Les perquilleurs ou « Perquilleux » cauchois

samedi 24 février 2024
par  Francis RENOUT
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Qu’appelle t-on perquilleur ? Avez vous déjà entendu parler de ce terme et que désigne t-il ? Le perquilleur, perquilleux ou parquilleux désignait un pêcheur côtier du littoral du Pays de Caux. Quel genre de pêche pratiquait-il ?

Jusqu’au milieu du XIX ème siècle, voir après 1900 dans certains endroits, les pêcheurs utilisaient des « perquiers », « parc » ou « haut parc » pour piéger et capturer les poissons. C’était un ensemble de perches ou « perques » en bois, employés par les pêcheurs, pour y fixer leurs filets sur l’estran.

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Selon l’étude sur le langage de la banlieue du Havre, par l’abbé Maze en 1903, les perquilleux ou parquilleux, sont à Saint Jouin, des personnes ayant à la mer un parc pour pêcher les poissons.

Types de pêcheries fixes :

On distingue quatre types de pêcheries :

Les grands parcs, appelés localement parquets ou perquis, comme à Dieppe, Saint Valery en Caux ou au Havre.
1) Les bas parcs ou ravoirs comme au Tréport ou à Bruneval.
2) Les écluses en pierre dont on retrouve une seule trace près des Petites Dalles.
3) Les verveux appelés rafles utilisés pour la première fois au XVIII ème siècle à Veules les Roses. C’était une sorte de nasse installée par rapport à deux filets tendus.
4) Les guideaux, filets coniques utilisés strictement dans la partie basse de l’estuaire, à Harfleur ou Gonfreville l’Orcher et sur la rive gauche de la seine entre Quillebeuf et Villerville.

Constitution d’un haut parc :

Ceux-ci étaient implantés perpendiculairement au trait de côte. Ils sont constitués de perches de 5 à 7 m de haut, portant les filets, dessinant une longue chasse de 100 à 150 m de long environ, aboutissant vers le large à une vaste chambre en forme de cœur, de 250 à 300 m², appelée enceinte ou acul. La base de la chasse est souvent plantée de piquets tous les 50 cm environ. Ceux-ci retiennent la base du filet. La base de l’enceinte est soit renforcée d’un double rang de piquets et d’une paroi de planches à champ ou un entrelac de branches formant un clayonnage (appelé voilard à Dieppe), soit armé de pierres dans les endroits très exposés aux vagues. En Seine Maritime, la retenue du poisson se fait à l’aide d’une grille située à la base de l’acul. On venait à marée basse récupérer le poisson.

Les hauts parcs, du fait de leur dimension, constituaient des pêcheries difficiles à construire. D’emploi très astreignant, celles-ci revenaient très cher à entretenir.

La destruction des parcs a été définitive dans la deuxième partie du XIX ème siècle sur le Havre. En revanche, sur le littoral jusqu’à Dieppe, il a fallu attendre les années 1920.

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Constitution d’un bas parc ou ravoir :

Ceux-ci étaient implantés perpendiculairement au littoral. Ils se composent de perches de 1 à 2,50 de haut, espacés de 1 à 3m et soutiennent un filet de 30 à 100 m de long dont la base est libre le plus souvent. Des ravoirs portant des filets spéciaux dits tessures, peuvent être posés spécialement en automne pour la pêche du hareng comme au Tréport.

Constitution d’un parc à crochets :

Appelé aussi parc à l’anglaise, implanté suivant le même principe qu’un ravoir, l’extrémité orientée vers le large est recourbée en forme de crosse comme à élétot.

Histoire des parcs au cours des siècles :

On trouve peu de récits concernant ces pratiques jugées à priori comme annexes et sans réelle importance sauf dans les nouvelles de Guy de Maupassant ou d’Alphonse Karr. Il existe aussi peu de photos ou de tableaux représentants ces perquiers. On trouve quelques peintures de Claude Monet ou Marie Beyle. Pourtant cette pratique perdurera en Seine Maritime depuis l’époque médiévale jusqu’au lendemain de la seconde guerre mondiale. Les premiers textes règlementaires concernant les pêcheries littorales du royaume remontent au règne d’Henri III suite à l’ordonnance de mars 1584. L’aveu de Nicolas De Bailleul, daté de 1634, permet de savoir que ce seigneur détient un demi-fief de Haubert, à Vattetot sur Mer, en la vicomté de Montivilliers. Ce fief donne droit de parcs et de pêcheries des paroisses d’Etigues jusqu’à la descente à la mer d’Yport. En 1724, sur une requête de Louis XV, le commissaire Le Masson du Parc parcoure le littoral du royaume, pour inventorier l’ensembles des pratiques et techniques employées par les pêcheurs. Il partira du Tréport le 24 août 1723 pour arriver au Havre le 15 mai 1724, en ayant parcouru l’ensemble du littoral.

