Les périlleux voyages d’exploration des Normands aux XVII ème et XVIII siècle

mercredi 20 février 2019
par  Francis RENOUT
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Un testament daté de 1714 du matelot Jean Follin de Saint Valery en Caux, sur les fonds de l’amirauté du Havre, a attiré mon attention ! Celui-ci est décédé en mer, de maladie (certainement le scorbut), à l’âge de 30 ans.

Jean Follin, né à Saint Valery en Caux vers 1685, dernier d’une fratrie de cinq enfants, est le fils de Jean et de Catherine Angot. C’est une famille de laboureurs et de marins. Son père est décèdé le 9 octobre 1703 au bourg de Saint Valery en Caux. Il s’engagea comme matelot et partit certainement du Havre en août 1707, lors de l’escale du navire "la découverte", pour un long voyage de huit ans autour du monde dont il ne revint pas en vie.
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Testament du matelot Jean Follin :

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« Au nom du Père et du Filz et du Saint-Esprit, je soubsigné Jean Faulin natif de Saint-Valery-en-Caux matelot embarqué sur « La Découverte » commandé par Mr du Bocage, estant au lit, malade mais sain d’esprit et voulant prévenir la mort et mettre en ordre en ce qu’il me concerne et faire prier Dieu après icelle, au cas que Dieu dispose de moy, savoir : je donne à Pierre Lebert, mon matelot, mon coffre avec toutes mes hardes sans rien excepter ; en outre je donne audit Lebert cinquante piastres sur lesquelles je le charge de payer toutes mes dettes que j’aye dans la ditte « Découverte » et le surplus desdites cinquante piastres, j’en fait présent audit Lebert pour reconnaissance des bons services qu’il m’a rendus pendant ma maladie. Et pour ce qu’il me revient de ma campagne, je charge celuy à qui il appartient de le remettre à mon oncle Philippe Faulin, demeurant à Saint-Valery-en-Caux auquel je prie de faire prier Dieu pour mon âme et faire distribuer le restant à mes héritiers.

Je prie aussy ledit Philippe mon oncle de faire dire deux messes dans la chapelle de Notre-Dame de Consolation à Gournay, à une lieue du Havre. Plus deux autres messes à Notre-Dame de Bon-Port à Saint Valéry, assistées de quatre cierges à l’une et l’autre chapelle. Estant ma dernière volonté, je veux et prétend que le présent soit exécuté ; en foy de quoy je signe en présence des témoins. Fait à la Coste du Pérou, au port de Ylo ce 10 janvier 1714. Ont signé Jean Faulin - tesmoins : Des Clotures - Legrand et Poussepin »

(Fonds de l’Amirauté du Havre, 216 BP 331)

Sur les registres paroissiaux de Saint Valery en Caux, on trouve la trace d’une messe d’inhumation faite en présence de la famille, dont son frère François, datée du 14 novembre 1715 où il est mentionné décédé dans les Andes.

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Philippe Follin, oncle de Jean, fut certainement le tuteur de celui-ci au décès de son père. C’est pourquoi, il le mentionna dans son testament concernant ses dernières volontés. Par contre, Philippe, veuf de Catherine Hatinguais depuis septembre 1710, devait décéder le 7 mai 1715 dans ce lieu, âgé de 75 ans.

La chapelle Notre Dame de Consolation de Gournay, à une lieue du Havre, se trouve à Gonfreville l’Orcher. Cette dernière est issue de la fusion entre les hameaux de Gonfreville et Gournay.

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Récit de huit ans de navigation sur le navire « La Découverte » :

A cette époque de la fin du règne du Roi Soleil, marquée par une très forte expansion du commerce maritime français, les négociants ne se limitèrent pas à cette côte ouest de l’Amérique espagnole. Quelques navires accomplirent de longs périples qui les amenèrent à traverser pour la première fois l’océan pacifique et à gagner l’extrême orient par cette route, jusque là monopole espagnol avec la ligne régulière Manille-Acapulco. D’autres firent carrément le tour du monde, pour la première fois, avec le pavillon français.

