Les masures, fermes typiques du Pays de Caux

lundi 9 juillet 2018
par  Francis RENOUT
popularité : 6%

PNG - 223.1 ko
(François Raoul Billion)

« La grand’ route poudreuse se déployait à travers la campagne normande que les ondulations des plaines et les fermes entourées d’arbres font ressembler à un parc sans fin » (Maupassant, 1887)

PNG - 2.1 Mo

Le Pays de Caux évoque, dans l’esprit de chacun, des stéréotypes de la Normandie tels que les clos de pommiers ombragés, les longues chaumières à colombages, les champs de lin bleutés, les vaches aux robes mouchetées ou encore les hautes falaises de la Côte d’Albâtre. Pourtant, le caractère du paysage cauchois repose aussi sur la forme très particulière de son habitat appelée « masure », « cour-masure » ou tout simplement « cour » par les habitants eux-mêmes.

A travers ces immenses champs de verdure et ces étendues de cultures, par delà ces grands arbres qui gémissent sous le vent, la nature reste secrète, presque sauvage.

PNG - 347.4 ko

Le Pays de Caux est un plateau crayeux, au nord-est de la Normandie, s’étendant sur une grande partie du département de la Seine-Maritime. Ses hautes falaises de craie dominent la mer par endroits d’une centaine de mètres au moins, le plateau pouvant atteindre 150 m d’altitude. Celui-ci est recouvert d’argile à silex et de lœss, ce qui entraîne une riche agriculture, à la fois élevage laitier et culture. 

La masure ou cour-masure, est une prairie, plantée d’arbres fruitiers, entourée d’un talus planté d’arbres de haute taille qui abritent une ferme spécifique du Pays de Caux ,à bâtiments dispersés. On parlait plutôt de fossés , terme qui désignait le talus et le creux de fossé.On trouve ces masures dans un triangle Rouen-Dieppe-Le Havre. La protection contre les intempéries est l’une des fonctions classiquement attribuées aux haies brise-vent. C’est un rôle majeur sur le plateau venté du pays de Caux.

PNG - 2.2 Mo

Une masure comporte généralement une maison d’habitation, une étable, une grange, une charreterie, un colombier, une à deux mares, un potager et un verger. Tous ces bâtiments sont dispersés dans la cour afin, dit-on, d’éviter les risques d’incendies et la propagation des maladies.

La masure semble apparaître progressivement dans le paysage cauchois.
Au XIIe siècle, la ferme se compose d’une maison collée à l’étable, au milieu des cultures céréalières dans une clairière défrichée, puis accroît son espace agraire en même temps qu’elle se diversifie par l’élevage ovin qui nécessite des prés, clôturés par des haies, progressivement plantées sur des talus.

PNG - 2.5 Mo

Ainsi, dès le XVIIe siècle, on constate la présence sur les plans terriers, de bâtiments agricoles dispersés dans une cour et entourés de haies sur talus. Puis, la masure s’est développé par la nécessité de protéger des vents marins plantations et bétail.

La haie d’arbres de haut jet plantés sur un talus, est constituée de chênes, de hêtres et d’ormes et entoure les quatre côté du terrain et forme une ceinture de forme grossièrement quadrangulaire . Ces arbres sont plantés sur des levées de terres d’1,5 à 2,5 mètres de large, et de 60 centimètres à 1,30 mètre de haut.Les arbres sont très serrés, disposés le plus souvent sur deux rangs, en quinconce. Cette haie crée un micro-climat.

PNG - 2.5 Mo

Composés donc d’essences à feuillage caducs, les alignements sont perméables et ralentissent les masses d’air sans les freiner totalement. Un brise-vent efficace protégeant en moyenne une zone équivalente à 15 fois sa hauteur : l’effet d’un talus (fossé) cauchois d’une hauteur de 20 m se fait sentir sur une distance d’environ 300 m. Le brise-vent cauchois est plus efficace si les troncs sont branchus ou s’il existe entre les arbres de haut-jet, un sous-étage d’arbustes ou de taillis.