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En ce qui concerne les parcs, ce document servira pour le maintien ou la destruction de ces derniers pour ceux qui ne pourraient justifier d’un usage ancien enregistré et déclaré. Le Masson du Parc recense 250 emplacements et 184 parcs en activité. Il note également que sur la paroisse de Veules les Roses, on trouve un nouveau piège appelé « raffle », qui est un verveux ou bouchot, datant de juillet 1723. Ce procédé sera ensuite largement utilisé sur l’ensemble du littoral cauchois. Plus tard, en 1795, Noël de la Morinière dressera un état des ressources et des pratiques concernant la Seine Inférieure.

En 1877, le « magasin pittoresque », magazine français illustré publié de 1833 à 1938, donne la description d’un haut parc, situé à Saint Valery en Caux. Ce document intéressant est accompagné d’une gravure. Il certifie la perpétuation de cette pratique de pêche connue sur notre littoral depuis au moins le XVIII ème siècle. On en trouve également à Fécamp suite à un récit de J.Vital datant de 1878 ; deux à étretat :l’un au nord accessible par la valleuse Monnier ; l’autre au sud sur la plage de Jambourg, appartenant aux seigneurs de Fréfossés ; et un aussi à Vaucottes. Une carte du littoral de Dieppe, réalisé au XVII ème siècle, montre au droit de la citadelle, deux hauts parcs, situés un derrière l’autre. La carte de Hantier, dressé en 1673, montre de nombreux hauts parcs de pêche situés au niveau des plages de Sainte Adresse, Sanvic et Ingouville.

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En ce milieu du XIX ème siècle, les pêcheries des rives de l’estuaire de la Seine et du littoral cauchois, permettent la survie d’une frange de population fragile, pauvre mais sans être marginalisée , qui survit à proximité immédiate des côtes, en exploitant les ressources naturelles du littoral.

Recherches concernant le métier de perquilleur :

Les passionnés de généalogie retrouveront assez facilement au cours de leurs recherches ce métier de perquilleur, mentionné sur les actes des registres paroissiaux ou sur les actes d’état civil de Seine Maritime, des villes ou villages du bord de mer.

Par contre, le terme « perquilleuse » est plus rarement mentionnée. On le trouve vers 1820, sur un acte à Criquebeuf en Caux, concernant Catherine Victoire Marie Anne Fiquet, veuve de Charles Benoit Poret, dit le charmant. Ceux-ci s’étaient mariés le 12 février 1787, à Vattetot sur Mer. Leur fils Jean Baptiste né en 1789, sera lui aussi perquilleur. Le père de Charles, Jacques Poret dit « Queton » était poissonnier et perquilleur.

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On trouve quelques familles exerçant ce métier sur la paroisse de Vattetot sur mer. Les familles Thieulant, Lécuyer, perquilleur depuis plusieurs générations ; les familles Enault, Levasseur, Huet, Michel, Carpentier, etc....Souvent, ces chefs de famille avaient un autre métier.

Je me suis rendu récemment au cimetière de Senneville sur Fécamp, pensant pouvoir retrouver une tombe, sur laquelle était représenté un haut parc. Malheureusement, je ne l’ai pas vu !Dans celle-ci reposait le corps de Mr Lavoipière, ancien perquilleux, connu sous le nom de « Pé Lavoipié ». C’est en souvenir de sa passion que l’on trouve cet ornement sur sa tombe. Senneville sur Fécamp a laissé sa trace dans l’histoire au travers d’un chant de marin intitulé « les gars de senneville ».

Francis Renout
(Administrateur cgpcsm)
fc.renout@free.fr

Sources :
Thierry Vincent, historien (pêcherie et pièges à poissons du littoral de la Seine Maritime)
Actes sur les registres des archives départementales de Seine Maritime
Benjamin Beauvais (article sur le Courrier Cauchois du 8/11/2013)