Isaac Dumont De Bostaquet
par
popularité : 5%
( Le voyage interdit d’un gentilhomme campagnard protestant cauchois)
Au moment de la révocation de l’édit de Nantes, en 1685, sous le règne de Louis XIV, alors que l’émigration est interdite pour l’ensemble des protestants français, ils sont plus de 150 000 à rejoindre un pays protestant étranger. Que les protestants partent par terre ou par mer, certains d’entre eux ont raconté leurs conditions de voyage entre la France et le pays où ils purent se réfugier. Bien qu’ils bénéficient d’aide et de complicités pendant le trajet, ils rencontrent un certain nombre d’ échecs et bien des difficultés (arrestations, emprisonnements). Ce fut le cas pour Isaac Dumont de Bostaquet, mousquetaire du Roi jusqu’à la révocation de l’édit de Nantes, et gentilhomme campagnard de moyenne noblesse, qui vivait à la Fontelaye, près de Yerville.
Biographie d’Isaac Dumont de Bostaquet :
Au cours de sa vie, calme et banale jusqu’en 1685, il fut marié trois fois et eut dix neuf enfants. Né le 4 février1632, au manoir du Bostaquet, à la Fontelaye, dans le Pays de Caux, il est le fils de Samuel Gabriel et d’Anne de la Haye, ancienne famille de gentilhomme. Il perd son père très jeune, mais sa mère ne ménage aucun effort, ni dépense, pour lui donner une bonne éducation.
C’est ce manoir qu’il retrouve avec plaisir en 1647, après avoir fait ses humanités à l’académie protestante de Saumur et en 1651 et après avoir fait sa philosophie à Caen et un séjour à Paris pour devenir un parfait cavalier. Redevenu gentilhomme de province, il se livre aux plaisirs de la chasse et de l’équitation. Nommé cornette d’une compagnie par Mr Royville, cousin de sa mère, il rejoint l’armée et assiste au siège de Bar le Duc en 1652.
La mort de son oncle Abraham Dumont de Bostaquet, capitaine en Hollande, le force à demander un congé et à entreprendre le voyage jusqu’à la Haye. Revenu quelques semaines au Bostaquet, il part rejoindre son régiment à Reims, où il assiste à la célébration du sacre du jeune Roi Louis XIV, le 7 juin 1654. Par la suite, il quittera la carrière des armes, pour mener une vie de gentilhomme de province et pour trouver une épouse.
De son premier mariage, le 28 juin 1657 au temple de Quevilly, à Rouen, avec Marthe de la Rive, il eut sept enfants:six filles dont deux mortes au berceau et un fils prénommé Isaac comme son père. Marthe mourut en 1666, à la Fontelaye, d’une rapide maladie, au moment d’accoucher d’un huitième enfant, qui ne vécut pas.
Après une année de veuvage, Isaac épousa sa cousine germaine Anne le Cauchois, fille de David, seigneur de Thibermont, et Marie de la Haye. Sa première femme Marthe avait de bons rapports avec Anne et l’avait désigné à son époux , au cas où il serait veuf et qu’il songerait à se remarier. De son second mariage, le 26 janvier 1667 à Dieppe, avec Anne Cauchois de Thibermont, il eut sept enfants : cinq filles et deux fils. Elle devait mourir en couches, laissant des enfants en bas âge. Prise d’une défaillance soudaine, elle expire dans les bras de son époux.
Accablé de ces cruelles épreuves, Isaac avait décidé de se consacrer , avec l’aide de sa mère, à l’éducation des quatre filles du premier lit et des trois enfants en bas âge qu’il avait eu du second.
De son troisième mariage, vers 1679, avec Marie Brossart de Grosmesnil, il eut cinq enfants : deux filles et trois fils. Le dernier fils Henry va naître, le 2 juillet 1689, à Greenwich, petite ville anglaise devenue un quartier de Londres. Pourquoi cette naissance à l’étranger ? La réponse va suivre.
Isaac marie sa fille aînée Anne à Mr de Sainte Foy, avant l’année 1679. Son fils aîné Isaac, âgé de 22 ans, maître de la fortune maternelle, s’était épris de la fille d’un avocat de Dieppe. A force d’insistance, il fit consentir son père à son mariage, qui fut célébré le 5 juin 1685, sur Paris, au temple de Charenton.
Le château de la Fontelaye :
C’est peu de temps après son second veuvage, en 1673, que se déclara l’incendie du petit château de la Fontelaye. Il occupait alors le manoir du Bostaquet et la Fontelaye en partie. Sa mère jouissait de la maison et d’une partie de la Fontelaye. Après l’incendie, Isaac se réfugia au manoir du Bostaquet. Par la suite, il fera reconstruire le château.
