La manufacture de tabac de Dieppe

jeudi 10 août 2017
par  Francis RENOUT
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En France, au XViie siècle, il est de coutume de priser ou de fumer. ......

N’importe qui peut alors faire commerce du tabac. Dans certains estaminets, on permet aussi aux amateurs de tabac de « prendre du tabac en fumée » dans leurs échoppes. Pour combattre les brigands qui venaient y dépouiller les fumeurs, un édit du 23 juin 1629 interdit la vente de tabac, sauf par les épiciers qui peuvent ainsi étendre leur activité à celle de « fumoir ». Cette même année 1629, Richelieu crée le premier impôt sur le tabac Dès 1635, la vente libre est interdite. Elle est réservée aux pharmaciens, sur ordonnance.

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En explorant l’histoire du tabac, on croise des personnages hauts en couleur, comme Jacques Cartier et d’autres singuliers et parfois oubliés, tels qu’André Thévet, moine, aventurier et polygraphe, qui semble avoir été le premier à acclimater la plante en France, en Charente.

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Les débuts de l’activité manufacturière se situent d’abord à Morlaix, Dieppe et Paris, après que Colbert établit le « Privilège de fabrication et de vente » sur les produits dérivés du tabac en 1674.

Les fermiers généraux, ayant obtenu le privilège exclusif de la vente du tabac, établirent leur première manufacture à Dieppe en 1674. Elle se trouvait rue de prison (actuelle rue Desceliers). En 1684, l’établissement était prospère. On en trouve des traces dans les actes de tabellionage de cette époque. C’est à Dieppe, que les nommés Sauvage, Losmer (ou Lomier) et Levi, trouvèrent la manière de filer le tabac ainsi que la sauce pour le conserver.

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Le bâtiment où travaillaient les ouvriers, ayant brûlé pendant le bombardement anglo-hollandais de 1694, la compagnie qui avait intérêt à ce que le travail ne fut pas trop longtemps interrompu, prit à loyer, après l’incendie, les maisons en bois sauvées par le sieur Croisé, situées à proximité du marché aux veaux.

De 1694 à 1738, la maison Miffant, rue d’Ecosse, servit pour la manufacture.

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La manufacture était " l’une des plus considérables de la Ferme des Tabacs". En 1715, plus de mille ouvriers y étaient employés et parmi eux, de très jeunes enfants âgés de 9 à 16 ans. On appelait ces ouvriers les "pétuniers". Ils étaient chargés de la préparation du tabac, tandis que leurs camarades plus âgés, le filaient.

En 1715, les chroniqueurs ont noté une première "révolte" contre l’organisation d’une fouille à la sortie des ateliers, car les ouvriers avaient été accusés de vol.

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Révoltes ou mutineries :

Devenu manufacture royale en 1721, des mouvements de révolte ont eu lieu en 1729, réprimés par les dragons. La compagnie songeait à transplanter l’ensemble de l’exploitation au Havre où des bâtiments neufs venaient d’être érigés. L’idée fut finalement rejetée.

Les ouvriers se "mutinèrent", et s’enfermèrent dans la manufacture, située dans la maison Miffant, actuelle place Louis Vitet. Ils refusaient qu’on leur enlève une "gratification" (= une prime). Il s’agissait donc d’un véritable conflit sur les salaires. Malgré l’intervention musclée des forces de l’ordre de l’époque, un détachement de dragons qui malgré tous ses efforts ne pût entrer militairement dans les locaux, ils négocièrent en direct avec le gouverneur de la place de Dieppe qui dût se présenter seul dans la cour. Finalement, aucune poursuite ne fut engagée contre eux. Les « meneurs » n’eurent qu’une nuit de prison à passer au château. Ils durent payer une messe, un « Te Deum » disent les chroniqueurs, reprirent le travail comme si rien ne s’était passé, et les ouvriers conservèrent leur prime.

Une autre révolte eu lieu en 1733.On ne parlait pas de grève à l’époque car ce mot est relativement récent, mais ce fut la première occupation d’usine de l’Histoire de France

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En 1729, ces lieux devenus trop exigus, les fermiers étant locataires, ils achetèrent, avec l’approbation du Roi, un vaste emplacement situé sur les rues du Haut pas et de Sailly (rue Duquesne actuellement), situé en bord de mer. Ils y firent élever un grand bâtiment de forme carrée où travaillèrent quatre à cinq cent ouvriers. C’était la source féconde d’un grand produit pour l’état.

En 1732, la vente du terrain est prononcée. Les premières fondations de la manufacture sont posées en 1734, le lundi 4 avril. Les ateliers ouvrent en 1738. Ses activités ne cessèrent de péricliter tout au long de la seconde moitié du XVIIIème siècle avec la multiplications des fraudes.

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La Ferme des tabacs fut supprimée le 17 mars 1791. La révolution française ayant aboli les monopoles, les manufactures furent vendues, et le marché livré à la concurrence. Et, comme aujourd’hui, ce fut la première catastrophe ! Les entrepreneurs privés n’arrivèrent jamais à subvenir aux besoins du pays, et l’État y perdit d’énormes recettes fiscales.

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Un peu plus tard, Napoléon Ier rétablit celui-ci. Il fonde la Régie des Tabacs en 1811 qui engage l’exploitation dans un vaste programme de rénovation reposant sur la refonte complète de l’outil de production et la construction en série d’un nouveau modèle de manufacture à partir d’un plan unique. C’est donc au nom des intérêts de l’État, qu’on pousse l’industrialisation de la production des cigarettes et qu’on encourage sa consommation à grande échelle !

Au début du XIX ème siècle, la manufacture est cédée à l’administration des hospices, mais il faut attendre 1853 pour qu’un décret rétablisse son pouvoir de fabrication.

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En 1854, de grands travaux sont entrepris : nouveaux bâtiments et salles des machines donnant sur la plage et réparations des ateliers existants. A chaque niveau, toutes les salles communiquent entre-elles, ce qui permet de suivre, sans interruption, tout l’itinéraire du travail du tabac, depuis son arrivée en balles au magasin jusqu’aux produits finis.

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En 1891, création du syndicat CGT des Tabacs de Dieppe !
On est le dimanche 22 août 1891, l’après-midi, soit quatre ans avant la création de la CGT. 500 ouvrières et 40 ouvriers de la Manufacture des Tabacs se réunissent "salle du Gymnase National", à l’appel de la fédération des ouvrières et des ouvriers de Tabacs, et votent la création de leur syndicat.

http://gilles.pichavant.pagesperso-orange.fr/ihscgt76/num9/num9page2.htm

En 1935, peu après sa création, le Service d’exploitation industrielle des tabacs et des allumettes (SEITA) dénombre 22 établissements manufacturiers dont Dieppe.

En 1938, l’abandon de la manufacture est à l’ordre du jour.

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En 1942, le 19 août, la manufacture est détruite par un bombardement , lors du débarquement Franco-Canadien.

Notice historique :

http://dieppe.et.sa.region.free.fr/DIEPPE_PAR_LES_LIVRES/LES%20BROCHURES/XIX%20SIECLE/MANUFACTURE%20IMPERIALE/MANUFACTURE%20IMPERIALE.html

Photographies de documents aux archives départementales (série L) : état des ouvriers journaliers employés à la manufacture des tabacs à Dieppe pendant le mois de décembre 1790. Sur cette liste y figure les noms de 368 ouvriers. Vous pourrez peut être y retrouver vos ancêtres.

F.Renout
Sources diverses


Documents joints

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