Alvimare, terre des seigneurs de Blanques

dimanche 3 novembre 2019
par  Francis RENOUT
popularité : 4%

Quand on se penche sur l’histoire des seigneurs de Blanques, Blengues, Bellengel ou Bellengues, on s’aperçoit que trois des épouses ont marqué l’histoire du village d’Alvimare ente le XV ème et le XVII ème siècle. On leur doit une partie du patrimoine actuel composé de la chapelle sainte Anne et des deux croix, objet d’une légende. Leur point commun, c’est qu’elles aimaient ces terres et ce lieu.

JPEG - 1.8 Mo

Lorsqu’on arrive à Alvimare, petit village au cœur du pays de Caux, on passe devant l’église pour se rendre à la chapelle des Blanques, en suivant une petite route communale, bordée d’habitations et de cours plantées de pommiers. A un moment, sur cette route, se dresse de part et d’autre, deux croix, une grande et une petite, témoins de légendes. Quelques dizaines de mètres plus loin, arrivé à l’entrée de la propriété du couple Anne et Patrick Emile, on aperçoit la fameuse chapelle et le manoir.

JPEG - 1.8 Mo

C’est avec plaisir que nous avons visité ces lieux en compagnie de Mme Emile, personne très sympathique, qui nous a raconté l’histoire des lieux et que je remercie au passage pour les documents.

..........................................................................................................

Histoire d’Alvimare et de ses seigneurs :

Alvimare, autrefois "halivi-mara" (marais d’Aldalwinus), est une commune située sur la voie romaine reliant Lillebonne à Grainville la Teinturière, ce village est alors défendu par une motte féodale. En 1738, Alvimare comptait 103 feux. En 1820, 176 feux.

PNG - 483.4 ko

Il existait autrefois, sur la paroisse d’Alvimare, une terre importante, que l’on appellait le fief de Bellengues. C’était un plein fief de Haubert, relevant directement du Roi., qui s’étendait sur les paroisses d’Alliquerville, de Cléville et Foucart.

PNG - 163.5 ko

Dès le XIème siècle, il semble qu’une fortification marquait en ces lieux la puissance de la famille Bellenghel. Il ne reste de cette époque qu’une motte féodale entourée d’une mare, et peut-être des vestiges de douves.

Du manoir féodal, construit après la fortification primitive, il ne reste que quelques murs arasés, dans un îlot marécageux entourés de fossés toujours remplis d’eau, parmi lesquels apparaît l’ouverture effondrée d’un souterrain. A l’heure actuelle, pour avoir été voir sur place, il ne reste qu’un îlot marécageux entouré d’eau où s’ébattent des oies.

JPEG - 1.8 Mo

L’abbé Cochet en parlait ainsi en 1871 :

« Des fossés profonds et remplis d’eau, des mottes et des tertres couverts de halliers, attestent l’ancienne importance de cette vieille seigneurie. Les broussailles recouvrent les murs arasés d’un donjon. »

La famille de Bellengues a longtemps occupé un rang élevé dans la noblesse de ce lieu, elle s’est divisée en plusieurs branches. Cette famille, qui disparut vers la fin du XIV ème siècle est peu connue.

En 1457, Pierre marquis de Crespin de Mauny rend aveu de domaine et devient le seigneur de Bellengues.

En 1503, Jean Cramprond de Loré, seigneur de Gisors et époux de Marie de Mauny, rend aveu en son nom pour Bellengues et Caumare.

A la fin du XIXème siècle, une maison, construite en pierre de taille, au temps de la Renaissance, atteste encore de la vieille majesté du manoir démoli par les années et dégradé par les révolutions. Des mottes et des fossés encore debout dans un taillis sont les derniers témoins de cette existence féodale, ainsi que l’île des Blanques, encore entourée d’eau, qui avoisine la chapelle et la métairie.

..........................................................................................................

Jehanne de Bellengues :

La famille de Bellengues qui disparut vers la fin du XIV ème siècle est peu connue. Au XIII ème siècle, on trouve un guillaume Bellenguel dans la liste des chevaliers tenants du roi au pays de Caux.

Jehanne est la fille de Guillaume et de Jeanne de Saane. Fille du Seigneur des Bellengues, elle appartenait à la plus grande maison et à la plus haute lignée de Normandie.