PNG - 1.9 Mo

A l’intérieur, dans la cour, sont plantés les arbres fruitiers.La diffusion du cidre à partir du XVe siècle dans les campagnes normandes incite les Cauchois à planter des pommiers à proximité de leur ferme, au sein de la prairie abritée du vent.

Coupe-vent pour protéger les pommiers et le jeune bétail, les haies pouvaient également offrir une autonomie en combustible, et fournir du bois d’œuvre (charpente, piquets, mobiliers, outils)

°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°

La maison cauchoise :

Dans une vaste cour d’herbes ceinte d’arbres à haute tige, on reconnaît tout de suite la vieille chaumière cauchoise adossée à son talus, avec un toit de chaume moussu, ses colombages sur un soubassement de pier­res, son allure trapue qui la cache aux regards indiscrets.Orientée vers le Sud ou l’Est, est dotée de multiples ouvertures de ce côté, pour profiter de l’ensoleillement. Elles permettent aussi de surveiller les animaux et de voir arriver les intrus.Elle ne comporte généralement qu’un seul niveau d’habitation,un grenier non divisé et n’a pas de cave.

PNG - 534.5 ko

Bâtiment à colombages plus long que large, chaque pièce ouvre directement sur la cour. Les matériaux utilisés sont des matériaux locaux. Le soubassement ou solin est un mur de pierres de taille ou de silex. Il empêche l’humidité de gagner le bois ou le torchis( mélange d’argile, de paille, plaqué sur des petites baguettes de bois horizontales ) Les murs sont compris entre deux poutres horizontales, la sole en bas, la sablière en haut. Ces murs sont en torchis, divisés en pans compris entre des poutres verticales, les colombes en chêne. Les colombes forment des dessin en croix, chevrons, en losanges. Pour que le torchis ne soit pas trop exposé aux intempéries, il est parfois recouvert de bois, et la toiture est débordante.Cette toiture à 4 pans s’avance, souvent vers l’est en " nez de veau ou "queue de geai " pour protéger un escalier extérieur donnant accès au grenier. La couverture était en chaume( tiges de blé de seigle, aujourd’hui de roseau ) très pentue pour l’écoulement de l’eau. Sur le, faîte on trouve un joint d’étanchéité en argile planté d’iris.L’imposante cheminée de la cuisine constitue l’élément important de l’intérieur de la maison, comme le montre son décor.

PNG - 460.2 ko

Dans les fermes isolées, il faut aller jusqu’au bout du sentier qui traverse la cour et contourner la mare pour atteindre la maison.

°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°

La mare

Elément incontournable de la masure, les mares répondaient au besoin indispensable pour le corps de ferme d’avoir un point d’eau. Le Pays de Caux est un territoire où il pleut de façon abondante or le sol sur les plateaux ne retient pas l’eau de manière naturelle. Les agriculteurs étaient donc contraints de créer une mare artificielle, ce qui était beaucoup moins onéreux que de construire un puits, privilège des clos-masures les plus riches. La mare remplissait plusieurs fonctions. La première d’entre elles, étaient l’usage domestique de la vie de la ferme (alimentation, cuisine, lessive, toilette…), la deuxième était l’usage agricole avec l’abreuvage des animaux et l’arrosage du jardin potager. En parallèle, c’était une réserve en cas d’incendie. Les clos-masures les plus importants possédaient plusieurs mares.

PNG - 530.5 ko

°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°

Le verger

La cour de la masure traditionnel est plantée d’un verger composé essentiellement de pommiers de haute-tige. Quelques poiriers, pruniers ou cerisiers sont plantés ponctuellement. La présence du verger répond en premier à la nécessité de produire une boisson quotidienne : le cidre. Chaque ferme en fabrique pour sa consommation personnelle et les vergers sont omniprésents dans le paysage cauchois au XIXème et début du XXème siècle.

