Les marnières du Pays de Caux

jeudi 19 octobre 2017
par  Francis RENOUT
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Tombés dans une marnière

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Le Pays de CAUX a défrayé de nombreuses fois la chronique des journaux avec ses marnières qui s’effondraient. Mais qu’est-ce qu’une marnière ? Qui étaient les hommes qui travaillaient dans ces marnières ? A quoi servait la marne extraite ?

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Pratique très ancienne, déjà citée dans des textes datant du premier siècle après JC, elle a pris un essor considérable au XVIIe siècle à cause d’un édit de Colbert précisant les bienfaits de l’amendement calcaire. Nous voyons encore parfois ces blocs crayeux épandus dans la campagne.

Voici quelques faits divers relatifs aux décès ou accidents de personnes tombées dans une marnière :

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1) En l’an de grâce 1755, au mois de mars, en revenant d’Yvetot, Guillaume Lelièvre âgé de 62 ans, tomba dans une marnière proche du Hamelet où il fut trouvé mort (voir endroit sur photo jointe). L’inhumation eut lieu au cimetière de Touffreville la Corbeline, lieu où il résidait.

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2) En l’an de grâce 1777, le 18 juillet, Pierre Lesauvage âgé de 72 ans, domicilié à Goderville, travaillant près de la marnière au hameau de Crétot (Goderville), tomba au fond de celle-ci et décéda. L’inhumation eut lieu le 20 juillet en cette paroisse de Crétot.

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3) Par une journée pluvieuse de janvier 1817, Thomas Levillain, marneron de 27 ans habitant dans les environs de Clères, extrayait de la marne destinée à amender les champs. Il travaillait avec son frère qui, restant en surface, remontait à l’aide d’un treuil, les corbeilles remplies par Thomas. Soudainement une coulée d’argile flua, obstruant totalement le puits et interdisant tout accès à l’intérieur. Thomas Levillain se trouva prisonnier à 30 m de profondeur. Les travaux entrepris pour le dégager n’aboutirent qu’au bout de neuf jours…miraculeusement il était vivant !

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4) En l’an de grâce 1679, le 19 ème jour de novembre, Adrian Duval, 35 ans, "étant malade d’une fièvre chaude", est tombé dans une marnière où il est décédé.

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Les marnières :

L’extraction de la craie est spécifique du Pays de Caux où l’on dénombre nombre de décès, d’effondrement d’habitations, de routes etc....

Une marnière est une cavité anthropique creusée pour extraire de la craie (ou appelée improprement marne dans le Pays de Caux). Les marnières sont particulièrement nombreuses en Haute-Normandie, et plus spécifiquement dans le pays de Caux. PNG - 218.1 ko
Il y aurait 80 000 marnières dans les sous-sols de Seine-Maritime.
C’est au XIXe siècle que les Cauchois ont creusé des centaines de puits dans les couches de craie du plateau afin d’exploiter les marnes situées en profondeur. Les puits mesurent entre 10 et 30 mètres et permettent de creuser des chambres et des galeries souterraines de 10 à 20 mètres de longueur et de 2 à 3 mètres de hauteur. Les galeries étaient en principe orientées vers l’extérieur de la cour en direction des champs. Après usage elles ont été rebouchées, leurs emplacements étant seulement repérés par des arbres. Au fil du temps (et des remembrements), ces arbres généralement isolés au milieu des champs ont disparu et la mémoire du site avec eux.
Ce n’est qu’en 1853 que la déclaration d’ouverture d’une marnière devint obligatoire.
Dans les années 1950 cette pratique prit fin et les puits furent sommairement rebouchés.

Ces extractions de craie étaient destinées essentiellement à l’amendement des terres agricoles. Le mot marne est le terme utilisé pour désigner la craie tendre adaptée à cet usage en Normandie. Le marnage fait augmenter le pH du sol et améliore la productivité céréalière. Les effets de la marne sont multiples : alléger les sols, décomposer le fumier en humus, PNG - 146.9 koet diminuer l’acidité des terrains. Les blocs de marne sont épandus avant l’hiver, les gros étaient brisés à l’aide de masses. Le gel enfin faisait son office, car les blocs gorgés d’eau se pulvérisaient et se mélangeaient à la terre "ça pouchinait au remeuil ".

L’obligation de déclarer une exploitation intervint en 1853 mais aucune norme d’extraction ne fut imposée. Les inspecteurs du service des mines furent chargés de surveiller ces exploitations.

Il existait deux modes d’exploitation : le mode à ciel ouvert et le mode souterrain. Les exploitations souterraines accessibles par puits furent de loin les plus représentées en Normandie puisque les extractions devaient se situer à proximité des surfaces agricoles disposées sur les plateaux où la craie est en moyenne à 25 mètres de profondeur.PNG - 738.7 koIl était beaucoup trop compliqué de combler une marnière après son exploitation. C’est pourquoi seul le puits était comblé sur sa totalité ou partiellement. Celui-ci était parfois signalé par un arbre isolé. Il arrivait que la tête de puits soit maçonnée par une voûte en pierres sèches ou en briques.

Dans la nouvelle Pierrot publiée en 1882, Guy de Maupassant indique que les marnières sont les endroits où l’on jette les chiens dont on ne voulait plus.

http://www.blog-habitat-durable.com/pays-de-caux-anciens-ont-laisse-traces-gangrenees-marnieres/

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Marneur ou marneron :

C’est un ouvrier qui répand de la marne sur les terres ou qui travaille dans une marnière.

Les outils ont peu changé au cours du marnage. Ils se composent d’un pic avec un manche d’environ 60 cm (souvent en coudrier) dont le fer mesure une cinquantaine de cm, de la pelle également avec un manche court, d’un burin et d’une massette (pour percer les roches).

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La première opération consistait à mettre en place un moyen d’extraction de la marne au dessus du puits. L’ouverture des galeries dans la paroi du puits s’appelle l’oeillardage. Ensuite on passe au chambrage. Pour chambrer, il faut s’enfoncer horizontalement sous terre en pratiquant une série de chambres soutenues par un gros pilier carré au milieu.

Le maniement du treuil était confié à l’apprenti qui manuellement ou avec l’aide d’un cheval, remontait les blocs arrachés au sous-sol par les marneurs du fond. La quantité de marne était mesurée à l’aide de la "gamelle " qui servait au forage (50 litres) ou celle utilisée pour le transport (100 litres). Les témoignages évoquent une quantité de 2m3 par homme, extraite sur une journée.

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Pour descendre ou remonter, les marneurs tenaient le câble du treuil et s’installaient debout les pieds sur les anses de la gamelle.

Les marneurs appartiennent au passé. Même si la marne est toujours épandue sur les champs, elle provient aujourd’hui de carrières.

F.Renout
Sources diverses


Documents joints

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