Le marchand de peaux de lapins

samedi 28 mai 2016
par  Francis RENOUT
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Traditionnellement appelé " Père la pouche " ou " Pé la pouque " dans le Pays de Caux.

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Je me souviens qu’autrefois dans nos campagnes du Pays de Caux où nous habitions, il y avait le passage du marchand de peaux de lapins que beaucoup d’enfants craignaient...............................

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Dans les années 1950-1955, il n’y avait pas de supermarchés pour acheter les volailles : on élevait soi-même les animaux dans la basse-cour, tels les pigeons, les poules, les coqs, les canards, les oies, les cailles, les pintades, les dindons, les lapins. C’était souvent une volaille ou un lapin qui faisait le repas du dimanche. Quand on tuait un lapin, il était dépecé et on faisait sécher sa peau.

Les peaux étaient tendues sur des fourchines ou bourrées de paille, puis mises à sécher sous le hangar en attendant le passage du marchand.

Quelle clientèle et où ? :
en 1950, ces marchands ambulants collectaient encore en France un total de cent millions de peaux de lapin par an ! Car toutes les familles élèvaient autrefois quelques lapins pour la consommation personnelle, y compris en ville. Pas de souci d’espace : un clapier se loge partout. Pas de problème d’alimentation : de l’herbe des bords de chemin, les épluchures des légumes et des pommes, des quignons de pain rassis, c’est bon. Le lapin se mangeait le dimanche, et comme on ne jetait rien, la peau servait aussi.

Certaines ménagères avaient appris à la tanner et l’utilisaient pour fourrer des chaussons ou des bottes, ou pour réaliser un manteau ou une couverture. D’autres la vendaient au marchand de peaux de lapins, une sorte d’acheteur ambulant qui passait dans les rues toutes les trois semaines ou tous les deux mois selon la taille des communes. Entre les deux guerres, la collecte se ralentit dans les villes. Elle continua dans les campagnes jusqu’aux années 1970 puis s’arrêta. Les modes de vie avaient évolué : les gens achètaient leur lapin « nu » en boucherie ou en supermarché et les fermiers qui avaient encore un petit élevage personnel jettaient les peaux.

Quel prix d’achat ? :
en 1960, selon la taille, l’épaisseur du poil et son état, le marchand achètait chaque peau de 0,10 à 0,15 F (le smic horaire est de 1,64 F). Il payait plus cher les peaux de lapins blancs, angoras ou bleus. Pour les femmes qui guettaient son passage, les quelques sous laissés faisiaent un revenu d’appoint.

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Pour quel usage ? :
le marchand n’utilisait pas les peaux récoltées, il les revendait. Les plus belles partaient chez des tanneurs ou des fourreurs locaux, les autres étaient destinées aux chapeliers. Il fallait environ cinq peaux pour la quantité de poils nécessaire à la réalisation d’un chapeau de feutre. Selon sa qualité, ce type de chapeau, à la mode jusqu’aux années 1960, consommait entre 75 et 100 g de poils de lapin. Et, comme rien ne se jettait, la peau restée nue était ensuite découpée en lanière pour fabriquer de la colle.

Saviez-vous qu’un marchand de peaux de lapins a fini général ?
Il s’agit de Jean Humbert (1767-1823), marchand de peaux de lapins en 1789, volontaire dans les armées républicaines en 1792, passé général de brigade en deux ans, en 1794 !

Les cris glanés ça et là dans les mémoires des anciens de nos campagnes sont moins rimés mais plus efficaces : « Peaux de lapins, peaux de lapins, peaux ! » ou, selon le parler local : « Piaux de lapins, piaux ! ». JPEG - 52.4 ko
Ça s’entendait de loin ! Selon les époques, il passait à pied avec un sac ou un bâton pour accrocher les peaux, avec une carriole à bras ou à chien, un vélo avec une remorque ou de grosses sacoches, une 2CV ou une 4L sur la fin. Il portait une veste, une blouse (avant 1914) ou un gros paletot aux multiples poches pleines de bouts de ficelles (pour attacher les peaux de lapin) et de billets (pour les payer). Et il n’hésitait pas à s’arrêter quelques minutes pour boire un café ou un petit coup de rouge...

Mais autrefois, pour se faire obéir, les parents cultivaient la crainte pour des êtres imaginaires autant que pour des personnes réelles. Parmi ces personnes réelles se trouvaient le marchand de peaux de lapins, qui à cause d’une disgrâce physique ou de son mauvais caractère, avait une réputation de méchanceté.

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Ces marchands ambulants portaient sur leur dos une grande poche de jute ce qui vaut leur nom de " Pé la pouque ". Cette poche servait à recevoir les peaux de lapins qu’ils achetaient aux habitants.

Les parents menaçaient donc les enfants pas sages en leur disant :" comme vous n’avez pas été sages ,vous allez voir, le Pé la pouche va vous emmener dans sa pouque."

Lors de son passage, on voyait les parents discuter avec le marchand tout en nous regardant. Mais le marchand partait et les parents disaient : " ce sera pour la prochaine fois car là, il n’a plus de place dans sa pouque ".

F.Renout ( sources diverses )


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