Les oubloyers d’antan et les marchandes de plaisirs

mercredi 16 juillet 2025
par  Francis RENOUT
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C’est rare d’entendre de nos jours ce terme d’oubloyer. Quel est-il et que désigne t-il ?La curiosité me poussa à faire quelques recherches.

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Au XIX ème siècle, il était encore courant d’entendre crier dans les rues de Paris : « Voilà l’ plaisir mesdames, voilà l’plaisir ». C’était toujours au cours de la soirée et surtout pendant celles d’hiver, que les marchandes parcouraient les rues de Paris. On appréhendait le passage de la marchande de plaisirs avec sa voix aiguë comme un clairon. On guettait le bruit grinçant de sa crécelle et la cantilène accoutumée qui l’accompagnait. A ce moment là, on sortait des habitations pour aller acheter à la marchande une partie de ses plaisirs. Qu’entend-on par plaisir ?

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Les plaisirs n’avaient pas toujours été ainsi nommés. On les appelait autrefois dans toute la France, des oublies. Voici un extrait du livre de Jean Ray : « sous le porche, une marchande d’oublies agitait sa lanterne et offrait son antique friandise à des ombres fuyantes ».

Depuis le moyen-âge, les marchands d’oublies sont nommés oublieurs, oublieux, oubloyeurs ou oubloyers. Leur nom provient des gâteaux qu’ils fabriquent. Ils sont si légers, qu’une fois après les avoir mangés, on ne s’en souvient plus, on les oublies.

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La corporation des oubloyers ou oubloyeurs :

Ce sont les anciens grecs qui ont perfectionné la technique de cuisson des oublies, comme l’écrivait en l’an 200 Athénée de Naucrate. Ils fabriquaient de petits gâteaux appelés « obélias » ou « obélios » dans des moules composés de deux plaques de fer. Plus tard, on découvrira des moules à gaufres ronds, dépourvus de décoration, dans des sépultures des VII et X ème siècles, de femmes vikings en Suède et en Norvège.

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Jusqu’à la moitié du XIII ème siècle en France, il n’est fait mention d’aucunes communautés, soit d’oubloyeur ou pâtissier. Aux origines, ce sont les boulangers qui font la pâtisserie. Pendant le haut moyen-âge les quelques gâteaux existants, comme les rissoles ou les beignets se préparent à domicile. La situation va progressivement évoluée avec une demande croissante pour les gâteaux. C’est une demande que les boulangers ne peuvent plus satisfaire, obligés de limiter leur production de pâtisserie pour les fêtes de Noël ou de pâques.

C’est à partir de 1270 que les oubloyeurs font leur apparition. Regnaut Barbon, prévost de Paris, enregistre les status. On le doit aux forgerons qui imaginèrent des fers à oublies en copiant le dessin alvéolé des rayons de miel. Les fers à oublies se composent de deux longues tiges se croisant en X, et se terminant par deux disques ou rectangles. On y met la pâte crue , le fer se referme et on le place sur le feu. Une confrérie fut créé par Louis IX, plus communément appelé Saint Louis. Celui-ci a son oubloyer d’office. C’est un personnage assez considérable de l’office royal, puisque dans la maison de Louis IX, il a droit à un cheval et à une ration de fourrage.

En ces temps reculés, on distingue alors deux catégories distinctes:les oubloyeurs fabriquant des oublies, des pâtisseries légères, des nieulles et des hosties et les pâtissiers proprement dits faisant des pâtés à la viande, au fromage et au poisson. Il existe un règlement du prévost de Paris, suite à une ordonnance du 9 septembre 1369. Les status de ce métier prouvent qu’entre 1397 et 1406, il y avait 29 oubloyers, à Paris. Les status sont modifiés en 1406 et 1479.

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En juillet 1568, les deux communautés des oubloyeurs et des pâtissiers obtiennent du Roi Charles IX, l’autorisation de se réunir dans une même communauté et d’être régis par les mêmes statuts. Pour y prétendre, il faut exécuter un chef d’oeuvre et prêter serment de garder fidèlement le métier et d’en observer les ordonnances. Les oublayers peuvent travailler tous les jours sauf le dimanche.

Pour être maître oubloyer, il faut cinq ans d’apprentissage. Le brevet coûte dix livres, dont une moitié pour le Roi et l’autre moitié pour la confrérie de Saint Michel, patron du métier. Le chef d’oeuvre consiste à faire un millier de meules ou plaisirs en une journée. Plus tard, on exigera 500 grandes oublies, 300 gaufres dites supplications et 200 estrées ou plaisirs.

La corporation des oubloyeurs utilise au XV ème siècle les corets et les coquilles comme armoiries, comme l’atteste des méreaux, signes de reconnaissance de l’époque. La confrérie du Mont Saint Michel établie à Paris, faisant de même, va protester en 1572 et demander qe les oublayers n’utilisent que des « oubliers, des fers à gaufres et des corbillons ». Sur l’image ci-dessous, le méreau représente Saint Michel à l’avers, cornets et coquilles au revers et date de 1508.