Le manoir du Bostaquet :
Par contre, 12 ans plus tard, vers 1685, il du abandonner son manoir à cause des dragonnades. Les dragonnades sont des persécutions, dirigées sous Louis XIV, contre les communautés protestantes, entre 1680 et 1685. Celle-ci consistait à loger chez les protestants, des dragons qui étaient autorisés à exercer sur leurs hôtes tous les sévices (sauf le viol et le meurtre).
Le Bostaquet n’est plus qu’une très belle ferme dont les vastes bâtiments en briques entourent une grande cour carrée, plantée de pommiers, où se dresse le pigeonnier féodal. Un des corps du bâtiment, datant du XVII ème siècle, est appelé la « sépulture », car un membre de la famille et deux domestiques y furent inhumés, dans une espèce de cave.
L’église de la Fontelaye :
Perdue dans les herbages au sources même de la saâne, la petite église de la Fontelaye est très liée à la famille Dumont de Bostaquet, propriétaire depuis 1665 du château voisin jusqu’en 1847. Cette famille a longtemps oeuvré à l’entretien de l’église et l’a orné de vingt deux blasons. On y trouve à l’intérieur des marques visibles de la litre funéraire de la seigneurie des Dumont de Bostaquet.
Situation des protestants vers la fin du XVII ème siècle :
Les circonstances générales étaient devenues de plus en plus critiques pour les protestants de France. On faisait tomber les temples les uns après les autres. On demandait dans les provinces des abjurations à main armée. Le plus grand exode allait commencer. Pour protéger sa famille, Isaac Dumont de Bostaquet abjure en novembre 1685, sous la menace d’avoir à héberger 25 dragons chez lui. Par contre, il continue en privé, à pratiquer selon sa foi.
Malgré cela, Isaac se rend à Dieppe au printemps 1687 et rencontre le commandant de la place, au courant de tous les agissements et préparatifs de la famille, qui cherche à passer à l’étranger. Rien n’est entrepris contre lui, alors que les autorités locales savent très bien qu’il facilite des départs de protestants normands. Le commandant lui avait dit que c’était un grand tort de vouloir quitter son pays.
Les préparatifs du départ de la famille :
Alors qu’isaac prépare le départ de sa mère, âgée de 80 ans, de ses sœurs, filles, belles filles, nièces, enfants et sa femme alors enceinte, sur un navire étranger en 1687, il se rend à Luneray voir une amie. Après lui avoir expliqué le sujet de son voyage, celle-ci l’envoya quérir un paysan nommé Le Tillais, qui se mêlait des embarquements. Il y avait beaucoup de personnes, qui recherchait le même dessein à Luneray. On l’avertit que le 16 mai 1687, jour du lundi de pentecôte, des vaisseaux anglais aborderaient les côtes de Saint Aubin sur Mer pour emmener des passagers.
Le départ pour l’exil à Saint Aubin sur Mer :
Toute la famille avait décidé de s’en remettre à Dieu, de laisser tout, terres et maisons et de fuir à tout prix.
On lui avait dit qu’il y aurait des matelots à terre,,sur la plage de Saint Aubin sur Mer, pour traiter avec eux. Le prix était de deux pistoles et demi par personne. La famille arriva sur la plage, mais ils furent vite rejoint par les soldats et les gardes côtes. Isaac de Bostaquet, ses gendres et ses domestiques se défendirent à coups de pistolet. Quelques hommes furent tués. Impossible de connaître leurs noms car les archives de la paroisse ne commence qu’en 1690.
Quand à Isaac, il fut blessé au cours de la bataille. Pendant ce temps, les femmes s’enfuyaient sous les falaises, le long de la mer. De plus, à cette heure, la marée était montante. Isaac eut le déchirement de sentir qu’on allait les prendre , les lui ôter à jamais. Isaac s’enfuit jusqu’à Saint Laurent en caux où résidait le sieur Legrand, un habile chirurgien protestant, par qui il voulait être soigné. Sa blessure au bras était grave et le faisait souffrir. Par prudence, il ne rentra pas en son manoir du Bostaquet et se rendit dans une de ses fermes exploitée par le nommé Maillard. Il arriva le soir à Grosmesnil ou il rejoint un certain Béquigny. Deux jours après, Il put s’enfuir pour la Hollande.
Après la tentative d’évasion qui avait échoué, certains membres de sa famille furent arrêtés. Plus tard, il apprend la vente à vil prix de ses propriétés, l’état déplorable de sa mère, la mort de deux de ses filles et la maladie de trois autres. Au moment de son départ précipité, sa femme était sur le point d’accoucher.