PNG - 12.3 ko

Dans les premières années du XV ème siècle, Jehanne, dame de Bellengues, s’attira les hommages d’un noble espagnol, don Pedro Nino, comte de Buelna, qui voyageait en France. On dit qu’elle éprouva une vive affection pour celui-ci. A cette époque, on disait de Jehanne, qu’elle était une des plus belle Dame du pays ! Du moins, d’après ce qu’en dit un auteur : Guttière diez de Games. Elle aimait les fêtes et les danses et était entourée de dix demoiselles d’honneur.

Mais celle-ci était mariée à l’amiral Renaud de Trie plus âgé qu’elle. Celui-ci était seigneur de Sérifontaine, capitaine et garde des châteaux de Saint-Malo et Rouen, grand maître des arbalétriers en 1394 et amiral de France de 1397 à 1405.

Généalogie des seigneurs De Trie :

http://racineshistoire.free.fr/LGN/PDF/Trie.pdf

Il ne fut pas longtemps un obstacle pour les amants, car celui-ci épuisé par les fatigues de la guerre mourut quelques temps plus tard en 1406 et fut inhumé à l’abbaye de Gomerfontaine, à Trie la ville, dans l’Oise. Il fut question de mariage entre eux mais don Pedro, étant retourné dans son pays, le projet se trouva abandonné.

http://blog.serifontaine.com/post/2013/12/19/28-La-plus-belle-dame-qui-fut-alors-en-France

Alors, Jehanne s’en détourna et épousa Jean V Mallet de Graville. Compagnon de Jeanne d’Arc avec laquelle il avait participé à plusieurs batailles contre les Anglais, il associait d’importantes dignités civiles militaires au roi Charles VII. Jean rendit aveu au roi en février 1411 pour la terre de bellengues et la conserva jusqu’en 1419.

Lorsque les anglais envahirent la Normandie en 1419, Jean Mallet, en vrai patriote préféra se faire confisquer ses biens, plutôt que de se soumettre et partit en exil. Ses terres furent donnés par Henri V à l’anglais Louis de Robessart.

Jehanne, voulant conserver son fief, se rallia au monarque anglais. Ils eurent quatre filles dont Marie qui épousa Gérard d’Harcourt, seigneur de Bonnétable.

Généalogie des familles Mallet de Graville :

http://racineshistoire.free.fr/LGN/PDF/Malet-de-Graville.pdf

En fait, ce qu’elle aimait par dessus tout, c’était ses terres de Bellengues ; ceci au détriment de son amant, qui s’en était retourné en Espagne, puis de son mari. Rien, ni personne ne pouvait l’en éloigner. Elle mourut vers l’année 1420, sans enfants mâles.

Quand à Jean Mallet, il épousa Jacqueline de Montagu, veuve de Jehan de Craon, sire de Montbazon et de Saint Maure.

...........................................................................................................

Les croix de pierre dites croix des Blanques  :

Situées de part et d’autre de la route communale, qui part du centre bourg d’Alvimare vers le lieu-dit des Blanques, ces croix ont leur légende.

JPEG - 1.2 Mo

Si vous demandez, en effet, leur origine, on vous répondra qu’au temps jadis, le sire d’Auzouville et le sire d’Auberbosc, deux chevaliers cauchois, aspiraient tous deux à la main de la demoiselle de Blengues. Egalement épris des beaux yeux de la châtelaine, aucun ne voulut céder.

On décida donc de s’en remettre à la fortune des armes, et un furieux combat s’engagea où les deux chevaliers périrent ensemble dès le premier choc. Ils furent inhumés à l’endroit où ils avaient combattu et la demoiselle de Blengues voulut qu’une croix fut élevée sur le tombeau de chacun de ceux qui avaient combattu pour elle.

JPEG - 1.7 Mo

Et, comme la légende est toujours une peu malicieuse, surtout en pays cauchois, elle ajoute que la croix la plus belle et la plus somptueuse fut dressée là où reposait celui des deux chevaliers qu’elle préférait secrètement à l’autre ! Telle est la légende.

Les sires d’Auzebosc et d’Auzouville se sont-ils jamais battus ? Leurs corps reposent-ils sous « les Croix de Blengues » ? Difficile énigme, mais il est certain que la demoiselle de Blengues fut une des plus jolies Cauchoises de son temps, car il est bon de rappeler que l’aventurier espagnol Pedro Nino l’adora en secret et en fit la « dame de ses pensées ».

JPEG - 1.7 Mo

Selon une autre légende, ces croix auraient été dressées à la mémoire d’un soldat français et d’un soldat anglais, morts face à face pendant la guerre de Cent Ans entre 1337 et 1453. La plus haute serait à la mémoire du Français.

