Le couvent des pénitents de Saint Valery en Caux

lundi 23 novembre 2020
par  Francis RENOUT
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Que savez vous concernant ce lieu rempli d’histoire ? Histoire du lieu, mais aussi histoire des hommes et des bienfaiteurs qui ont œuvré depuis sa construction jusqu’au XXème siècle.

Derrière la maison Henri-IV, une ruelle pavée nous emmène sur une colline pour une promenade dans les quartiers anciens et tranquilles de Saint Léger à l’écart du port, vers le couvent des Pénitents. Fondé en 1623, situé dans le centre historique de la ville, ce couvent franciscain était appelé à l’origine Couvent de Notre-Dame-de-Bon-Secours.

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Les moines avaient pour mission essentielle de mettre dans le droit chemin les marins turbulents de St Valéry-en-Caux. Depuis sa fondation au XVIIème siècle, le couvent des Pénitents fut successivement cloître, prison, hôpital, évoluant avec l’histoire de la commune. Une première période religieuse qui dura plus d’un siècle et demi, de 1623 à 1790, où le couvent fut habité par les moines franciscains. En 1790, la Révolution ferma le couvent qui devint une caserne et un arsenal militaire jusqu’en 1866. L’ensemble fut racheté par la commune en 1870 qui en fit un hôpital puis un hospice jusqu’à la fin du XXème siècle. Les bâtiments furent, pendant un temps, inoccupés.

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L’origine du couvent :

Une pieuse légende entoure l’origine de ce couvent. Un vieux prêtre anglais nommé Guillaume Languedon, avait prédit depuis fort longtemps l’installation de moines dans le bourg. L’historien de l’ordre Saint François, Marie De Vernon, cite une attestation datant de 1660, par laquelle les habitants de cette petite ville, certifient avoir entendu la prédiction du prêtre. Celle-ci fut signée par d’anciens bourgeois nommés : Mathieu Bertrand, Jean Pelé, Jean Raud et Jacques Cavelier.

Depuis de longues années, dès 1558, les franciscains venaient avec la permission de l’abbé de Fécamp, prêcher à Saint Valery en Caux. A l’époque de la pêche aux harengs, faisant la quête du poisson dans ce bourg et à Veules les Roses, ces moines s’étaient attirés le respect des populations maritimes.

En 1617, suivant la volonté des habitants de Veules les Roses et d’Adrien Lepicard, lieutenant en l’amirauté de Saint Valery et Veules, ils s’étaient établis dans le modeste asile de la chapelle Saint Vandrille. Ce lieu fut converti en hospice pour les personnes malades. Par la suite, grâce à de nombreuses donations, ils purent fonder un véritable couvent.

Une jalousie s’empara des habitants de Saint Valery en Caux, qui réclamèrent l’introduction des pénitents franciscains dans leur bourg. Le premier intéressé par leurs vœux fut le capitaine et gouverneur du lieu, Adrien De Bréauté. Celui-ci était entre-autre, seigneur de Néville et de Cailleville. Un document fut établi pour l’installation des moines, le 10 novembre 1620, par Adrien, Son épouse Françoise De Roncherolles et noble homme Jean Baptiste De Joves, lieutenant. Par ailleurs, Françoise a fait sa profession de foi dans le couvent de Veules entre les mains de P.Oronce, provincial de l’ordre.

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Quelques jours après le 19 novembre 1620, suite à l’accord passé entre le clergé, la noblesse et la bourgeoisie, les cinq premiers moines s’installèrent à Saint Valery en Caux, à la chapelle Notre Dame du bon port. Ils logèrent dans l’habitation d’une dame Du Pré, qui malgré la modicité de ses ressources, pourvut à leur nourriture et à leur entretien pendant deux ans. Par contre, il leur fallut l’autorisation de l’archevêque de Rouen et des abbés de Fécamp, qui possédaient tous les ports et hâvres de la côte depuis Veules les Roses et Etretat, pour leurs permettre de pouvoir administrer les sacrements.