L’exil d’Isaac Dumont de Bostaquet :
Pour quitter le royaume, Isaac en proie à de violentes douleurs et une grande inquiétude, traverse, à cheval, la Normandie, la Picardie et rejoint les Pays Bas Espagnols ; puis les provinces unies. Le passage de la Picardie l’inquiète. Il doit traverser la somme à Pont Rémy, mais ce passage est gardé pour empêcher les transports du tabac et du sel, que l’on apporte du pays d’Artois en Normandie. Malgré sa crainte, les soldats le laisse passer. Il reçoit l’aide de protestants locaux qui l’héberge et le cache. Il est accueilli par Mr Monthuc, qui lui fournit un guide nommé Jean Teiller, un homme de religion, qui voulait aussi fuir le pays. Il franchit la frontière, parvient à Gand et arrive à la Haye. Plein d’une joie amère, il ne devait plus revoir sa patrie et le Pays de Caux qu’il venait de quitter ; mais il était libre.
Après mille péripéties, il rejoint La Haye où s’étaient réfugier de nombreux parents et amis. Grâce à un lointain cousin occupant un haut grade dans l’armée de Guillaume III, il obtient une mission de capitaine de cavalerie dans le régiment du duc de Schomberg. Il prend ainsi part au débarquement en Angleterre à l’automne 1688 ; puis à la campagne Irlandaise de Guillaume III, en 1690. Auparavant, Isaac eut la joie de retrouver son épouse et un fils qui avait réussi à s’embarquer à Dieppe, en mars 1688.
En 1689, la famille s’installe à Greenwitch, petite ville anglaise sur la rive sud de la tamise devenue un quartier de Londres, où ils furent bien accueilli. C’est dans cette ville que Marie Brossart, épouse d’Isaac, met au monde un fils prénommé Henry le 2 juillet, trois mois après leur arrivée.
En 1692, Isaac décide de quitter l’Angleterre pour l’Irlande, où la famille sétablira à Dublin pendant six mois, avant de rejoindre Portarlington en Irlande. C’est dans cette ville qu’il marie sa fille Judith Julie à Guy Auguste de la Blanchière, le 2 avril 1700.
Isaac termine sa vie assez pauvrement à Portarlington, en Irlande, un havre pour les officiers huguenots à la retraite. Il décède le dimanche 14 août 1709, à 3h du matin, dans ce lieu, entouré de sa femme, sa fille Julie Judih et de ses deux derniers fils, loin de sa patrie et de son pays de caux natal. Il sera inhumé le lundi 15 août das le cimetière par Mr de Bonneval.
Les descendants d’Isaac de Bostaquet en France :
La branche aîné fut représenté par son fils aîné prénommé Isaac. Il épousa Esther Chauvel, le 16 mai 1685, à Charenton, avec qui il eut cinq fils et quatre filles. Il resta en possession des domaines de Bostaquet et de la Fontelaye qui s’accrurent de diverses successions.
Le rôle de l’impôt principal de la Fontelaye, en 1790, nous montre qu’isaac Antoine Dumont de Bostaquet y possédait le château avec des terres d’un revenu de 500 livres et qu’il faisait valoir les diverses fermes rendant ensemble 350 livres, plus dix ou onze maisons. (renseignements fournis par Mr Beaurepaire, archiviste de la Seine Inférieure)
Epilogue :
Dans ses mémoires qu’il rédige en trois fois, à la Haye, en Hollande, en avril 1688, continué à Greewitch, en Angeterre, en 1689 puis pour finir en 1693, à Dublin, quelques années avant la fin de sa vie, Isaac père rapporte nombre de détails de sa vie quotidienne, de son enfance à ses derniers jours. Il cite une multitude de noms et de lieux. Ses mémoires, Isaac les a écrit à l’intention de ses enfants dans le but de leur transmettre un héritage familial.
Ce témoignage direct est un document précieux pour la connaissance du protestantisme en Normandie et les conditions d’exil en Hollande et en Irlande. Il est resté fidèle à lui même et à sa foi. La descendance directe des Dumont de Bostaquet, s’est éteinte avec la mort de son arrière petit fils, Isaac Antoine Auguste, marquis de Lamberville, âgé e 82 ans, célibataire, le 6 décembre 1847, à Bellevue, commune de Meudon.
F.Renout
(Administrateur cgpcsm)
Sources :
Didier Boisson, professeur d’histoire (les conditions de voyage des huguenots vers le refuge)
José Loncke (14 août 1709.Mémoires d’Isaac Dumont de Bostaquet)
Gallica (mémoires inédits de Dumont de Bostaquet gentilhomme normand)