Nicolas Vasse, maire perpétuel et bienfaiteur de son bourg natal

mercredi 17 janvier 2024
par  Francis RENOUT
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(les maires durant le grand-siècle)

A notre époque, on a l’habitude de choisir et d’élire notre maire. Sous le règne de Louis XI, chaque communauté en ville avait une municipalité composée d’un maire et d’échevins élus par les notables, en nombre proportionné au chiffre de la population. Le maire, nommé par le Roi, devait être échevin ou l’avoir été antérieurement. Cet usage n’avait pas toujours cours sous l’ancien régime. Le maire était alors propriétaire de sa charge. Le « grand siècle » que l’on fait généralement durer de la mort d’Henry IV (1610) à celle de Louis XIV (1715) est celui de la faillite des finances locales et de la mise sous tutelle des pouvoirs communaux. Vous me direz que cela existe toujours de nos jours !

La tutelle royale n’avait cessé de s’affermir depuis un siècle ;surtout entre 1635 et 1683. Simultanément, la plupart des attributions des municipalités passent au fil des ordonnances et des édits royaux dans l’escarcelle royale. Généralement, le roi en fait des offices qu’il vend à profit. Le fonctionnaire achète sa charge ainsi qu’un statut personnel : « un privilège ». Ces officiers acquièrent parfois un poids considérable, à l’image du lieutenant de police (1699) ou du lieutenant de mairie (1702).

Histoire de la fonction de maire :

https://blog.landot-avocats.net/wp-content/uploads/2016/09/histoire-des-maires.pdf

Par un édit du 27 août 1692, pris suite aux difficultés financières de la fin du règne de Louis XIV, le roi transforme les fonctions municipales en office vénal, charge que tout bourgeois peut acheter, revendre ou transmettre à ses héritiers. Le Roi avait donc été porté à faire ressources des dignités municipales, et avait institué en titre d’offices des procureurs du Roi, des greffiers d’hôtel de ville, des lieutenants de maire, des échevins et donc des maires perpétuels. Certaines villes pouvaient avoir deux maires exerçant alternativement d’année en année.

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Le maire perpétuel avait le titre de conseiller du roi. Ces maires avaient droit aux mêmes honneurs, droits, émoluments, privilèges, prérogatives, rang et séance dont jouissaient auparavant les maires électifs ou autres premiers officiers municipaux. Dès lors, les officiers municipaux ne sont plus que des jouets entre les mains du Roi. Celui-ci, dans le siècle qui suit, s’amuse une douzaine de fois à leur rendre leur droit d’élection pour le reprendre peu après. Par exemple, ces offices de maire furent supprimés en 1717, rétablis en 1722, supprimés en 1724, rétablis en 1733 et supprimés de nouveau en août 1764 et mars 1765, par édit. L’édit de 1765 était un règlement fort détaillé sur l’organisation des corps de ville. Ce règlement stipulait que, dans les villes et bourgs de 4500 habitants et plus, le corps de ville était composé d’un maire, de quatre échevins, de six conseillers, d’un syndic receveur et d’un secrétaire greffier. Cet édit fut abrogé en novembre 1771.

Tous ces officiers étaient élus dans une assemblée de notables. Pour être nommé échevin, il fallait être ou avoir été conseiller de ville. Pour être nommé conseiller, il fallait être ou avoir été notable. Le maire était en charge pour trois ans et ne pouvait être élu de nouveau qu’après un intervalle de trois années. Enfin, dans les bourgs de moins de 2000 personnes, il n’y avait que deux échevins, trois conseillers, un syndic receveur, un secrétaire, six notables et point de maire.

A chaque fois, en transformant la fonction de maire de charge élective, en charge vénale, le Roi a le bonheur de faire entrer de l’argent frais dans les coffres de l’état.

Ces maires perpétuels étaient exempts de taille personnelle, de tutelle et de curatelle, et des droits d’entrée et d’octroi pour les denrées de leur consommation. Dans beaucoup de villes, on plantait à la porte du maire un ou deux arbres auxquels on attachait les armes de France. Lorsque le maire était absent, son lieutenant en avait tous les droits et tous les honneurs.

Au XVII ème siècle, Saint Valery en Caux, port dépendant de l’abbaye de Fécamp, développé sous l’impulsion de Colbert, viendra tardivement à la vie municipale. Ce bourg comme d’autres villes, est alors doté d’un maire perpétuel, dont l’office est acheté par Nicolas Vasse, le 8 juillet 1693. Jusque là, il semble qu’il n’y aurait eu qu’un syndic. Saint Valery n’a guère conservé que le souvenir de Nicolas Vasse, de Joseph Petit Seigneur, d’Abraham Jacques Leseigneur et de Philippe Rigoult.

La municipalité Valeriquaise sous l’ancien régime :

Depuis des années, Je m’intéresse particulièrement à ce personnage Valeriquais, via l’histoire du couvent des pénitents, patrimoine historique à préserver.

Nicolas Vasse naît le 15 décembre 1627, à Saint Valery en Caux. Il est le fils aîné de Nicolas Vasse, armateur et receveur des tailles à Caudebec en Caux, et de Jeanne Lebreton. Ses ancêtres furent Lieutenant général de la vicomté de Tancarville, écuyer et seigneur du Val et de Pierremare . Agé de 49 ans, son père décède le 26 septembre 1649 dans ce bourg côtier. Un acte de tutelle est établi le 5 octobre 1649 devant Robert Auvray, tabellion en la haute justice de Vittefleur. Jeanne Lebreton, veuve du dit défunt, deviendra tutrice principale à la caution d’Adrian Lebreton, son frère. Le tuteur consulaire sera le fils aîné du défunt : Nicolas.(ADSM 2E 27-125, folio 38). Le 26 novembre 1652, au notariat de Cany, a lieu le partage de la succession de Nicolas Vasse (père), entre sa veuve et son fils aîné.