Vraisemblablement, ces croix indiqueraient les limites de deux paroisses ou de deux seigneuries. La proximité et la rivalité connue dès le XIe siècle entre les domaines de Cléville et des Blanques, laissent à penser qu’il pourrait s’agir de ces domaines, sans qu’aucun document ne nous permette d’affirmer avec certitude l’existence de croix en ce lieu à cette époque.

.............................................................................................................

Marie de Mauny :

Le fief de bellengues passa à la famille Crespin après l’aveu au roi de pierre cespin, marquis de Mauny, en 1457 et 1461.

Marie de Mauny est fille de Louis de Mauny qui rendit aveu au Roi en 1484 et petite fille de Pierre Crespin de Mauny. Avant 1503, elle épouse Jean de Camprond, seigneur du Lore.

Marie fait édifier vers 1518 une chapelle, dans la cour de l’ancien manoir, dédiée tout d’abord à Sainte Barbe, puis à Sainte Anne, avec l’autorisation de l’archevêque de Rouen.

JPEG - 1.9 Mo

En 1521, le seigneur est alors Marie de Mauny, épouse de Jean de Camprond. Il résulte de l’aveu du 15 février 1521, que le domaine fieffé comprenait 1140 acres de terre et le domaine non fieffé de 146 acres seulement. Les redevances seigneuriales étaient de 104 livres de rente, 76 chapons, 20 poules, 260 œufs, 19 jours de corvée de charrue et de herse, 4 journées de charrette au mois d’août, 4 journées pour sarcler le blé en été, 4 journées d’hommes pour le scier en août, 6 voyages pour aller quérir à la mer deux barils de harengs et un voyage pour porter le blé au moulin à noël.

En 1535, le seigneur du lieu y exerce son droit de patronage qu’il conserve jusqu’à la Révolution.

En 1537, Marie de Mauny décède sans descendance, le domaine passe alors à Jehan Poullain de la Choletière, cousin germain, petit fils d’une sœur de Louis de Mauny, originaire du Perche et dont la postérité existait encore au milieu du XVII ème siècle.

Elle est inhumée à Alvimare.

............................................................................................................

La chapelle des Blanques :

Cette chapelle en bois, sauf une première assise réalisée en maçonnerie, est unique dans le département. C’est un édifice à plan allongé, composé d’une base en pierre, surmonté de murs en colombages, toits à longs pans en ardoise et croupe vers le chevet.

JPEG - 1.9 Mo

On pénètre à l’intérieur par une porte placée sur le côté de la partie la moins élevée. Les murs de l’intérieur étaient recouverts de plâtre avant la restauration qui permit de faire ressortir les colombages. Elle est divisée en deux parties peu élevées : une petite nef surmontée d’un clocher en ardoise et un chœur circulaire.

JPEG - 1.8 Mo

Toutes les parties extérieures de la charpente sont recouvertes d’ancien bardeau dont les bords déchiquetés par le temps produisent un effet des plus pittoresques. Son toit est surmonté d’un clocher carré, lequel supporte une courte flèche terminée par une croix en fer.

JPEG - 1.8 Mo

On peut y découvrir en plus une magnifique pierre obituaire et des vitraux signés Boulanger, un grand maître verrier rouennais.

JPEG - 1.9 Mo

A droite de l’autel étaient placées les statues de Sainte Anne et de sainte barbe. Sur leur piédestal était apposé un écusson aux armes des seigneurs de Blengues et de leurs alliances.

JPEG - 1.8 Mo

On peut y admirer des traces de peinture sur les éléments en bois, datant vraisemblablement de la construction, deux blasons restaurés qui se trouvaient sur une litre funéraire, une voûte en bois dite en coque de bateau inversée ou encore un graffiti représentant un voilier.

JPEG - 1.8 Mo

On y trouve une épitaphe gravée sur pierre avec la généalogie des seigneurs de Blanques, de 1505 à 1686.

En 1713, l’archevêque d’Aubigné visita la chapelle de Bellengues.

JPEG - 1.8 Mo

La chapelle a été classée monument historique le 27 décembre 1974. Elle est à présent privée et vient d’être restaurée grâce à Mr et Mme Emile. Une messe y a lieu chaque année, depuis 500 ans, le dernier week-end de juillet. Celle-ci y attire de plus en plus de personnes.

https://www.youtube.com/watch?v=NATqMJAXpto

...........................................................................................................

Hélène Poullain :

Jean Poullain, seigneur de la Choltière dans le Perche, époux de Marguerite d’Isy, hérita du domaine des Blanques. Il mourrut en 1548 et fut inhumé à Alvimare.

