Trois nouvelles catholiques au Thil en 1685.
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Parcourir en intégralité des registres paroissiaux peut sembler une tâche difficile et parfois fastidieuse mais elle réserve des découvertes qui dédommagent largement les efforts du chercheur et le plonge dans la petite et la grande histoire. C’est ainsi que j’ai découvert un acte d’abjuration dans le village du Thil.
On est le 8 Décembre 1685. Deux mois plus tôt, le 18 Octobre 1685, l’édit de Nantes a été révoqué par le roi Louis XIV : Un seul roi, une seule loi, une seule foi, telle est la volonté exprimée par le monarque. La religion catholique a vocation à rassembler tous les français. Les protestants sont poussés à abjurer, c’est-à-dire à renoncer à leur foi, à moins qu’ils ne choisissent de gagner en cachette un pays qui les protège. Désormais tous les enfants doivent êtres baptisés dans la foi catholique. Pour donner plus de force à cette décision, le roi n’hésite pas à envoyer ses troupes, elles sont à Dieppe le 12 Novembre.
C’est dans ces circonstances qu’au Thil, (actuellement Thil- Manneville dans le département de Seine -Maritime), un village d’une centaine de feux appartenant au doyenné de Brachy et au baillage de Caux, à 4 lieues de Dieppe, trois femmes se présentent auprès du curé de la paroisse, Louis Boullier :
Madeleine Chevalier femme de Jacques Ouvry, sa fille Jeanne Ouvry, âgée de 15 ans, et sa servante Jeanne Aleaume. Elles viennent abjurer, c’est-à-dire renoncer publiquement à l’ « hérésie » dans laquelle elles ont vécu jusque-là. Le curé autorisé par l’archevêque reçoit leur déclaration selon, dit-il, les formes habituelles (nous n’en saurons pas plus !). Ce faisant, elles sont entourées de deux témoins Jacques Groult et Bonaventure Le Normand et de plusieurs autres villageois.
Aucune de ces trois femmes ne sait signer, elles appliquent au bas de l’acte leur marque (qui n’est pas une croix !) et en dessous le curé appose sa signature : Boullier. Quand elles sortent de l’église, elles sont devenues des « nouvelles catholiques », des personnes, dans ce village presque exclusivement catholique, toujours un peu suspectes, soupçonnées de garder chevillée au corps leur foi protestante, ce qui était souvent le cas.
Qui sont ces femmes, d’où viennent-elles ?
A une dizaine de kilomètres du Thil, il y a un village appelé Luneray où vit l’une des plus anciennes communautés protestantes du pays de Caux. Dans ce pays de toiliers, la religion protestante apportée par le colporteur Venable qui a diffusé les idées de Calvin a trouvé un terreau favorable depuis plus d’un siècle.
Un temple y a été édifié. Celui-ci a été détruit quelques années avant la révocation en 1681. C’est dans les registres de ce temple qu’il nous faut chercher ces trois femmes.
Et effectivement nous y retrouvons d’abord. Madeleine Chevalier. Son mariage avec Jacques Ouvry a été célébré au temple le 9 août 1665. Les deux époux y avaient été baptisés, Jacques le 29 Avril 1643, fils de Jacques Ouvry et de Rachel Duboc. Madeleine le 1er Octobre 1645, fille d’Isaac Chevalier et Marie Aleaume. Les prénoms de Rachel et d’Isaac signent l’appartenance religieuse. Madeleine a donc 20 ans quand elle se marie et 40 quand elle se présente à la paroisse du Thil pour abjurer, entre temps elle a mis au monde au moins 8 enfants entre son mariage en 1665 et 1681, date où disparaissent les registres protestants.
Tous ses enfants ont été baptisés au temple de Luneray : 7 garçons et une fille Jeanne, la quatrième de la fratrie, baptisée le 25 septembre 1669. Jeanne a donc 16 ans au moment de son abjuration. Par son acte de baptême, nous apprenons qu’elle est née le mercredi 25 de septembre et a été baptisé au temple, le Dimanche suivant, que son père était toilier et qu’il habitait alors avec sa femme au hameau de Ronchay sur la paroisse de Luneray.
Plus tard la famille déménage, au hameau de Rocquigny, paroisse de Gueures, où naissent les deux derniers garçons, et sans doute ensuite au Thil tout proche. Quant à Jeanne Aleaume, la servante, elle a aussi fort probablement fréquenté le temple de Luneray. On trouve effectivement deux enfants qui portent ce nom dans les registres du temple, l’une baptisée le 6 Juillet 1667, l’autre le 1er Février 1671, toutes deux filles du couple formé par Pierre Aleaume et Catherine Delaporte. On peut penser que dans ce temps où la mortalité infantile était importante seule la seconde a survécu.
