Les couvreurs en chaume ou Waretiers
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( Histoire d’une famille cauchoise :La famille Toutain, chaumiers de père en fils depuis le XVII ème siècle)
Le chaume et la Normandie c’est toute une histoire. Mais il faut savoir que le chaume était la toiture paysanne dans toute l’Europe, durant le moyen-âge. Autrefois, être né sous le chaume signifiait avoir eu une enfance misérable. Au détour d’un chemin creux, entre ces hauts « fossés » d’où jaillit un rideau de hêtres, la masure cauchoise se laisse entrevoir avec ses bâtiments épars. La masure, chaumière ou longère, construction traditionnelle de nos ancêtres, était par définition l’humble demeure paysanne d’antan, faite de bois, de torchis et de paille, matériaux que l’on trouvait sur place et au moindre coût. Elle abritait les familles et les animaux de la ferme. Il s’agissait de logis où régnait la misère et le manque d’hygiène. A notre époque, il s’agit au contraire de maisons chaleureuses très recherchées.
Le Waretier est l’ancien nom du couvreur en chaume ou chaumier. Autrefois, le chaume était le mode de couverture le plus employé dans les villages depuis les gaulois jusqu’à la fin du XVIII ème siècle. Dans les textes des XIV et XV ème siècle, on appelait ces artisans des « couvreurs de gluy ».
Le terme de chaume concerne toute toiture végétale faite de paille de blé, de seigle, de jonc, de roseaux ou sagnes, de genêts ou de bruyère. Suivant la région, le toit de chaume présente une composition différente. Dans les régions agricoles on trouve plutôt des toits en paille, tandis que dans les régions marécageuses, on trouve des toits en roseau. Chaque matériau requiert une pose spécifique. Ces toits ont souvent une forte pente à 60°, afin de faire face aux vents à la pluie et à la neige. Bien que la paille noircisse avec le temps et les intempéries, elle ne pourrit pas. Avec le temps, le chaume se couvre de mousse. Certains propriétaires le font retailler pour des raisons esthétiques ; bien que ce ne soit pas un inconvénient. Au contraire, la partie ancienne préserve celle du dessous.
Les anciens baux de fermage stipulaient qu’une partie de la couverture des bâtiments loués devait être restaurée chaque année. Autrefois, un toit de chaume n’était jamais refait entièrement.
Lorsque la culture du seigle est entièrement tournée vers la production de chaume, sa récolte a lieu en mai ou juin, au moment où la fleur tombe, avant la formation de grains, pour garder toute la souplesse de la paille. Celle-ci ainsi coupée, reste à blanchir au sol une dizaine de jours, avant d’être liée en gerbe et relevée en tas, pour terminer de sécher. Les gerbes sont ensuite stockées sous abri avant d’être triées. La paille de seigle est ensuite peignée pour éliminer les herbes de pied et les tiges brisées, poignée par poignée, à l’aide d’un râteau fixé à la verticale. Elle est ensuite liée en bottes régulières, d’une hauteur variant entre 1,60m à 1,80m. Prêtes à être utilisées, les bottes de paille sont directement posées sur la couverture.
Avant le XIX ème siècle, les récoltes de céréales étaient manuelles. On utilisait principalement la faucille à dents puis par la suite la faux ou dail. On ne désherbait pas. L’herbe était donc coupée avec les tiges de céréales, puis mises en gerbe. Ces gerbes groupées par douze environ, étaient ensuite dressées pour en assurer le séchage.