François Poullain, leur fils, et Charlotte d’Harenvillier acquirent le domaine. Ceux-ci décédèrent respectivement en novembre 1586 et en août 1580 et furent inhumés à Alvimare.

JPEG - 1.8 Mo

Ensuite la propriété passe à leur fils David. Ecuyer et seigneur des Blanques et de Caumare. Marié deux ans seulement à Marthe de Langouge, il meurt jeune au siège de Rouen en mars 1592. Ils eurent une fille Hélène, née vers 1591.

Hélène épouse François de la Ville, sieur du Val Robert, gendarme du connétable. Il meurt au siège de Montauban en mars 1621. Sur la plaque obitulaire apposée dans l’église d’Alvimare, François serait décédé le 10 septembre 1621. Quoi qu’il en soit, veuve à 30 ans , Hélène se confine dans son domaine d’Alvimare où elle vécut en faisant le bien.

JPEG - 1.8 Mo

En 1641, elle hérite du domaine des Blanques.

Elle restaure la chapelle et ajoute un petit clocher à tinterelle (petite cloche). Sur une face du clocher , on trouve la date de 1644.

En 1642, Hélène Poullain, arrière petite-fille de l’héritier fait construire le narthex (vestibule d’une l’église, partie qui soutient le clocher et l’entrée). Elle y fait placer une table de pierre, sculptée et enrichie à ses armes, sur laquelle une longue épitaphe est inscrite à la mémoire de son père, de sa mère et de son époux François de la Ville, tué au siège de Montauban, en 1621. Cette pierre obituaire en marbre noir, de 1645, a été conservée et scellée dans le mur Sud de la nef. Elle place aussi les armoiries des familles dont elle est issue sur une litre funéraire. La bande noire est encore visible dans le narthex avec des traces d’armoiries d’un marquisat.

JPEG - 1.8 Mo

Elle donna six acres de terre, à la condition d’être enterrée sous la voûte de la tour de l’église, à côté des membres de sa famille. Hélène étant décédée sans enfants, son héritage passa aux mains de Philippe de Vaudrets, sieur d’Herbouville, qui le laissa à son fils François. Ce dernier vendit en 1663 la terre de Blengues à Adrien Sécart, sieur de Saint Arnoult et autres lieux.

JPEG - 1.8 Mo

En 1663, le domaine fut vendu à Adrien Sécart, seigneur d’Auzouville sur Fauville et de Saint Arnoult, conseiller au Parlement de Rouen. Celui-ci marié vers 1632 avec Jacqueline de Peverel de Montéraulier, décède un an plus tard le 12 mai 1664. Ils eurent deux fils et quatre filles, dont Madeleine née le 22 décembre 1643. Celle-ci se marie le 24 janvier 1662 avec Abraham de Rouen de Bermonville.

JPEG - 1.8 Mo

Le dernier seigneur fut Adrien Rouen de Bermonville, baron d’Alvimare, émigré lors de la Révolution.

Au XIX ème siècle, le domaine fut la propriété de Mme Roussel. Celle-ci restaura l’hôtel de la chapelle fait de briques pour un nouveau en bois. Il est composé de trois anciens coffres.

............................................................................................................

L’église Saint Pierre d’Alvimare :

L’église remplace une ancienne église du XIIIe siècle, dont le clocher et le transept avaient été refaits au XVIe siècle et le chœur en 1654. Située sur un tertre, entourée du cimetière, vétuste, elle était devenue éloignée du centre du village et fut démolie, mais le cimetière subsiste.

PNG - 899.1 ko

Une pierre obituaire en marbre noir, de 1645, a été conservée et scellée dans le mur Sud de la nef. On la doit à Hélène Poullain, des seigneurs d’Alvimare, à la mémoire de son père, de sa mère et de son époux François de la Ville, tué au siège de Montauban, en 1621.

PNG - 623.5 ko

Il aurait été intéressant de visiter l’intérieur, mais comme beaucoup d’églises actuellement, celle-ci était fermée.

F,Renout
(Administrateur cgpcsm)

Sources :

Georges Dubosc (croix et calvaires normands-1905)
Jacques Lestrambe (Gallica)
Bulletin de la commission des antiquités de la seine maritime (Gallica)
Jean Jacques Tiercelin, historien (article Paris Normandie)
Remerciements aux propriétaires Mr et Mme Emile (visite, photos et documents)
Photos personnels (sauf église)


Documents joints

PDF - 1.2 Mo