PNG - 918.2 ko

°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°

Les bâtiments :

Dans les grandes exploitations, la grange est un bâtiment volumineux, afin d’assurer le stockage de la récolte et le battage des gerbes. Le grain est stocké ailleurs. Une ferme moyenne a besoin d’une grange
de 500 m3, soit dans le pan de bois, un bâtiment de plus de 10 m de long. Dès le début du XIXe siècle, de nouveaux besoins d’engrangement apparaissent avec le gonflement des gerbes fauchées par rapport aux gerbes sciées et la croissance des rendements. D’où la multiplication des granges à pan de bois ou la construction d’un haut bâtiment en brique.
A l’intérieur, elle comprend deux parties, en liaison avec sa double fonction. Au centre une aire à battre, la « battière » ou « batteresse » où l’on battait le blé au fléau et de chaque côté, des aires de stockage des gerbes, appelées « tas », « tassant » ou « tasserie ».

PNG - 970.1 ko

°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°
La charreterie

C’est un grand bâtiment ouvert, servant à abriter les chariots et les voitures de maître. Il est construit à un emplacement permettant de faire les manœuvres, sans trop mordre sur le verger.
Elle est dotée d’une toiture volumineuse car le comble sert de grenier à grain.

PNG - 911.7 ko

°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°
Enregistrement d’un bail de 8 ans d’une petite ferme à Harcanville,
hameau de Pichemont

Bailleur : Jean Pierre Duglé, propriétaire à Fécamp.
Preneur : César Lacheray fils, employé de fabrique
à Herrenville.
Cette location se compose :

  • 1° d’une masure plantée d’arbres fruitiers édifiée d’une maison d’habitation composée de trois appartements dans lesquels il y a une laiterie, poulailler, étable à porcs, grange avec deux embas et loge derrière, charreterie, fournil,écurie, étable et cellier.
  • 2° Trois pièces de terre en labour.
  • 3° Deux pièces à côté plantées d’arbres, le tout contenant environ 6 hectares 24 ares, 80 centiares.Ainsi que ladite ferme [...]A la charge par le preneur [...] 2° De nantir la ferme de meubles et ustensiles aratoires pour la sûreté du prix ci-après stipulé.
  • 3° De ne pouvoir disposer des bâtiments qu’à usage qui leur est habituel.
  • 4° Le bailleur se réservera le droit de propriété, [...] d’abattre des arbres de haute futaye sans indemnité.
  • 5° Le preneur ne pourra exercer sur ladite ferme la profession de marchand de paille et de fourrage.
  • 6° Il ne pourra faire de marnières que pour le besoin de ladite ferme.
  • 7° Il ne pourra faire d’orge les deux dernières années de la jouissance.
  • [...] 10° D’engranger les récoltes dans les bâtiments de la masure.
  • [...] 12° De ne pouvoir faire plus de 56 acres de colza chaque année.
  • 13° De faire consommer les pailles et fourrages par les bestiaux de la ferme.
  • 14° De ne pouvoir ni décomposter ni dessoler les terres.
  • 15° De faire employer [...] sur les bâtiments 75 glus de la grosseur d’un mètre 75 centimètres.
  • 16° De faire faire tous les ans une journée de maçon avec un manœuvre et deux jours de terrassiers, de fournir la chaux et le sable, qui conviendra pour ce genre de travail.
  • [...]18° De fouir et d’engraisser les arbres fruitiers tous les trois ans jusqu’à la distance d’un mètre 60 centimètres du pied de chaque arbre.
  • 19° De dématter les entes et les arbres après trois années de plantation.
  • [...] 22° De fouir, tresser et tondre les haies vives tous les ans.
  • 23° De fournir la boisson aux ouvriers qui pourraient être employés aux réparations des bâtiments.
  • [...] 25° de marner la masure et les terres qui n’auraient pas été marnées [...].
  • 26° De permettre à son successeur de semer de la graine de trèfle dans se blés et assolements sans indemnité.
  • [...] Le preneur oeuvra à son profit à l’ébranchage les arbres de haute futaye jusqu’aux trois dernières années de sa jouissance.La tombée des arbres fruitiers morts ou tombés par suite
  • de l’impétuosité des vents, en les remplaçant d’une ente de première qualité, il aura soin de les armer contre l’atteinte des bestiaux, et même d’armer ceux qui ne le seraient pas.Outre les charges et conditions ci-dessus, le preneur s’oblige acquitter toutes les impositions prévues et imprévues à laquelle cette location pourra être assujettie. Il fournira tous les ans, deux poulets gris à l’époque des rois ou cinq francs au gré du bailleur.Il paiera à ce dernier à son domicile un loyer annuel en espèces d’or ou d’argent et non autrement, la somme de 750 francs en deux termes et paiements égaux, Pâques et saint Michel [...].Il est encore convenu que le bailleur fournira au preneur des pieux convenables et nécessaires pour soutenir le gros fil de fer destiné à repousser les bestiaux pour qu’ils ne puissent pas atteindre les jeunes arbres.L’élagage des arbres fruitiers sera opéré par les ouvriers du choix du bailleur et seront payés par le preneur.

