Le montreur d’ours ou orsalher
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(Montreur d’ours à Saint Valery en Caux vers 1900)
Avec ce métier plus ou moins disparu, nous allons partir loin des sentiers de notre Pays de Caux. Autrefois, il y a plus d’un siècle, il n’était pas rare de se retrouver aux détours d’un chemin, face à un ours et son propriétaire itinérant. Ce fut le cas, à Saint Valery en Caux, vers 1900, sur les quais ou à Mesnil Val.
(Montreur d’ours à Saint Valery en Caux vers 1900)
Ce métier est pratiqué depuis le moyen âge en France et dans toute l’Europe par les tziganes et les bohémiens. Il apparaît dans des régions pauvres où vit l’animal. Circulant assez librement au XIX ème siècle, ces peuples nomades originaires de l’Europe centrale se déplacent en communauté. Originaires de Roumanie pour la plupart, ils capturent eux-mêmes leurs ours dans les carpates ou en Transylvanie.
(montreur d’ours à Mesnil Val 76)
A partir de la fin du XVIII ème siècle jusqu’à la première guerre mondiale, on voit des centaines d’orsalhèrs (montreur d’ours en gascon) parcourir le pays pour se produire et assurer sa subsistance et celle de son ours. L’ours est un animal inconnu dans beaucoup de régions. Ce métier devient une spécialité quasiment exclusive des habitants de deux vallées ariégeoises:celle de l’Alet et du carbet à la différence des tziganes qui exercent d’autres activités.
Les montreurs d’ours de l’Ariège :
Les montreurs d’ours pyrénéens sont originaires pou la plupart des villages d’Ustou, d’Ercé et du hameau de Cominac. Au milieu du XIX ème siècle, la population d’Ercé, dans l’Ariège, était importante. Après la révolution française, au fin fond du massif des pyrénées, les conditions de vie y étaient difficiles. Les habitants qui vivaient essentiellement de l’agriculture et possédaient quelques vaches, connurent des années difficiles, suite à la maladie de la pomme de terre (mildiou) , vers 1840. Le village connut alors une forte émigration. Ercé est un village niché au creux d’une ancienne vallée glaciaire qui s’étire tout au long du carbet, rivière impétueuse aux eaux vives et limpides.
(montreur d’ours à Luçon, en Ariège)
C’est alors que les dresseurs et montreurs d’ours firent leur apparition. Fuyant la misère, ces hommes cherchent des orsatéras (tanières d’ours) pour capturer des orsas ou orsets (oursons) qu’ils élèvent et dressent avant d’aller parcourir le monde. Ceux-ci n’hésitaient pas à tuer la mère pour s’emparer des petits. Elevé au biberon, il perd son caractère sauvage. Par la suite, il est ferré et on lui pose un anneau autour du museau, pour pouvoir le tenir avec une chaîne.
Une école, unique en France, a été installée dans ce village au cours des années 1850. Elle comprenait deux classes : celle des petits et celle des grands ours. Un enseignement adapté leur était dispensé : cabrioles pour les plus petits, applaudissements au commandement des maîtres pour les plus grands, déjà munis de muselières. Cette école forma tous ceux qui pensaient faire fortune en voulant exercer ce métier. Beaucoup émigrèrent aux Etats Unis où une communauté se créa à New York. Le village d’Ercé est aussi connu comme « la capitale historique des orsalhers », les montreurs d’ours des Pyrénnées Ariégeoises.
Très vite, la région manque d’ours. On en fait venir des balkans via le port de Marseille.
(Montreur d’ours à Saint Agrève en 1904
Le mode de vie du montreur d’ours :
Une fois dressé, le montagnard coiffé d’un béret et armé d’un solide bâton prenait la route avec son ours. Ils partageaient une vie rude, parcourant de grandes distances. Si certains se déplaçaient à pieds de manière solitaire avec leur animal pour seule compagnie, d’autres, comme les roms, dont l’itinérance était leur mode de vie, voyageaient en groupe, tirant leurs roulottes sur les routes. Il se mettait à les exhiber de village en village, moyennant subsides. Ces spectacles de rues attiraient de nombreux curieux. A la fin du spectacle, après la danse de l’ours et quelques simulacres de chasse et de lutte, le montreur d’ours faisait la quête avec son grand béret.
(montreur d’ours à Ercé en Ariège)
Vidéo de Patrick Boudier sur ce métier :
https://youtu.be/XsGUEbIj27I?si=6oMOC_f1Y2N02u1U
L’émigration en Amérique :
La première phase d’émigration commença vers 1850 jusqu’en 1914. Les montreurs d’ours pyrénéens se rendirent compte qu’ils pouvaient gagner leur vie dans de meilleurs conditions, qu’en montrant leur animal aux détours d’un chemin. Certains étaient embaucher dans les cirques comme dompteur d’animaux.
La seconde phase se déroula après la première guerre mondiale. Elle était composé d’une majorité de femmes contrairement à la première phase qui concernait une majorité d’hommes.
Une troisième phase s’est produite après la deuxième guerre mondiale. Une nouvelle vague de la vallée du Garbet émigra aux Etats Unis, accueillie par des parents ou amis arrivés entre les deux guerres. Cette population se concentra plus sur New York mais pour travailler dans l’hôtellerie et la restauration.
Ces émigrants souhaitaient se rencontrer entre personnes de la même vallée. C’est ainsi que s’est créé un point de rencontres dans Central Park, à l’endroit où existaient quelques rochers , qui fut baptisé « le roc d’Ercé ».
