Le voyage de "Lucie" en Cochinchine.
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Partir sur mer n’est jamais sans risques. Même si de nos jours les voyages ne sont plus des expéditions à risque, il n’en a pas toujours été ainsi. Par le passé, les destinations les plus lointaines sont souvent les plus à risque, les plus riches en évènements en tout genre.
Entre 1858 et 1878, 20 navires sont partis pour Hong-Kong. Ils représentent 27 désarmements dans le port du Havre. La durée moyenne du voyage est de 24 à 25 mois. 7 bateaux sombrent ou sont vendus au cours de ces voyages, soit 35 % des navires.
À ce jour, deux navires construits à Dieppe sont répertoriés pour cette destination. Le trois mats, la « Ville-de-Dieppe » parti en 1861 et « Lucie » trois ans plus tôt.
Intéressons-nous à ce dernier. C’est un trois mats de 614,99 tonneaux construit au chantier naval de Dieppe en 1854. Ce navire appartient à M Sellier et compagnie. Navire inscrit à Dieppe F° 75 et N° 223. Le navire et son coffre de médicaments sont visités le 06 août 1858. Cinq jours plus tard, le navire chargé de charbon est armé à Dieppe (Armement n° 116) à destination de Hong-Kong. Parmi les 22 membres d’équipage, sept Dieppois sont à bord. Les 21 marins sont sous le commandement du capitaine Michel Leber. Ce marin est inscrit maritime de Lorient ; chargé de deux paquets à l’adresse du commandant de la station des mers du sud, il doit mener ce 3 mats à Hong-Kong.
Le salaire mensuel du capitaine est de 150 frs, son second de 135 frs. Pour un lieutenant, c’est 120 frs et 70 frs pour le charpentier. Les matelots gagnent 50 frs. Tous les marins touchent une avance sur salaire. Le montant total représente la somme de 3930 francs.
Après six mois de mer, le navire arrive à bon port le 3 février 1859. Il en repart trois semaines plus tard, à destination de Tourane en Cochinchine (Connu sous le nom d’Annam et actuellement Dà Nang au Vietnam Il s’agit d’une erreur de localisation assez commune car le découpage de l’époque situe Tourane en Annam, la Cochinchine étant la partie Sud Comprenant notamment Saïgon et le delta du Mékong.) chargé de bœufs pour les troupes françaises.
C’est un aller-retour qui ne dure que quatre jours. De retour à Hong-Kong le 27 avril, un homme d’équipage est débarqué malade et laissé à l’hôpital St-François. Dix jours plus tard, Hamon Jean-François, marin de Paimpol décède le 08 mai 1859. Ses effets sont vendus à bord, au reste de l’équipage pour la somme de 160 francs. Sa femme en reçoit 22. En mai et juin, le trois mats chargé de provisions va effectuer deux autres aller et retour vers Tourane. Ces voyages vers la baie ne sont pas répertoriées comme escales.
Tout ceci mérite quelques explications (« La conquête de Tourane, 1858-1860. L’Expérience d’une défaite coloniale au Viet Nam » Un document de Blandine Boltz) : Une expédition française à lieu dans cette baie ; la longue bataille de Tourane débute le premier septembre 1858 (Expédition Franco-Espagnol de Cochinchine), les autochtones tiennent 5 positions fortifiées et protègent cette baie de 11 km. 13 navires français sont sur place. L’infanterie de marine fini par prendre position au prix de lourdes pertes. Le but est ensuite d’atteindre la capitale Hué. Cette expédition est un échec.
La méconnaissance de cette région mène l’armée Franco-Espagnole dans une impasse. La méconnaissance des maladies fait le reste. Chaque mois, c’est une moyenne de 93 décès dus au paludisme, choléra, dysenterie ou fièvre Typhoïde ; c’est dans ces conditions que le trois mats "Lucie" va ravitailler les troupes françaises. Il ne fait donc pas escale mais reste dans la baie ; c’est probablement pour cette raison que ce voyage n’est pas répertorié comme escale sur le rôle de désarmement.