Les frères Bénédictins exigèrent de la noblesse locale de les doter suffisamment, afin de ne pas être exposés un jour, de les voir à leur charge. Le 28 août 1621, les sires de Néville et Cailleville, firent donation de terres et de la chapelle Saint Georges de Clémencé et ses dépendances. Le 14 juillet 1623, Adrien Pierre De Bréauté et son épouse, Suzanne De Monceaux, firent don aux religieux, d’une pièce de terre et masure située au bourg de Saint Valery. Il faut noter au passage, l’importance de ses fondateurs et protecteurs des religieux, que sont les sires De Bréauté. Les ruines de la chapelle de Clémencé, restes d’une célèbre maladrerie du moyen âge, subsistaient encore il y a quelques années dans le vallon de Manneville ès Plains, au milieu d’un superbe bouquet d’arbres. Une demoiselle De Bréauté y était inhumée (voir histoire du miracle des roses).

C’est donc le 1 mai 1623, que l’abbé de Fécamp, permit l’établissement des religieux pénitents, dans le faubourg de Saint Valery en Caux. Ceux-ci choisirent pour y bâtir leur couvent, une colline qui domine la ville, appartenant à l’abbaye de Fécamp. Cette colline se situe pas très loin des hautes falaises de craie bordant le Pays de Caux. Ses falaises vertigineuses peuvent atteindre 120 mètres par endroit. Les moines avaient une vue magnifique sur la mer et la campagne environnante.

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Le couvent :

L’ensemble de l’édifice, lors de la construction au début du XVII ème siècle, formait un carré parfait. Les murs sont construits avec des pierres en grès. La toiture est faite en ardoise. L’église en occupe le côté nord sous le nom de Notre Dame du bon port. A l’intérieur de la cour se trouvait un puits. Les extérieurs du couvent, au nord et au sud, étaient bordés de jardins dont un potager qui procurait de la nourriture aux moines. Une cloche sonnait les heures et rythmait le travail et la vie quotidienne des habitants du lieu.

L’autel était dédié à la très Sainte Trinité. Le chœur était formé par d’élégantes boiseries à colonnes torses, de style Louis XIII. Cette église n’avait qu’une nef septentrionale. La voûte était entièrement revêtue de lambris de bois qui subsiste en partie. Les ornements et objets de culte PNG - 271 kiodevaient être fort riches. On notait la présence d’un remarquable encensoir en or et d’une croix argentée très travaillée. Marie De Fiesque, épouse de Pierre II De Bréauté en l’an 1633, Dame d’honneur de la Reine Anne d’Autriche, fit présent d’une magnifique garniture d’autel et d’une belle chasuble. Pierre II De Bréauté était Maître de camp depuis 1638 au régiment de Picardie. Il fut sergent de bataille en 1640 lorsqu’il fut tué au siège d’Arras, à l’âge de 28 ans.

Quelques années plus tard furent accolées trois autres chapelles qui dépendaient de l’église. Trois belles portes en permettaient l’accès entre-elles. Au dessus de l’une d’elle était inscrit la date de 1639 (chapelle Saint Nicolas). A une certaine époque, un chiffre ayant disparu, PNG - 257.8 kioon a remplacé le 6 par un 7 , de sorte qu’on peut lire 1739 au lieu de 1639. (celles-ci ne sont plus visibles à cause de changements successifs dans la construction, sauf une , celle de la chapelle de la vierge)

En 1766, l’archevêque de Rouen, Monseigneur de la Rochefoucaud, note la présence de six religieux et deux frères lais dans ce couvent. Un des derniers prieurs, d’après une dame Canu, était le frère de messire Vulfran Jean François Rigoult de Fennemare, conseiller du Roi maître de sa cour des comptes aides et finances de Normandie, qui fit construire le château de Bertheauville. Concernant le titre de Fennemare, celui-ci provenait de ce petit fief qu’avait acquis son père, le 19 avril 1752. Une partie de la plaine de Bertheauville, sur le plan cadastral comme sur la matrice, porte le nom de plaine de Fennemare. C’est la partie importante du domaine située entre le château de Bertheauville et celui de Conteville.

