Métiers d‘autrefois : l’épinglier ou nonnetier

jeudi 16 mai 2024
par  Francis RENOUT
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On connaît bien l’expression : « chercher une aiguille dans une botte de foin ». Cette expression symbolise la difficulté d’une tâche à accomplir. Voyons ce qu’il en est de ce métier.

Nonnetier est l’ancien nom du métier d’épinglier. Une nonette était une épingle. Chupiner signifie épingler en vieux français. On a connu les épingles de tout temps. L’usage en Egypte date de 4000 ans avant Jésus Christ. Après l’antiquité, l’épingle sera un peu oublié. Au cours de la période médiévale, les vêtements étaient attachés et maintenus par des agrafes, des lacets ou des cordons. Cela était très joli mais peu pratique. Pendant le moyen-âge les dames en usèrent et en abusèrent. Les légers ornements de coiffure nécessitaient l’emploi de milliers d’épingles. Objets de coquetterie, les épingles servaient donc à maintenir les coiffes et coiffures mais aussi pour attacher certaines parties de vêtement.

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Les épingliers se disputaient avec les boutonniers passementiers le monopole de la fabrication des épingles. Ils fabriquaient aussi de petits articles en fer ou en laiton tels que broches, crochets, aiguilles diverses (à tricoter), fibules et agrafes.

Le statut des épingliers :

Dès le XIIIème siècle, les épingliers avaient leur propre statut, leurs privilèges, leur juridiction et leurs sanctions pénales. Les apprentis épingliers devaient être âgés d’au moins huit ans et ne pouvaient être mis au travail qu’après une année de pratique dans l’atelier de son maître. Chaque maître ne pouvait avoir qu’un apprenti et lui devait protection et aide. Les status définitifs de la corporation furent homologués en 1336 et confirmés en 1601, sous le règne d’Henri IV. Par ailleurs, le 20 mars 1601, le métier des épingliers avait été réuni à celui des cloutiers sur la demande des deux corporations. Ils différaient de ceux des aiguilliers formés en corporation en 1557. Les deux communautés furent réunies en 1695, mais la fabrication resta distincte. La patronne connue était Notre Dame.

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En tant que communauté, les maîtres élisaient deux jurés chargés de l’inspection des fabriques et de l’examen des produits. Dans le cas où ces jurés découvraient quelques fraudes, ils en référaient au prévost, auquel ils soumettaient les objets défectueux. Concernant les sanctions pénales, les maîtres ou maîtresses payaient cinq sols d’amende pour toute infraction à la prohibition du travail, les jours fériés. Ils s’exposaient de même, à d’autres sanctions pénales, lorsqu’ils employaient du « fer clié », ou lorsqu’ils prenaient à leur service des ouvriers étrangers à la ville.

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La fabrication d’une épingle :

Rien n’est plus simple et moins façonné qu’une épingle. Et pourtant c’est peut-être le produit dont le travail est le plus compliqué. Sa confection exige dix huit opérations successives.

C’est un morceau de métal pointu à un bout et garni d’une tête à l’opposé. Malgré les opérations délicates nécessaires pour faire une épingle, celle-ci était vendu à un prix très bas. Acheté par écheveaux ronds ou en botte, le fil de laiton, n’est jamais de la grosseur d’une épingle. Il faut le calibrer en le passant à la filière destinée à lui donner la grosseur voulue : c’est ce qu’on appelait aussi raire. Il est sale et doit être décapé avec du tartre.

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Les dresseurs font passer le fil dans un système de pointes de clous disposés en entrelacs ou dans des trous afin de le redresser. Ensuite, le rogneur le coupe en tronçons de la taille de plusieurs épingles. Viens le tour des empointeurs qui ébauchent les pointes sur des meules d’acier, hachées en écouenne ou les préparent sur une meule ; Cette opération terminée, ils les confient aux repasseurs pour les terminer. Lorsque les fils des tronçons sont appointis sur les deux bouts, il faut les couper de la longueur des épingles, pour en faire des hanses, corps de l’épingle.

Pour achever de former l’épingle, il faut garnir de têtes ces hanses. Le têtier, tourneur des têtes, forme une cannetille, c’est à dire un fil de laiton plus fin, qu’il roulait en spirale au moyen d’une roue, sur un fil plus gros, qu’on appelle moule à têtes. Ces fils roulés se nomment des moulées. Il les découpait ensuite en parties égales pour faire les têtes qui étaient ajustées par un bouteur. Puis, il les fixait solidement à une extrémité opposée à la pointe afin d’être adaptée par les petits coups de poinçon de l’étiquette ou tétoir.