Sait-on ce que sont devenues ces femmes après leur abjuration ? Pour madeleine Chevalier, elle met au monde encore un garçon deux ans plus tard au Thil. (Peut-être y-a-t-il eu d’autres naissances entre 1681 dernière naissance enregistrée au temple et 1687 première naissance enregistrée à l’église, mais comment en trouver trace ?
Cet enfant est baptisé à l’église du village par le curé Boullier, celui-même qui a reçu l’abjuration de Madeleine. D’ailleurs il n’omet pas de le rappeler quand il rédige son acte. En même temps nous apprenons que Jacques ,
son époux a également abjuré, mais entre les mains de l’archevêque.
Y-a-t-il des règles différentes pour les hommes et pour les femmes ? L’enfant qui reçoit les prénoms de son parrain François Bonaventure Le Normand meurt deux plus tard. Ensuite il n’y a plus de traces de Madeleine et de son mari au Thil. D’après des documents notariaux, il semble que le couple soit reparti sur Luneray, hameau du Ronchey. Ils devaient s’y sentir moins isolés : les registres paroissiaux y sont pleins de nouveaux catholiques qui font baptiser leurs enfants, seule manière de les inscrire dans la société.
Je n’ai pas retrouvé de trace de Jeanne, la fille de Madeleine. Peut-être est-t-elle restée célibataire ou sans enfant. IL y a en effet peu d’actes, en dehors des baptêmes,concernant les nouveaux catholiques dans les registres paroissiaux : les nouveaux catholiques s’abstenaient souvent du mariage à l’église, lui préférant parfois un contrat chez le notaire. Quant à la sépulture pour qu’elle y soit inscrite, il fallait encore qu’ils aient accepté les derniers sacrements, à moins que leurs proches aient déclaré une mort subite.
Par contre, nous pouvons suivre, les deux frères de Jeanne qui ont pris des chemins différents : Jean, qui a deux ans de moins que Jeanne, vit à Luneray avec Judith Letillais, sans être passé par l’église mais en prenant soin d’établir un contrat devant Maître Huard et Maître Pelletier à Brachy. Mais Paul, dernier enfant du couple à être baptisé au temple en 1681, a fait un autre choix, il se marie à l’église de Sassetot-le-Malgardé en 1716, on remarque toutefois qu’ aucun membre de sa famille ne figure parmi les témoins.
Reste l’autre Jeanne, celle qui nous a été présentée comme la servante de Madeleine et qui pourrait bien être en même temps de sa famille. (Beaucoup d’alliances croisées dans les familles protestantes !) Si nous suivons la piste évoquée précédemment d’une Jeanne, baptisée au temple en 1671, nous la retrouvons à Luneray, vivant avec Isaac Chevalier. Comme le couple ne s’est pas marié à l’église, leurs enfants, Isaac né en 1699, Pierre, né en 1702 et Marie-Catherine née en 1710, sont, lors de leurs baptême, présentés comme les enfants naturels d’Isaac Chevalier et de Jeanne Aleaume.
Ainsi la révocation de l’édit de Nantes a mis les protestants dans le pays de Caux comme dans les autres régions de France dans des situations humainement très difficiles à vivre, ce qui explique que certains ont préféré quitter leur pays. On trouve ainsi des Ouvry (ou Ouvrix) installés en Angleterre.
Pour voir la situation de ceux qui sont restés en France s’améliorer sur le plan juridique, il faudra attendre l’édit de tolérance promulgué sous le règne de Louis XVI en 1787 et surtout la révolution qui instituera l’état-civil laïc, supprimant toute discrimination à caractère religieux.
Une dernière chose : le temple de Luneray a été reconstruit en 1812, sous Napoléon
Article de Martine Hautot
Sources :
1 : Mémoires d’Isaac Dumont de Bostaquet sur les temps qui ont précédé et suivi la Révocation de L’Edit de Nantes
2 : http://huguenots.free.fr/caux.htm
3 : ADSM 2E18/270 Contrat de mariage de Jean Ouvry et Judith Latillais
4 : http://temples.free.fr/temples/luneray.htm
Transcription par F.Renout
(Administrateur cgpcsm)