Enfin, le dernier moine ou frère-lai du tiers ordre de ce couvent fut Antoine Dubourg, Antoine est né le 11 février 1747 à Incarville dans l’Eure. Il était le fils de Cyprien et de Marie Grandhomme mariés à Incarville le 27 novembre 1731. Il était l’avant dernier fils du couple qui comptait 7 enfants (5 frères et une sœur). Son père, laboureur, est décédé le 10 janvier 1760 à Incarville laissant 5 enfants (deux étant décédés) . Quand arriva t-il à Saint Valéry en Caux et pourquoi ?

Pendant la révolution, les chapelles furent dépouillées de leurs richesses artistiques comme tous les édifices religieux.

Après la révolution, Antoine resta dans ce lieu comme gardien. Il passa un bail le 30 octobre 1792 devant le directoire de Cany pour avoir le droit de vivre et mourir en ce couvent et de prier sur les tombes de ses frères pour la somme de 160 livres. Un procès verbal du conseil général de Saint Valéry du mois d’avril 1793, nous le dépeint de haute stature, le front large, les yeux bleus et les cheveux blonds.

Il eut une vie bien agitée suite à l’installation des jacobins à la chapelle du couvent. L’hymne de la marseillaise succéda au chant des psaumes. Il fut obligé de prêter le serment civique et promit d’être fidèle à la Nation. Il fut par la suite nommé concierge de la prison militaire établie en ses lieux et finit sa vie comme jardinier.

Antoine, le bon moine qui passait pour prophète, est décédé le 15 avril 1816 dans son domicile au N°9 de la rue Houllegatte à Saint Valéry en Caux. Un portrait d’Antoine se trouvait chez Mr Dupéroux, marchand de meubles et parent de ce dernier.

Les chapelles :

Je pense que beaucoup de personnes, dont les Valériquais, connaissent la chapelle Notre Dame du Bonsecours où il y avait des expositions l’été. Celle-ci se trouve du côté du cloître et des jardins. Par contre, je suis moins sûr que vous connaissiez les trois autres chapelles qui bordent la chapelle Notre Dame du Bon Secours. Il s’agit des chapelles de la vierge, de Saint Adrien et Saint Nicolas qui sont elles aussi, riches en histoire pour qui veut prendre la peine de chercher.

Dans trois de ces chapelles furent inhumées cinq personnes honorables dont l’histoire est aujourd’hui oubliée des Valériquais ; enfin pas de tous.

La chapelle de la vierge était placé à droite de l’autel de la Sainte Trinité et renfermait une statue de Notre Dame faite avec du bois miraculeux de Notre Dame de Boulogne, trésor vénéré donné à l’ordre des Franciscains par la marquise d’Aumont, veuve du gouverneur de Boulogne et au couvent, par le père Oroncle de Honfleur, en 1639. Trois inhumations eurent lieu dans cette chapelle. Il s’agit de Dame Guéroult, son mari et son fils. Celle ci était professe du Tiers Ordre Séculier.

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On trouvait sculpté sur l’embase d’une colonne de la contre retable de cette chapelle, côté épitre, le blason de Jean Dyel, époux de Marguerite De Pardieu. Seigneur de Clermont et d’Enneval, il fut nommé par le Roi en 1662 gouverneur et lieutenant de la Martinique, après la mort de Adrien Dyel de Vaudrocques ,son cousin. Son père, Adrien Dyel, fut lieutenant du seigneur de Bréauté, au port de Saint Valéry et à la côte du Pays de Caux de 1636 à 1641.

Un autre blason inconnu était peint sur le tableau de l’autel de la chapelle de la vierge.

La chapelle du milieu était consacrée à Saint Adrien. Ce saint était le patron des sires de Bréauté, Chevalier des ordres du Roi Louis XIV, bienfaiteurs des religieux et fondateurs de ce couvent. Leur blason brillait autrefois sur les vitraux, sur le contre-retable et sur la grande porte grille de la chapelle.