Le 28 août 1707, "La Diligente" et "La Découverte" partent de Dunkerque pour rejoindre "l’Aurore" au Havre de Grâce. Toutes les trois devaient ensuite se rendre à Brest pour le départ officiel de l’escadre au complet. Bien que le détail n’en soit pas donné dans le journal de la Découverte, on a chargé des marchandises dans les cales.

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Le 23 mars 1708, une formation de quatre navires, « la Princesse », « l’Aurore », « la Diligente », et « la Découverte », armés au Havre et à Dunkerque, quittait Brest pour se rendre sur les côtes du Pérou et s’y livrer à un long cabotage. Le départ du 20 mars avait été reporté à cause du mauvais temps.

Le 12 avril 1708 : première perte d’homme, un armurier de la Découverte, Jean-Baptiste Michenot meurt des suites d’une pleurésie. On dit une messe, son corps est immergé en mer et ses hardes vendues aux enchères parmi l’équipage.

Le 27 juillet 1708 a lieu le départ pour la grande traversée océane. Treize jours après avoir franchi la ligne, le maître charpentier de la Découverte, Pierre Humel dit Lespinne, décède d’une maladie qu’on n’ose pas appeler scorbut mais qui y ressemble. Ce sera le premier d’une longue série. Deux mois de mer déjà depuis les Canaries. Il y a beaucoup de bouches à nourrir, les vivres fraiches sont épuisées depuis un moment. L’eau croupie, la nourriture échauffante, le manque d’hygiène et les rats vont opérer une coupe sombre parmi l’équipage.

Le vendredi 5 octobre 1708, nouveau décès à bord de la Découverte, Martin Mortier embarqué comme volontaire à Dunkerque.

Le dimanche 21 octobre, enfin la côte du Brésil est en vue et on enregistre ce jour là deux nouveaux décès. Sur la seule « Découverte », plus de 50 hommes sont atteints du scorbut.

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Du 18 novembre au 22 décembre 1708, dix matelots de la Découverte, tous du Havre de Grâce, décèdent à la terre de Maldonades. Le plus âgé d’entre eux, Jacques Deseau n’a pas 40 ans, le plus jeune Guillaume Pulmois a 18 ans. Au total sur la seule Découverte, on dénombre déjà 19 morts depuis le départ de France et l’hécatombe n’est pas terminée.

Le samedi 11 janvier 1710, l’escadre passée sous les ordres du Rochelais Martin de Chassiron, quitte enfin le Rio de la Plata après une interminable escale de 14 mois.

Le 8 mars 1711, la « Princesse » et la « Découverte », partaient pour la Chine. Le 3 avril, elles passèrent à toucher une île inhabitée que Dubocage, commandant de la « Découverte », baptisa île de la passion et dont il donna dans son journal la première description, signalant l’existence du lac central. C’est l’île aujourd’hui connue sous le nom de Clipperton, que les français ne purent aborder en raison de l’état de la mer.

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Après l’escale à Guam, désormais traditionnelle, les deux navires passèrent au nord des Philippines, aperçurent Formose et mouillèrent le 12 juin à Amoy, où ils restèrent huit mois. L’accueil des chinois d’abord réservé, devint plus favorable grâce à l’intervention d’un jésuite, et l’on négocia même une sorte de traité de commerce réglant les conditions dans lesquelles les français pouvaient opérer leurs transactions.

Le commandant Dubocage nota dans son journal la rapacité des commerçants chinois et l’extraordinaire xénophobie de la population ; « ce peuple est si marchand qu’il méprise les étrangers au suprême degré et nous regarde comme des barbares avec tout le mépris possible et la canaille nous vomissait en passant dans les rues en nous insultant et en nous jetant des pierres ».

Le 13 juillet 1712, les deux navires prenaient le chemin du retour, passaient au nord d’Okinawa et ralliaient les côtes de Californie.