A partir du XV ème siècle, les incendies ravageurs dans les villes surpeuplées conduisent progressivement à l’interdiction du chaume. Vers le milieu du XIX ème siècle, le toit de chaume a été remplacé par d’autres couvertures comme l’ardoise, la tuile de terre cuite ou la taule pour des raisons de sécurité. A cette époque, on s’éclairait encore à la lampe à pétrole ou à la bougie et les risques d’incendie étaient nombreux. En voici quelques exemples dans le Pays de Caux :
L’incendie de Veules les Roses :
Le vendredi 6 juillet 1781, vers les 9h du soir, un feu prit dans le bourg, par la négligence d’une femme qui avait laissé un enfant seul chez elle. La maison était voisine de l’église Saint Martin située au centre du village. L’incendie alimenté par la paille des toits, se propagea dans toute la partie du bourg qui va à la mer. Plus de 160 maisons de la paroisse Saint Martin et de la paroisse Saint Nicolas furent la proie des flammes. Le feu n’a cessé qu’une fois arrivé à la mer quand il n’avait plus rien à brûler. N’ayant pu sauver aucun meuble, des dizaines d’habitants furent réduits à la misère. Ceux-ci restèrent sans pain, principale nourriture à l’époque. Les maisons des boulangers et des cabaretiers furent détruites entièrement. Les dommages causés par ce sinistre furent estimés à 337 livres ; ce qui est une perte énorme pour ce village.
Les incendies de Bolbec :
La ville de Bolbec a subi une série d’incendies, un premier en 1583 détruisit 800 maisons, un second en 1676 ne fut que partiel, un troisième en 1696 détruisit presque toutes les maisons du bourg, et le dernier en 1765 le 14 juillet ne laissera que 10 maisons....................
Lors de l’incendie de 1676 et de 1696, presque la totalité des minutes du notariat furent brûlées.
Le troisième incendie arriva le dimanche 14 juillet 1765. Un boucher protestant, nommé Leluc, ayant tué en cachette un porc, voulut le brûler pendant la grande messe dans une petite cour.
La paille prit feu, et le propagea à sa maison puis les flammes se communiquèrent aux maisons voisines. Vers 13h30, le vent qui soufflait fort, poussa les flammes, de maisons en maisons jusqu’au bout de la ville. En deux heures de temps, 900 maisons furent réduites en cendre. L’église ne fut point exemptée et les cloches fondirent en tombant. Beaucoup d’objets précieux entreposés dans cette église, endroit que les habitants pensaient être épargné, furent entièrement détruits. L’incendie dura presque deux jours.
Outillage du Couvreur en chaume :
Les outils du Waretier ou couvreur en chaume sont les fauchets, les palettes ou pâles, la chaise ou chevalets, la batte ou battoir, les aiguilles (sorte de faucille réalisée à partir de dents de râteau), la crémaillère et le couteau. Cet outillage a plus ou moins changé au cours des siècles. Le chaumier conçoit lui même ses outils.
Les pâles sont taillées et creusées de cavités par le chaumier. La pâle sert à égaliser le chaume. Assis sur la charpente de la maison, le chaumier le tient à deux mains et en tape la pointe des chalumeaux pour les tasser, les niveler et parfaire la surface extérieure du chaume.
Dans la méthode normande, à notre époque, les chaumiers disposaient des rangs successifs de roseaux, du bas vers le haut, sur une trentaine de cms. Ils étaient montés en « passés »superposées, composés de quatre à cinq paquets de chaume. Le faîte était ensuite consolidé avec un mélange de chaux et de ciment mais il pouvait être végétalisé avec des iris plantés dans une terre argileuse compacte.
Technique de pose :
La structure de la charpente qui supporte le chaume est simple. Tous les 20 cms, des lattes sont clouées en travers des chevrons. Elles servent, avec la baguette de noisetier, à la fixation de la paille.
Retenu par l’étrier, dont le crochet se plante dans l’épaisseur du toit de paille, le chaumier progresse sur le toit. La grosse aiguille où est enfilé le lien, traverse la paille. Il s’agit de passer derrière la latte et remonter à la surface pour faire un nœud sur la baguette de noisetier. Au XVII ème siècle, certains utilisaient des tiges de ronces. Un serre-joint, prit sur la latte de la charpente, permet de stabiliser et fixer l’ensemble.