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Dans ce lieu fut inhumé, François De Ricarville, Gentilhomme de Bois Robert, gendre d’Adrien De Bréauté. C’est Jean Marie de Vernon (de Cernot), historien et religieux pénitent du tiers ordre qui apporta cette précision lors de sa visite en 1667. D’après mes recherches, cette inhumation eut lieu fin décembre 1647. On trouve son acte d’inhumation sur la paroisse de Bois Robert. Le prêtre mentionne son décès à Beuzeville la Guérard, le 26 décembre et son inhumation au couvent des religieux pénitents. Son épouse, Catherine De Bréauté, sera inhumée dans le choeur de l’église de Bois Robert en début d’année 1654.

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Au XVII ème siècle, la chapelle Saint Nicolas se trouvait à droite de la porte principale dont l’accès se trouvait sur l’esplanade. De nos jours, cette porte est murée par des grès ; l’accès se trouvant dans la cour du cloître.

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Nicolas Vasse, conseiller du Roi Louis XIV, premier maire perpétuel de Saint Valéry en Caux, fondateur du premier hôpital et marchand bourgeois, y fut inhumé, suivant son désir, le 26 décembre 1698. Sur son testament, établi en octobre 1698, Nicolas Vasse légua une belle somme aux pénitents ainsi qu’aux pauvres et aux dames de la charité de la paroisse de Saint Valéry en Caux. C’est grâce à lui et à ses dons personnels que fut créé le premier hôpital en 1690. Celui-ci possédait six lits . Des messes y furent souvent dites suivant l’intention de ce dernier. Une somme de 300 livres fut donné aux moines à cet effet. Nicolas Vasse est né le 15 décembre 1627 à Saint Valéry et fut marié à Marguerite Fauconnet. Ses parents étaient Nicolas Vasse, receveur des tailles de Caudebec en Caux et Jeanne Lebreton. Ses ancêtres furent Lieutenant général de la vicomté de Tancarville, écuyer et seigneur du Val et de Pierremare. Nicolas et Marguerite Fauconnet n’eurent pas de descendance. Deux de ses frères étaient établis à Saint Valéry en Caux : Adrien était apothicaire et Jean capitaine de navire.

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Le cloître :

En face de la chapelle Notre Dame de Bonsecours, se trouve le cloître. Tous les moines, selon la coutume, y étaient ensevelis, sous les pieds de leurs frères. Quand on se promène sous les arceaux, on remarque sur le mur des têtes de mort indiquant la sépulture d’un pénitent. Parmi ces inscriptions, on peut encore lire deux noms : « V.P Candidus Nicole, obiit die 20 decembris 1667 » et « V.P Juvenalis, visitator ordinarius, obiit die martis 787 ». L’histoire n’a pas conservé les noms de ces moines. Il y eut un certain Calixte Bénuvent qui fit l’inhumation de Pierre Ridel, le 2 mai 1786, à Saint Valery en Caux, en remplacement du prêtre ordinaire.

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Le couvent après la révolution :

Après cette période où le couvent était géré par les moines, vint la révolution. En 1790, ce lieu devint une caserne composée d’une prison militaire et la chapelle un petit arsenal d’artillerie jusqu’en 1815. On y trouvait le siège du club des jacobins. Profané autrefois par les déclamations des jacobins et les chants des soldats, on prétendait que la chapelle était hantée par les âmes des pénitents, qui venaient visiter toutes les nuits ces lieux.

En 1866, le 3 décembre, l’ensemble fut racheté par la commune. En 1870, le lieu fut transformé en hôpital, puis en hospice, jusqu’à la fin du XX ème siècle.

Les chapelles sont laissées à l’abandon depuis quelques années. Les herbes folles s’en donnent à cœur joie dans le jardin du cloître. Enfin, abandonnées en partie, car quelques personnes veuillent encore sur ce lieu, témoin du passé de Saint Valery en Caux.

F.Renout
(Administrateur cgpcsm)
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Sources :
Augustin Bernard (Fragments d’histoire locale-1884)
Philippe Leloutre
Jean Marie de Vernon, historien
Archives de Seine Maritime


Documents joints

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