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Nicolas Vasse (fils) se marie avec Marguerite Fauconnet, fille d’un chirurgien bourgeois du lieu. Celui-ci, marchand bourgeois de Saint Valery en Caux, deviendra maire à l’âge de 65 ans. La charge de maire s’achète donc. En l’occurrence, en 1693 le prix que paye Nicolas Vasse en est de 4800 livres, dont 10% sont payés en acompte et le solde le 1° août 1693. Comme maire, il touche des gages de 160 livres par an, auxquels il convient d’ajouter différents privilèges et exonérations (dont celle de la taille). Pour donner un point de comparaison, dans les années 1640, Pierre Corneille, l’homme le plus célèbre de Rouen, en sa double qualité d’ « avocat du Roy, au Siège des eaux et forêts » et « premier avocat de l’amirauté de France au Siège général » touche des gages de 1600 livres.

En 1680, Marguerite Fauconnet est mentionnée officière de la confrérie des dames de la charité.

En 1690, Nicolas fonde un hôpital dans son village natal, en donnant deux maisons, l’une de quarante livres et l’autre de vingt six livres de revenu et cent livres de rente sur ses autres biens, pour le logement, la nourriture et l’entretien de malades de la ville. Cette donation importante à l’époque fut faite en faveur d’une confrérie établie et connue sous le nom « des dames de la charité ». Cette confrérie était à l’époque composée des douze plus grands notables. Lors de la fondation de cet hôpital, il n’y avait que six lits de disponible, ce qui était insuffisant pour le nombre de personnes malades qui se trouvaient dans la ville. Cet hôpital devait se situer rue du cheval blanc. Une croix faite en creux dans un mur de briques, au dessus d’une porte cochère, en indiquait l’entrée principale. L’établissement était placé sous le vocable de Saint Cosme et de Saint Damien, les patrons de la médecine.

Sur le rôle de taille de 1696, la famille Vasse est réputée être une des familles les plus riche du bourg. Outre les 18 prêtres et diacres, trois gardes et un brigadier, on trouve trois familles de notables dont Pierre Le Corbeiller, greffier au magasin à sel, François Vasse, conseiller du Roi et conseiller des guerres et Nicolas Vasse, frère du précédent qui en furent exempté.

Le blog de Dominique Losay :

https://blog.losay.net/index.html%3Fp=210.html

Nicolas décède le mardi 24 décembre 1698, à Saint Valery en Caux, âgé de 71 ans. Il n’aura pas de descendant. Dans son testament, il désigne comme exécuteur testamentaire Marguerite Fauconnet, son épouse. Sans en faire tout le détail décrit dans le document joint en image, il légua une belle somme aux pénitents ainsi qu’aux pauvres et aux dames de la charité de la paroisse de Saint Valéry en Caux.

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Le jeudi 26 décembre 1698, après la messe célébrée à l’église paroissiale, Nicolas Vasse sera inhumé dans la chapelle saint Nicolas du couvent des pénitents, à Saint Valery en Caux. Cette chapelle dédiée à la Vierge fut certainement aussi dédiée à son bienfaiteur. Des messes y furent souvent dites suivant l’intention de ce dernier formulée dans son testament.

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A l’intérieur de cette chapelle se trouvait une statue faite avec du bois miraculeux de Notre Dame de Boulogne, trésor donné à l’ordre des pénitents par le père Oronce en 1639. Malheureusement, de nos jours, cette chapelle funéraire est entièrement désaffectée, vouée à la destruction du temps. Les inscriptions sur la dalle, sous laquelle repose le corps de ce bienfaiteur de la ville, sont totalement effacées par les siècles. Il est devenu impossible de lire ce qui était marqué. La révolution passa par là !De toute façon, quelques temps plus tard, au XIX ème siècle, un carrelage fut posé par dessus, dissimulant l’emplacement exact du tombeau.

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Après son décès, il y aura un nouveau maire perpétuel en 1704, Joseph Petit seigneur, qui lui même décède en 1710, et ne sera pas remplacé au moins jusqu’en 1715. Celui-ci était le neveu de Nicolas Vasse par son épouse.

D’après un passionné du patrimoine local, M. Le Maignan, il existait quelques portraits de Nicolas Vasse, qui furent détruits lors de l’incendie d’une maison en 1940.

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D’après M. Brianchon, une croix en grès datant de 1678, fut trouvé au trivium du hameau Saint Léger, à Saint Valery en Caux, près d’une ferme dite la ferme du haut, occupée par Sylvain Blanquet et appartenant à Mr Charles Vasse. Cette croix avait le fût brisé en deux morceaux. Le dix avril 1870, jour de Pâques, on pouvait encore déchiffrer, gravée en relief, l’inscription suivante :

CESTE+/A EST/E DON/E PAR/N.VAS/SE ET/M.FAV/CONNET/SA FE/MME./PRIES/DIEV/POV/R EV/X 167/8/REQVI/ESCA/NT IN P/ACE.

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Au XX ème siècle, les habitants du hameau de Saint Léger ont fait ériger une croix en grès, sur un carrefour qui mène à la chapelle, en souvenir de ce personnage. Le jeudi 24 décembre 1998, un hommage lui fut rendu pour le tricentenaire de sa mort.

Francis Renout
(Administrateur cgpcsm)

Sources :
Dominique Losay
Eric Landot (Histoire des maires)
Bulletin de la commission des antiquités de la Seine Inférieure année 1870 (P150)
Philippe Cyprien Leloutre (docteur et historien valeriquais monographie 1895)