En janvier 1714 survient une nouvelle série noire à bord de la Découverte. Le 15, Léonard Depont, maitre d’équipage meurt après cinq jours de maladie. Le 25, c’est un matelot d’environ 40 ans, Jean Faulin, de Saint-Valéry-en-Caux et le 30, le matelot Robert Briand qui décèdent à leur tour. Le 27 janvier, deux matelots blanchisseurs, Pierre Julien et Jacques Dupin, désertent en emportant du linge appartenant à Dubocage et à ses officiers ainsi que des marchandises. Le 1er février, le second calfat, Jean Collet, est amarré à un canon. On ne dit pas quelle faute il a commis.

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Le 22 août 1714, alors que « la Découverte » est à Coquimbo, I’écrivain Louis Van Paperzeele, marié la veille avec une Espagnole, déserte et s’enfuit dans la montagne pour ne pas être repris. Le matelot Jean Savary du Havre-de-Grâce en fait autant mais en emportant une malle pleine de marchandises ayant appartenu au chirurgien major Sageran.

Après un long séjour au Pérou et au Chili, la « Découverte » regagna le Havre par la Cap Horn le 23 août 1716, au terme d’un voyage qui avait duré plus de huit ans.

Le Havre laisse l’impression de ne pas avoir donné de grands marins à la France. Et pourtant ces premiers navigateurs français qui ont doublé le Cap Horn et se sont aventurés dans des mers interdites et inconnues avec des cartes imprécises et des instruments de navigation rudimentaires avaient ouvert la voie pour sortir le pays du marasme dans lequel Louis XIV I’avait plongé.

Le Havre : les grands navigateurs

http://www.le-havre-grands-navigateurs-claudebriot.fr/411049050

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Le capitaine Michel Joseph Dubocage :

Sixième d’une famille d’au moins 14 enfants, Michel Joseph Dubocage voit le jour le 28 janvier 1676 en la ville Françoise du Havre de Grâce, quartier Notre Dame. Il est le fils de Nicolas Dubocage, capitaine de navire et de Marie Dufresnil. On ne sait rien de ses premières années. Fasciné probablement par le spectacle quotidien du bassin du Roi, son engagement précoce dans la Marine révèle son envie d’aventure ; c’était l’époque de la Guerre la Ligue d’Augsbourg et des grands corsaires français : Jean Bart, Duguay-Trouin, Forbin. Son ardeur au combat et ses blessures lui valent le grade de lieutenant de frégate à l’âge de 16 ans et une épée d’honneur de la part de Louis XIV. Il sert comme corsaire dans l’escadre de Jean Bart.

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Michel Joseph est capitaine de frégate quand il se marie à Ingouville en 1705 avec Marie Jeanne Boissaye Dubocage, fille de l’hydrographe. De ce mariage naîtra un garçon également prénommé Michel Joseph qui sera anobli et portera le nom de la seigneurie de Bléville. Le père et le fils sont souvent confondus. Décédé en 1696, Georges Boissaye Dubocage avait-il eu le temps de transmettre sa science nautique à son futur gendre ? C’est possible, par ailleurs, il avait un fils prénommé comme lui et également hydrographe.

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Entre le 28 août 1707 et le 23 août 1716, il participe à une expédition commerciale de neuf ans dans l’océan Pacifique à bord de la Découverte aller et retour par le cap Horn. Il découvre le 3 avril 1711 l’île de la Passion actuellement connue sous le nom de l’île de Clipperton.

Fortune faite, il s’imposa à la fin de sa vie comme l’un des bienfaiteurs de la ville du Havre qu’il sauva en 1725 et 1726 de la disette. Mort en 1727, il fut enterré dans le chœur de l’église de Bléville.

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Quoique largement méconnu en dehors du Havre, Michel Dubocage compte au nombre des très grands marins français du début du XVIIIe siècle.

F,Renout

(Administrateur cgpcsm)

Sources :

1) Testament des Fonds de l’Amirauté du Havre ( 216 BP 331)

2) Les archives du pilotage de dunkerque.

3) Claude Briot (récit des aventures de michel Dubocage en 2011)


Documents joints

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