La famille Toutain, chaumiers de père en fils :
Du XVII ème siècle au XIX ème siècle, pendant plus de 200 ans, la famille Toutain exercera ce métier artisanal dans le Pays de Caux. Je n ‘ai pas choisi cette famille au hasard !Celle-ci est présente à Sotteville sur Mer, depuis la nuit des temps ! On en retrouve les premières traces dans les archives à partir de l’année 1580. C’est dans ce village côtier, bordé par la falaise, où se dissimulent les masures, le long de ses cavées tortueuses bordées de fossés, que se trouve le berceau de cette famille.
Le premier membre de cette famille a être mentionné comme couvreur en chaume est Jacques Toutain, en 1702, âgé de 40 ans, fils de Pierre et de Marguerite Vallet, marié le 10 janvier 1702, à Sotteville sur Mer. Il décède un an plus tard, le 25 mars 1703, sans descendance.
On va donc s’intéresser à son frère Pierre qui, lui, a une descendance. Pierre est aussi couvreur en chaume. Né sous le règne de Louis XIV, il se marie le samedi 7 novembre 1705, à l’église Notre Dame, à Sotteville sur mer, avec Anne Françoise Boulet. Tous deux sont âgés d’environ vingt ans. Neuf enfants vont naîtrent entre les années 1706 et 1720. Malheureusement, le 17 octobre 1722, Anne Françoise décède certainement suite à un accouchement, âgée de 39ans. Il est très difficile pour Pierre d’aller à son travail et de pouvoir s’occuper de ses enfants. Il ne peut pas trouver d’aide auprès de sa mère qui est décèdée aussi la même année, pendant l’hiver, le premier février. Les fils aînés ou plutôt des membres de la famille ont du remplacer leur mère pendant quelques mois. Pierre se marie en secondes noces, avec Marie Anne Fichelou âgée de 25 ans, le 7 juillet 1723. Dix enfants naîtront de cette nouvelle union.
Parmi les nombreux fils de Pierre, trois deviendront couvreurs en chaume : Vincent et Pierre, les aînés de la première union et Adrien né du second mariage. La relève est donc assurée.
Vincent se marie le 20 janvier 1728, avec Geneviève Lheureux, à l’église Saint Pierre, à Saint Pierre le Vieux, village situé à un peu plus d’une lieue de Sotteville sur Mer. Cette église est située à mi-pente d’un vallon dominant la rivière du Dun. Par la suite, le couple s’installe dans ce village et aura dix enfants. Pierre, le fils aîné naît la même année le 18 octobre. Il ne continue pas le métier de son père et deviendra fillassier, tisserand. C’est son frère, vincent, né le 3 août 1743, qui reprendra la suite de son père.
Vincent fils se marie le 22 février 1773, en l’église de Tocqueville en Caux, avec Anne Marie Gouel, orginaire de Vénestanville. Les fiançailles eurent lieu au même lieu, la veille du mariage. Cette année 1773 fut aussi marquée par le décès de ses parents . Sa mère Geneviève décède le 15 février, sept jours avant le mariage de son fils. Quand à son père Vincent, il meurt à son tour le 14 décembre. Est-il allé aux inhumations ? Bien que seulement trois lieues séparent les deux villages, il est difficile à cette époque d’être prévenu à temps et de pouvoir se rendre à temps pour l’inhumation. En effet, sa mère a été inhumée le jour de son décès. Par contre, on note la présence de ses deux frères aînés Pierre et François qui habitent le même village. François, employé dans les fermes du Roi, se marie aussi en cette année 1773, le 4 mai, avec Rose Bonne Dupuit, à Saint Pierre le Vieux.
