Le docteur DUFOUR et l’oeuvre de « la goutte de lait »

lundi 25 mai 2020
par  Francis RENOUT
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A peine âgé de 25 ans, Léon Dufour est lauréat du concours de chirurgie et d’accouchement de la Faculté de Nancy. Il s’installe à Fécamp le 29 novembre 1881 comme "Docteur-Médecin", 65 quai Bérigny, devant la forêt de mâts des navires qui font la célébrité de la Capitale des Terre-neuvas.

Léon Dufour, fils d’Edouard Jean Charles, palefrenier au dépôt d’étalons, et de Léontine Rose Béziers, nait le 18 octobre 1856, à Saint Lô, dans la Manche, ville où s’étaient mariés ses parents le 28 août 1855. Son grand-père Jean François est gendarme à cheval. Quand ce dernier décède en 1866, Léon n’a que dix ans. Il fait ses études au Havre, à Rouen et à Nancy (Meurthe et Moselle).

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A cette époque, en 1881, le quartier maritime abrite les logements des marins, parfois très précaires. Pendant que les femmes travaillent au poisson, les enfants jouent dans les rues, mal pavées en galets de mer, où "les détritus de poissons se décomposent, se putréfient, répandant des odeurs fétides". Léon Dufour constate avec stupeur que la mortalité infantile est beaucoup plus importante dans le quartier maritime que dans le centre-ville. Les épidémies de diphtérie causent des ravages, les entérites sévissent à cause de "l’alimentation vicieuse" des nouveaux-nés. Se faire soigner coûte cher car la sécurité sociale n’existe pas ! C’est donc en dernier recours que l’on appelle le médecin.

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Dans la région, grâce à l’élevage bovin, le lait coule à flots. Plus de la moitié des mères n’allaitent plus au sein. Elles préfèrent utiliser un biberon rempli de lait de vache, d’autant que leur travail les empêche d’allaiter leur enfant. Cette pratique se révèle dangereuse parce que le lait de vache ne convient pas aux plus petits : il est trop riche, trop manipulé par JPEG - 1.8 Mol’ajout de conservateurs et le transvasement dans des récipients mal lavés. À cette époque, les biberons, appelés « petits pots » en Normandie, sont généralement en fer blanc, parfois en verre. L’orifice est bouché par un chiffon ou une éponge que l’enfant suce. Avec ces différentes matières, aucun problème de bisphénol, mais l’hygiène n’en reste pas moins douteuse.

Les biberons en caoutchouc :

À la fin des années 1860, l’entreprise Robert met au point un biberon apparemment ingénieux. En forme de flacon, il est prolongé d’un tube en caoutchouc, d’une vingtaine de centimètres. Au bout, une tétine. Les mères et les nourrisses apprécient la commodité du système, car la longueur de tuyau leur évite de tenir bébé sur leurs genoux et donc leur permet de pouvoir vaquer à leur occupation.

Quant à l’enfant, il peut se nourrir à volonté en se saisissant de la tétine : Grave erreur, tardivement dénoncée par les médecins. Le biberon à tube pousse le bébé à la suralimentation et engendre en conséquence des diarrhées. Enfin, le tuyau ne peut jamais être totalement nettoyé. Si bien qu’il devient, à force d’utilisations, un foyer à microbes.

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Depuis notamment les récentes découvertes de Louis Pasteur, on a compris que les microbes ou micro-organismes sont responsables des maladies infectieuses. Avant, les médecins pointaient plutôt du doigt l’air. Avec cette idée fixe : "Ce qui pue tue !"JPEG - 1.8 Mo Dans les dernières décennies du XIXe siècle, le discours médical prône la nécessité de l’hygiène et de la stérilisation des aliments et des instruments. Ces recommandations arrivent jusque dans l’oreille du médecin normand Léon Dufour

En 1885, le 21 avril, Léon Dufour se marie à Fécamp avec Jeanne Anna Mathilde Legrand. Celle-ci nait en cette ville, le 5 septembre 1863. Elle est la fille d’Alexandre Prosper Hubert, marchand et négociant en vin, puis directeur de la distillerie « La Bénédictine », et de Léonie Amante Couillard dont le père est marchand tanneur.

En 1886 et 1887, vont naître leurs deux filles à Fécamp, au domicile, sis quai Bérigny.

En 1889, le Docteur Dufour est nommé médecin adjoint de l’Hôpital de Fécamp. Il manifeste alors une diplomatie remarquable auprès de la municipalité qui accueille les propositions de ce médecin généreux et désintéressé. Courant mai,il part en guerre contre le manque d’hygiène qui sévit dans la ville et les foyers.

