Madeleine de la Fontaine ? Je trouve leur mariage en date du 18 octobre 1755, au Mesnil Tôve, dans la Manche, lieu de naissance de l’épouse. Joseph Ange est bien leurs fils né le 9 février 1770 à Juvigny le Tertre. Quand à Jean Jacques et non jacques, il est baptisé à Juvigny le Tertre, le 11 novembre 1714 et décède au même lieu le 28 mai 1778. Teinturier de son état, il est le fils de Julien Raulin, laboureur, puis teinturier, et de Françoise Gesbert, originaire tous deux de la manche.
Quelques questions me viennent à l’esprit : sous quels critères le tribunal de la Mayenne a-t-il rendu son arrêté concernant la filiation d’Etienne De Raulin puisque celle-ci est impossible ? Comment a t-il pu trouver un lien familial avec la famille Raulin du Mesnil Durdent ? Sur la base de quels documents ?
Bien que cette famille Raulin de la Manche me paraisse honorable, celle-ci a bien pour ancêtres un laboureur devenu teinturier de père en fils, et non une ascendance noble en lien avec la famille Raulin de Réalcamp du Mesnil Durdent ! Hors, suite au jugement de 1905, une trentaine de descendants de Joseph Raulin, portent actuellement à l’état civil le nom "De Raulin de Gueuteville de Réal Camp" ! Malgré le jugement, je pense que cette famille ne peut prétendre à prendre ce patronyme.
F.Renout
(Administrateur cgpcsm)
Sources :
Archives départementales de Seine Maritime
Archives départementales de la Manche
Les recherches de la noblesse de la Gallissonière
Jacques Margerand (descendant Raulin de la Manche)
L’abbé Cochet
Association du jardin des amouhoques
M.G Micberth (monographies des villes et villages de France)
Regards Cauchois (suivant informations de Mme Léger, ancienne conseillère)