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Il faut redonner le jaune aux épingles ou les blanchir à l’étain. Elles sont, pour terminer, piquer avec précaution, dans du papier et ranger dans des carterons.

Quand l’épingle réapparut après le moyen âge, celle-ci était en fer. Par après, les épingles furent fabriquées en cuivre ou en laiton, car ces matières ne rouillant pas, elles ne tachaient pas la dentelle ou les tissus fragiles des coiffes. Ensuite, elles furent fabriquées en acier inoxydable avec une tête à verre multicolore. C’est aujourd’hui le modèle le plus courant des dentellières.

En 1820, Lamnel Wrigth inventa la machine à faire des épingles. Dès lors, les artisans épingliers disparurent.

Conditions de travail :

C’était un métier très malpropre. Le travail le plus dangereux au cours de la fabrication était surtout pour le repasseur et l’empointeur qui produisaient une poussière de laiton très nuisible à leur santé. L’air qu’ils respirent est rempli de limailles qui entrent par le nez et la bouche. Elles s’attachent ensuite aux endroits où elles s’arrêtent et y contractent la rouille. La rouille du laiton est du vert de gris, c’est à dire un poison.

Les empointeurs les moins solides meurent assez jeunes de maladie pulmonaire. Pour les autres, ceux-ci arrêtent leur métier entre 40 et 50 ans si leurs moyens leur permet. L’autre inconvénient, la limaille en volant s’accroche aux cheveux et les rend d’un vert vif. Il en est de même pour les gencives qui deviennent d’un noir verdâtre. Cette limaille encrasse aussi les dents et les gencives. Mêlée à la salive, elle tombe dans l’estomac.

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Les épingliers en Seine Maritime :

Au XVIII ème siècle, d’après le dictionnaire des métiers de Daniel Boucard, il y avait quarante épingliers à Rouen. En voici quelques noms : Pierre Delalonde (paroisse saint maclou), Claude Leroy, Jean Pierre Douvenot, Charles Tesson, Jean Baptiste Chrestien et bien d’autres.

Les épingliers dans l’eure :

A partir du XVI ème siècle, à Bourth, les moulins sur l’iton sont transformés en usines à fer : le fourneau, la forge, la fenderie, la tréfilerie de chéraumont. Le minerai de fer est extrait du sol où il affleure. La fabrication des épingles das des ateliers familiaux occupent , pendant des siècles, la majeure partie de la population. Une rue porte le nom dans le village.

A Francheville, l’industrie du fer est florissante. En 1779, on fabrique beaucoup d’ouvrage en fer. Les habitants sont épingliers ou ferronniers. La fabrication des épingles se fait dans des ateliers familiaux. La marchandise est vendue sur les marchés et bien au-delà du département. Des ambulants représentés souvent par des miséreux ou des enfants, arpentaient les rues des villes ou des villages avec des morceaux d’étoffes sur lesquels étaient fixées des épingles. Après la révolution, le pays d’Ouche réussit à surmonter la crise et travaille à la fourniture des armées. La fabrication de l’épingle sombre vers 1870.

Depuis le XV ème siècle, la fabrication des aiguilles et des épingles est une tradition de la ville de l’Aigle. En 1747, 6000 personnes sont employées dans 400 ou 500 épingleries. Ces petits ateliers deviendront des usines , qui s’implantent sur des parcelles de moulins, au bord de l’eau. La risle a permit au pays d’ouche de se développer. Cette fabrication était vendue en France mais aussi en Italie, en Espagne et dans tous les ports du nord de l’Europe. Ce négoce fut à la base des plus importantes fortunes de certains habitants de cette ville ; tels les Boislandry et les Collombels. L’Aigle a conservé des rues entières qui serpentent le long des nombreux bras de la risle, ainsi que l’atmosphère que pouvait avoir cette petite citée commerçante, au XVIII ème siècle.

Epingliers de l’Aigle en Normandie :

https://www.annales.org/gc/1999/gc09-99/35-51.pdf

La vallée des épingliers aux confins du pays d’Ouche :

https://www.escaporne.fr/pdf2024/il_etait_une_fois/2-talents-aiguille-2024.pdf

Voici quelques patronyme liés à cette activité : pinglier, chupin…..

C’est un savoir faire que la Normandie peut s’enorgueillir. Elle est encore le fief incontesté de la profession.

F.Renout
(Administrateur cgpcsm)

Sources :
Extrait de l’histoire anecdotique des méiers (1892)
arcoma (de l’ouvrage description des arts et métiers de l’académie des sciences de Paris-1777)
Jean Louis Peaucelle