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Charles VI et Charles IX ont établi des règlements pour la vente et la fabrication des gaufres sur les places publiques. Les vendeurs sont si nombreux qu’ils doivent être placés à deux toises de distance les uns des autres.

En 1722, une ordonnance interdit de colporter les oublies. Un des motifs est qu’elles sont ordinairement défectueuses et indignes d’entrer dans le corps humain.

Les oublies ou plaisirs :

A la base, l’oublie est le pain oblat fabriqué pour les cérémonies religieuses. L’oblat comme l’hostie doit être blanc, rond et très mince, à base de farine de froment, cuit avec des fers chauds. Par la suite l’oblat est devenu l’oublie.

Les oublies ou plaisirs sont des gâteaux faits d’une pâte légère sans levain. Ce sont des gaufrettes très minces et craquantes, confectionnées à partir d’une pâte à hosties, décorées d’inscriptions et d’images pieuses. La pâte à gaufrette est prise en sandwitch, entre deux plaques très chaudes gravées avec un motif. On leur donne souvent la forme d’un cornet.

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Ils furent d’abord fabriqués pour certains jours de jeûne et aux fêtes solennelles, pour les chanoines, clercs et moines. Les moines de Cluny en mangeaient a souper et pendant le carême. Le jour de pentecôte, dans les églises de France, on jetait des oublies du haut des voûtes en même temps qu’on lâchait des colombes. Les seigneurs recevaient tous les ans une corbeille d’oublies : c’est l’obliage ou droit d’oublies.

Par la suite les oublies sont vites devenues une pâtisserie très populaire, vendues par les oublayeurs près des églises lors des fêtes, et dans les rues à la tombée de la nuit ; car il était de coutume, à cette époque, de souper de bonne heure .

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D’après le Mesnagier, livre manuscrit d’économie domestique et culinaire, rédigé au XIV ème siècle, on fabrique aussi des oublies au vin blanc. Le mesnagier, grand traité culinaire français du moyen-âge, a été écrit par un bourgeois parisien, entre juin 1392 et septembre 1394. Ce bourgeois vieillissant veut enseigner à sa jeune femme de quinze ans les devoirs de la parfaite épouse.

Les oublies les plus renommées furent d’abord celle de Lyon. C’est dans cette ville que l’on a commencé à leur donner la forme de cornet. A Paris, elles sont plates et insipides. L’oublie est roulée en cylindre creux, quand au plaisir, il a la forme d’un cornet.

On distingue quatre sorte d’oublie :

La grande oublie vendue plate ou enroulée en forme de cylindre.
L’oublie renforcée ou de supplication, c’est à dire la gaufre.
La petite oublie roulée en cornes dite etrier puis petit métier.
Le plaisir, oublie roulée, renommée ainsi sous Louis XVI pour des raisons politiques, à l’époque de son mariage avec Marie Antoinette.

L’apparence de l’oublie dépend du fer dans lequel elle a été cuite . Ce fer a imprimé un relief à la pâte. Les fers anciens sont fabriqués par des artisans individuellement et non en série. La diversité des motifs est immense.

La Bruyère Champier précise que la gaufre dépend de votre rang social : les plus riches les mangent épaisses, faites à base d’oeufs, de sucre ou de miel, de fine fleur de farine et de vin blanc ; pour les pauvres : juste de l’eau et de la farine.

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François I, quant à lui, s’est fait fabriquer un gaufrier d’argent frappé de ses initiales et de la salamandre. Il en possédait toute une collection. (source l’histoire à table par André Castelot)

Rue des oublayers :

La rue des oublayers était située dans la partie est de l’île du palais, devenue par la suite la rue de la licorne. Cette rue est présente en 1450. Elle allait alors de la rue du Marmousset à la grande rue saint Christophe.

Traces des oubloyeurs à Paris :

Sur les registres de tutelle de Paris, on trouve un acte du 9 juin 1665 concernant Pierre Legoux et son épouse Barbe Roussel. Sa profession est maître pâtissier oubloyer.

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Sur les archives notariales du 4 décembre 1637, concernant les liasses de Jean Dupuys, notaire, on trouve un contrat d’apprentissage de Quiriace Georget, maître pâtissier oubloyer entre Charles Peronne et Jacques Jacquart, maître pâtissier oubloyer, domicilié rue de la vieille draperie, paroisse sainte croix en la citée. Charles Peronne, apprenti, était le fils de Georges, parcheminier à Troyes, et d’Antoinette Giblart.

Sur un inventaire de décès du 19 octobre 1627, passé chez maître Richard Cuvillier, à Paris, on trouve un Simon Cormy, maître pâtissier oubloyer, bourgeois.

F.Renout
(adminisrateur cgpcsm)
fc.renout@free.fr

Sources :
Louis Thiberville marchandes de plaisirs)
Greg de Wal (oublies au vin blanc d’après le mesnagier)
Ancêtres, métiers et conditions (le blog du passé)
Archives de Paris
Gallica (privilèges accordez aux maîtres pâtissiers-oublayers de la ville, faubourgs&banlieue de Paris par Charles IX)


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