Entre 1890 et 1893, la ville de Fécamp occupe une place éminente dans l’expansion du mouvement hygiéniste. Léon Dufour suscite la création d’une Commission d’Hygiène qui obtient l’enlèvement des ordures ménagères et l’installation de tinettes et de fosses septiques.

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Le rôle de « la goutte de lait » :

1894 est l’année de la création de "L’œuvre de la Goutte de Lait" . Le premier but est de "lutter contre la mortalité des enfants du premier âge". S’appuyant sur les découvertes de Pasteur, il prend de multiples initiatives pour lutter contre cette calamité, et pour mettre en place une véritable médecine de la mère et de l’enfant Le Docteur Dufour prône l’importance et la qualité de l’allaitement maternel, mais il est conscient de la difficulté, voire de l’impossibilité que rencontrent les jeunes mères travaillant en atelier. Alors, "faute de mieux" - c’est la devise de la nouvelle œuvre - il propose d’assurer une alimentation équilibrée aussi proche que possible du lait maternel : tous les jours, dans les locaux de la "Goutte de Lait", rue du Précieux Sang, est assurée la préparation de petits paniers de 8 à 10 biberons, ration quotidienne pour un nouveau né. Non seulement le lait est rigoureusement sélectionné, mais il est "humanisé" pour le rendre plus digeste et de plus pasteurisé. Les familles dans le besoin peuvent retirer gratuitement ces biberons.

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Ce n’est pas tout : une consultation pour les nourrissons est ouverte tous les jours. Méfiantes au début, (on est en Normandie !) les jeunes mamans apprennent peu à peu à surveiller le poids, l’évolution et l’alimentation de leurs enfants. Le Docteur Dufour ne craint pas de laisser ouverte la porte de son cabinet de consultation ; ainsi de la salle d’attente, chacune peut mettre à profit les conseils maintes fois exprimés.

C’est à partir de cette institution, très modeste au début en 1894, que le Docteur Dufour aidé par des religieuses de Saint-Vincent-de-Paul et par des bénévoles de plus en plus nombreuses, va enrayer de façon spectaculaire la mortalité infantile.

En 1895, une "Œuvre de Maternité" assure le prêt de draps et de linge pour les bébés.
En 1897, les Bains-Douches publics à bon marché sont installés rue de l’Aumône.
En 1898, Léon Dufour assure une série de conférences sur l’hygiène pour les enfants de 10 à 13 ans.
En 1904, le 20 mai, le tribunal civil du Havre prononce le divorce du couple.

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L’action bienfaisante de Léon Dufour est reconnue dans le monde entier, mais pourtant ce n’est qu’en 1913 qu’il sera nommé Chevalier de la Légion d’Honneur et en 1923, Grand Officier. La municipalité fécampoise décide même de donner son nom au prolongement de la rue où il demeure et, ce qui est exceptionnel, de son vivant en 1926.

Ces distinctions honorifiques et bien d’autres venues du monde scientifique ou universitaire n’entament jamais la modestie du Docteur Dufour ; c’est presque avec étonnement qu’il les reçoit. L’essentiel est que l’œuvre qu’il a créée porte ses fruits et soit reconnue mondialement.

En 1921, le mardi 8 mars, il se marie en secondes noces, à Paris, avec Clotilde Camille Deflandre.

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Collectionneur avisé, il rassembla les objets les plus divers ayant trait à la maternité et à l’enfance, provenant du monde entier et se rattachant à toutes les époques de l’Histoire. Cette collection dont il fit donation à la ville de Fécamp en 1926, constitua le "Musée de l’enfance". Il publie divers documents : "Comment on crée une Goutte de lait", "Hygiène des nouveaux-nés", "Procédé d’humanisation du lait de vache".

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Pourtant en 2002, le Docteur Dufour... n’a même pas de tombe et aucune stèle, aucune marque ne permet d’identifier sa sépulture au cimetière de Fécamp.

Les Amis du Vieux Fécamp désireux de souligner l’œuvre humanitaire de leur premier Président, ont ouvert une souscription au Crédit Fécampois - "Hommage au Docteur Léon Dufour" - pour rendre décente la dernière demeure d’un grand bienfaiteur des enfants, non seulement de Fécamp, mais de toute l’humanité.

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Création de « la goutte de lait » à Rouen :

http://www.archivesdepartementales76.net/creation-de-la-goutte-de-lait-a-rouen/

F.Renout
(Administrateur cgpcsm)
Sources :
Les amis du vieux Fécamp
Laurent Ridel (2017)
Photos personnels ( Musée des pêcheries de Fécamp)


Documents joints

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