Histoire d’émigration d’un montreur d’ours Pyrénéen :
Bernard Rogalle naît le 9 juillet 1830, à Ercé, dans l’Ariège. Il est le fils de Bernard Rogalle Clar Dalliès de la Bouriquète, cultivateur, et de Marianne Géraud Chès. En 1855, âgé de 25 ans, il part à la guerre de Crimée comme soldat, au bataillon des chasseurs à pieds de la garde impériale. Lors d’un combat, il perd son bras gauche, arraché par un boulet de canon russe. A son retour au village d’Ercé, il était incapable de travailler dans les champs avec un seul bras. Il est pensionné (archives pensions civiles et militaires série 11 vol 6 N° 197-251). La maigre pension versée par le gouvernement ne lui suffisait pas pour vivre.
Le samedi 6 février 1869, il se marie avec Catherine Gallin Agassat, née à Aulus en 1842. Le couple aura six enfants entre 1869 et 1880. Pour mieux gagner sa vie, devenu montreur d’ours, il décide de traverser l’atlantique pour rejoindre l’Amérique et y faire fortune. En 1871, ne pouvant prédire la date de son retour, il signe une procuration chez Maître Périssé en faveur de sa femme, ce dernier étant sur le point de quitter la France pour aller exercer la profession de conducteur d’animaux. Le 14 septembre 1871, il fait parti de la liste des passagers pour New York.
Arrivé en Amérique, la vie n’y est pas toujours facile. Des lois ont été promulguées pour empêcher de promener son ours dans les grandes villes. Beaucoup de montreurs d’ours finirent en prison……. « encagés ». Bernard multipliera les voyages entre Ercé et l’Amérique. En 1878, il donne de nouveau procuration à son épouse pour la gestion de ses affaires. En 1881, il voyage au Québec. En 1883, de nouveau à NewYork, il voyage avec sa fille aîné Maria, âgée de 15 ans, devenue son assistante. Maria émigrera à Montréal, au Canada, vers 1890, où elle se mariera.
(Montreur d’ours au Québec-photo d’Alonso cinq mars)
Bernard décède le 8 septembre 1889, âgé de 59 ans, à Montréal, loin de sa famille. Lorsque son épouse Catherine a été informé depuis son village d’Ercé, de la mort « mystérieuse » de son mari à Montréal, elle a envoyé ses deux filles aînées pour en apprendre davantage. A sa mort, Bernard Rogalle a été reconnu comme un héros pour son destin hors norme, au point que la communauté française de Montréal avait payé ses funérailles.
Son fils Auguste, né le 9 avril 1876, émigrera à son tour, vers 1890, à Québec, au Canada. Sa descendante Françoise Lewis raconte l’histoire de sa famille dans un article du Parisien.
Les montreurs d’ours étrangers :
Sur le registre d’écrou de la maison d’arrêt de Gap, on trouve la trace de Nicolas Vidakovitch né en 1878, à Slavina, en Autriche, montreur d’ours. Il fut arrêté pour défaut de visa de carnet anthropométrique.
Le carnet anthropométrique :
https://www.histoire-immigration.fr/collections/le-carnet-anthropometrique-d-identite-nomades
Des femmes exerçaient aussi ce métier comme Hélène Milan Marinkowitch, d’origine serbe, née le 28 avril 1922, à la Rochelle, de parents saltimbanques.
On retrouve aussi ce couple : Lazo Sataganovich et Stana Uranovitch, originires de Bosnie Herzégovine, dont leur fils étienne naît en 1886, à deux heures, sur le champ de foire à bestiaux, à Crest, das la Drôme.
Le 29 juin 1895, la famille Mitrovits, originaire de Bosnie, était arrêtée aux Essarts. Cette famille était composé d’un homme de 60 ans, montreur d’ours, de son fils et de ses deux filles, ainsi que deux autres enfants, ayant avec eux un cheval, une voiture, un ours et deux singes. Cette caravane fut refoulée sur Rouen, sous escorte, pour être ensuite dirigée vers la frontière.
Epilogue :
En moins d’un siècle, à force d’être sans cesse repoussés hors de leur habitat naturel et chassés sans retenue, les ours bruns autochtones se sont retrouvés au bord de l’extinction. Dans cette région de hautes montagnes aux confins de l’Espagne, de la France et de l’Andorre, il ne reste aujourd’hui qu’une vingtaine d’individus. Entre 1996 et 2006, l’état français a réintroduit plusieurs ours venus de Slovénie.
(montreur d’ours à Rouen, en 1991)
A l’heure actuelle, des actions sont menées par des associations pour la sauvegarde du bien être animal. Les conditions de vie des ours détenus en captivité sont contraires à leurs besoins naturels. Malheureusement, ces spectacles sont toujours autorisés en France.
F.Renout
(Administrateur cgpcsm)
Sources :
Escola Gaston Fébus (l’Orsalheur ou le montreur d’ours)
Jean Louis Deschamps (Association des amis d’Aulus et de la vallée du Garbet)
Max Déjean (le montreur d’ours)
Nicolas Berrod (article du journal le Parisien-2018)
Louise Pagé (montreurs d’ours de l’Ariège à l’Amérique-2016)
https://www.babelio.com/livres/Page-montreurs-dours-de-lAriege-a-lAmerique/1018965