Devant ce fiasco, la France en tire les conclusions et va quitter les lieux pour se concentrer sur la région de "Saïgon". la Lucie fait son cinquième voyage pour Tourane fin juillet 1859. Le dernier soldat évacue les lieux moins d’un an plus tard, le 22 mars 1860.
L’aventure du navire Lucie continue. Le 11 juillet 1859 Louis Julien Prigeant, marin de Vannes, quitte le navire. Il embarque à Hong-Kong sur le Bangkok un 3 mats de Bordeaux. Le 16 septembre 1859, c’est un échange d’équipage. Gelée Édouard est débarqué à Tourane pour passer sur l’Amiral Hamelin et Alfred Lafleur, un novice né et inscrit à Dieppe, est embarqué provenant de ce même navire. Ce dernier débarque trois mois plus tard pour passer sur la corvette Le Primauguet.
Le 15 octobre à Hong-Kong, le capitaine décide de compléter l’équipage. Il embarque pour cela deux matelots. Cazeau Armand domicilier à la Teste et Paoloni Gaspart tous deux provenant du jean-Bart. Le 10 novembre, Alcide Lahalle, capitaine au long cours inscrit à Morlaix est embarqué. Il provient d’un navire naufragé à Macao. Ce dernier sera débarqué en rivière de Saïgon le 16 janvier 1860. Bourne Constant, un marin du quartier d’Auray décède à l’hôpital de Macao le 23 novembre 1859. Le 3 mars 1860, alors que le 3 mats est encore à Tourane, Lebrun Jean, matelot de Paimpol est débarqué du Lucie et passe sur « l’Alanne ». Le 07 mars 1860 C’est Joseph Lepellec qui embarque à sa place sur la Lucie.
Le 19 septembre 1860, Bellefleur Pierre Adolphe Eugène (né le 11 novembre 1837), domicilié et inscrit maritime à Dieppe décède à l’âge de 22 ans. Ses effets sont vendus à bord pour un montant de 140 francs. Trois jours plus tard, est embarqué Desmottes Jean Marie, un novice inscrit à Nantes. Il déclare provenir du 3 mats Marie Marguerite de la Seyne-sur-Mer. Avoir déserté à Cardiff le 05 mai 1860 et embarqué ce jour à Singapour. Il sera traduit le 22 mai 1861 devant le tribunal maritime. Dans ce port est aussi embarquée comme passagère, Louis Marie Dureau.
Lebastier Jean-François, marin du Havre est laissé malade à Tourane le 20 octobre 1860. Compte tenu de la situation sanitaire, difficile d’être optimiste sur son avenir. Quatre jours plus tard, Nicolas Cochet, consul de France à Singapour, confie des membres d’équipage du « Benjamin Sanier » de Nantes, navire naufragé près de ce port. Ces marins seront débarqués et confiés à M. Laplace, consul de France à Maurice. Dès son retour au Havre le capitaine rédige un rapport date du 30 mai 1861.
Le 10 mai 1861, Follain François Frédéric inscrit maritime de Dieppe (N° 879) décède en mer ; ce matelot de 29 ans, 1,625 m est né le 28 juin 1831 à Freulleville. Le capitaine est obligé de tenir les comptes des avances faites à tous ces marins et non remboursées pour cause de décès.
A l’île Maurice, le 04 février 1861, Leguillou François, inscrit au Havre, est embarqué. Il est rapatrié comme passager au frais de l’état ; il provient du navire « le Maréchal Pelicier » (Trois mats de 432 tonneaux construit à Rouen en 1856 et habitué aux destinations des Antilles ou Amérique du sud. Il désarme de son unique voyage aux Indes dans le port du Havre en 1861 sous le n° 185). Après une escale à Ste-Hélène (Escale traditionnelle pour les navires de retour d’Asie), Le trois mats rentre en métropole.
Le désarmement à lieu au Havre le 11 mai 1861 sous le n° 335.
L’auteur de cet article : Francis Paillette est aussi l’administrateur du site "Désarmement havrais" ; si vous êtes concernées par des ancêtres marins, nul doute que son site vous apportera de précieux renseignements : Le site du désarmement havrais.