Bail passé sous seing privé le 16 juillet 1860.
ADSM, 3Q 16 / 95, Contrôle des actes des notaires sous seing privé,
Bureau de Doudeville.

PNG - 2 Mo

Depuis un certain nombre d’années, pour de multiples raisons, les masures disparaissent du paysage local. Dans le contexte de modernisation de l’agriculture et d’évolution des modes de vie, ils sont restructurés ou perdent leur vocation agricole. Les arbres sont abattus, les talus arasés et les mares remblayées. Les bâtiments d’architecture traditionnelle, inadaptés aux nouvelles exigences agricoles, se dégradent. D’immenses bâtiments préfabriqués s’implantent.

Aux abattages des années 1950-1970 a succédé une période de replantation de « brise-vent » soutenue par les pouvoirs publics au titre du paysage. L’article analyse les valeurs aujourd’hui attribuées à ces rideaux d’arbres en termes d’agronomie, de paysage et d’environnement. Cette recherche s’est développée dans le cadre d’un projet d’inscription des clos-masures au patrimoine mondial de l’Unesco

PNG - 572.8 ko

A notre époque depuis les années 1970, on nous parle de "clos masure", alors que le terme exacte est "masure" ou cour masure comme on peut le voir sur ces coupures de journaux datant de 1762 ou de 1866. Les cauchois, en général, parle de masures.

Ce mot "Masure" n’apparaît dans aucun dictionnaire courant, sauf pour désigner une petite maison misérable, vétuste ou délabrée.Le trésor de la langue française , en notant son caractère régional, la définit comme habitation rurale ; ensemble de bâtiments d’une exploitation agricole ; soit comme un herbage clos planté de pommiers ou de fruitiers entourant les bâtiments de la ferme.Les baux de fermage spécifient toujours s’il s’agit d’une masure "édifiée d’une maison" ; et/ou édifiée de bâtiments agricoles. De même l’herbage clos planté de pommiers ou autres arbres fruitiers entourant les bâtiments de la ferme correspond à ce que les cauchois nomment encore aujourd’hui "une cour". La cour est donc un élément constitutif de la masure que l’on peut définir comme un espace clos qui entoure la maison d’habitation, où sont répartis les divers bâtiments de la ferme.

C’est un patrimoine unique au monde que l’on se doit de préserver.

PNG - 326.1 ko

F.Renout
(Administrateur cgpcsm)

Sources :

Didier Bouillon (le clos masure dans l’histoire:exemple d’Ermenouville-études normandes-2008)

https://www.persee.fr/doc/etnor_0014-2158_2008_num_57_3_1742

Photos personnelles (paysages du Mesnil Durdent et une habitation cauchoise à Saint Valery en Caux )


Documents joints

PDF - 169.8 ko
PDF - 143.4 ko
PDF - 143.3 ko

Portfolio

PNG - 192.9 ko