Vincent et Anne Marie habiteront Tocqueville en Caux jusqu’à 1776 voir 1779. Trois enfants vont y naître. Par la suite, ils iront s’installer à Biville la Rivière, village voisin. Trois possibilités s’offrait à eux pour rejoindre ce lieu : soit en passant par la ferme des champs, puis le chemin des huguenots, soit par la forière, en lisière de champs et de bois ou soit par le chemin aux ânes. Pendant que Vincent exerce son métier de couvreur en chaume, Anne Marie est fileuse. Deux autres enfants y verront le jour en 1780 et 1782. Ses fils aînés, Guillaume vincent né le 10 niovembre 1773 et Jean Jacques Marin, né le 28 décembre 1776, continueront le métier ancestral.
Descendants de Guillaume Vincent :
Guillaume Vincent se marie le 5 complémentaire de l’an XII (22 septembre 1804) avec Marie Rose Bréant, à Biville la Rivière, petit village bordé par la saâne. Il est mentionné couvreur en paille. Cette précision est intéressante. En général, on utilisait plutôt la paille de blé.
Leur fils François Marc né en 1808 deviendra à son tour couvreur en chaume.Il se marie le 13 septembre 1853, à Venestanville, avec Catherine Marie Eugénie Martine, tisserande.
De cette union naît François Louis Edmont, le 10 mars 1854, à Royville. Ce village à une église dédiée à Saint Martin. Les églises dédiées à ce saint, se trouvaient en général situées au carrefour de grandes routes antiques, et servaient de halte aux voyageurs, qui pouvaient y passer la nuit à l’abri. Coïncidence, on y trouve des plaques de cochers.
A l’âge de 25 ans, il prend pour épouse Séraphine Joséphine Grenet, le 22 avril 1879, à Brachy. Avec lui se termine pour cette branche, ce métier de couvreur de chaume vers 1910.
Descendants de Jean Jacques Marin :
Agé de 23 ans, Jean Jacques Marin se marie le 30 ventose de l’an VII (20 mars 1799), à Bacqueville en Caux, avec Marie Thérèse Langlois, originaire dAuzouville sur Saâne. En cette année, la France vient de déclarer la guerre à l’Autriche. Si l’aîné des enfant naît à Biville la Rivière, les sept autres enfants vont naître à Royville où le couple à déménager, à partir de 1802. Au fil de ces changements d’habitations, les descendants de Pierre sont toujours couvreurs en chaume un siècle plus tard. L’aîné des enfants, Jean Emmanuel voit le jour le 31 janvier 1800 à Biville la Rivière. Les sept autres enfants du couple naissent à Royville, entre 1800 et 1811.
Jean Emmanuel continuera le métier de son père avec qui il a apprit tous les rudiments inhérent à ce travail. Sa vie durant, il habite Royville jusqu’à sa mort le 31 janvier 1865. Marié en premières noces le 1 juin 1829, à Royville, avec Suzanne Scolastique Fossé, tisserande,celle-ci décède quatre ans plus tard. De nouveau, il se marie en secondes noces, avec Rose Scolastique Prunier, le 15 mai 1836, dans son village. De domestique, Rose sera fileuse, puis trameuse au cours de sa vie. Deux enfants naissent dont Marcellin Sénery le 29 octobre 1838, à Royville.
Marcellin Sénery sera le dernier des descendants à exercer le métier de couvreur en chaume à Royville juqu’en 1896. Il meurt le 19 octobre 1898, à Bacqueville en Caux. Auparavant, il se marie le 24 avril 1865, à Lammerville, avec Elizabeth Caron.
Epilogue :
Ainsi se termine la saga des couvreurs en chaume de la famille Toutain, après deux siècles de transmission de ce métier, au travers de nombreux descendants et sur diverses branches. Pendant ce temps, les femmes étaient vouées au métier du fil:tisserande, trameuse, fileuse et plus tardivement ménagère.
F.Renout
(Administrateur cgpcsm)
Sources :
Alexandre Vernon (Extrait du magazine patrimoine Normand)
Jean Cuisenier (l’art populaire en France)
Michel de Bouard (notes sur les matériaux de couvertures utilisés en Normandie au moyen âge)
Archives départementales de Seine Maritime (registres paroissiaux et cadastre)