Charles Jean BONVOUST, de Fécamp à Camembert

mardi 26 janvier 2021
par  Francis RENOUT
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Charles Jean Bonvoust nait le 6 juin 1747, au domicile de ses parents, rue des poteries, à Alençon. Il est le fils de René Charles Antoine, marchand, et de Magdeleine Marchand mariés le 10 août 1739. Sur la demande de sa mère, il est baptisé le soir même par le vicaire Jean Boissière de la chapelle des capucins.

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(Grande rue d’Alençon au XVIII ème siècle)

Dès qu’il a terminé ses classes de primaire, âgé de 16 ans, Charles Jean intègre le 30 mars 1764, l’abbaye Saint Martin de Sées où il prononce ses vœux religieux et est reçu profès. Devenu prêtre bénédictin, il réside successivement dans plusieurs abbayes normandes : l’abbaye de Saint Evroult, à Notre Dame des Bois en 1778 ; l’abbaye Saint Etienne de Fontenay à Saint André sur Orne, à partir de 1780. Il devient ensuite prieur au prieuré de Rouville, situé à Périers en Auge pour enfin arriver à l’abbaye Fécamp. Situé près d’un ruisseau, le prieuré de Rouville disparait au lendemain de la révolution.

En août 1790, pendant les temps troublés de la Révolution, Charles Jean est donc envoyé ou se réfugie à l’abbaye de la Sainte Trinité de Fécamp. Ce monastère admiré de tous est construit dans l’enceinte du château des ducs de Normandie. Au cours de cette période difficile, des milliers d’évêques, prêtres, vicaires, curés, chanoines, moines, nonnes… ont perdu la vie. Dans les cahiers de doléances, on qualifie les moines d’inutiles, d’oisifs, d’ignorants, se promenant en carrosse et dont les maisons regorgent de richesse.

http://www.montesquieuvolvestre.com/2019/06/tresors-du-patrimoine-francais-fecamp-seine-maritime-abbaye-de-le-trinite.html

Le 12 juillet 1790 fut votée la « Constitution civile du clergé » par laquelle l’Assemblée nationale imposait à chaque membre du clergé de « prêter le serment d’être fidèle à la Nation, à la Loi et au Roi, et de maintenir de tout son pouvoir la Constitution ». En contrepartie, il disposait d’un revenu garanti et, désormais, il serait élu par les citoyens. Le clergé se divisa alors en deux camps : les prêtres dits assermentés car ils prêtèrent serment, et les prêtres réfractaires qui refusèrent le serment. Pour pouvoir continuer d’exercer leur culte, ces derniers furent alors obligés de célébrer des messes clandestines, au risque d’être guillotinés s’ils se faisaient prendre. L’Abbaye, transformée en paroisse, échappa à la vente et la destruction. Tant d’autres abbayes, ont servi de carrière de pierres ! Si la Révolution de 1789 avait mis fin au pouvoir et à la puissance de l’abbaye bénédictine, les Fécampois n’avaient pas cherché à faire du passé table rase et avaient accepté avec soulagement la fin de la Terreur.

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Le mardi 11 janvier 1791, à l’Hôtel de Ville de Fécamp, devant le corps municipal et le maire Mr Bérigny (maire de janvier à novembre), comparaissent les religieux de l’abbaye de la Trinité. Charles Jean, comme d’autres religieux, refuse de prêter serment à la république. Le 26 juin, il sort en pleurant de son monastère et s’enfuit pour rejoindre Alençon, dans sa pieuse famille. Devenu prêtre clandestin, fuyant la répression de la révolution, il continue d’exercer son ministère grâce à des personnes charitables qui lui donnent asile.

Il revient à Alençon le 16 septembre 1791 pour se cacher dans sa famille et continuer à exercer un ministère clandestin. On a la preuve qu’il touche une pension le 1 octobre 1791.

Au cours des années qui suivent, on retrouve sa trace dans le diocèse de Lisieux, le 20 août 1795. D’autres actes témoignent de sa présence dans les communes de Gacé, de Vimoutiers, de l’Aigle, de Coulandon et Notre Dame du Bois. Une semaine avant son arrestation, il administre un baptême à Isidore Auguste, fils naturel de Victoire Prudhomme, au village de Croisilles dans l’orne.

Pendant son périple entre Fécamp et Alençon, au cours de l’été 1791, Charles Jean passe par le village de Camembert. Mais, était-ce vraiment en 1791 ? J’en doute ! Ce qui est sur, d’après l’abbé Guibé du village de Camembert en 1947, c’est que Charles Jean signe des actes de baptêmes entre juillet 1796 et février 1797 dans ce village. Sa présence est donc bien attestée à un moment de son périple dans le pays d’auge.

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(Manoir de Beaumoncel,Camembert,Orne)

Un jour, venant de Périers en Auge, il frappe à la porte du manoir de Beaumoncel situé à quelques centaines de mètres au dessus du village de Camembert, dans l’Orne. Ce manoir construit en 1650 par Jacques de Calmesnil, écuyer, sieur de la Rocque, est une grande maison d’habitation où vivent encore actuellement ses descendants. Les premiers habitants du manoir sont des huguenots. Ils ont reproduit sur l’une des cheminées le décalogue ou table de loi. Plus tard, ce manoir est transformé en ferme au XVIII ème siècle. Une fermière, Marie Catherine Fontaine, plus connu sous le nom de Marie Harel, lui ouvrit la porte. Un asile lui fut offert pendant plusieurs mois de juillet 1796 à février 1797.

Manoir de Beaumoncel :

https://youtu.be/mUm-_9VOx7g

Marie Catherine Fontaine, née le 27 avril 1760, à Crouttes, fille de Jacques Etienne, marchand, et Marguerite Legendre, se marie le 10 mai 1785, à l’église notre dame de Sainte Anne à Camembert, avec Jacques Harel, originaire de Guerquesalles. Le contrat de mariage, retrouvé dans les archives du notariat de Crouttes, indique le nombre de draps, de chemises, de culottes et de robes que Marie Fontaine apporte en dot. Trois ans auparavant, elle s’installe, avec son père, au manoir de Beaumoncel lors du remariage de celui-ci avec Charlotte Perrier, le 27 janvier 1784. Le père de cette dernière est en effet fermier du domaine. C’est ainsi qu’elle rencontre son futur mari Jacques Harel qui travaille au même lieu comme laboureur, chez Jean Perrier, fermier de Beaumoncel.

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(Statue de Marie Harel)

Marie aide son père dans toutes les tâches quotidiennes. L’une d’entre elles est la fabrication des fromages qui sont ensuite vendus sur les marchés dont celui de Vimoutiers, qui se tient tous les lundis. C’est un des plus forts marchés qu’il y a à plus de dix lieues à la ronde (mémoire municipal de la paroisse de Camembert, en 1788).

Charles Jean Bonvoust connait les méthodes de fabrication des fromages référencés dans les abbayes de Normandie dont il existe une culture fromagère. Celui-ci aide Marie Harel aux travaux de la ferme, en particulier à la laiterie. Il a pu transmettre à celle-ci comment affiner le fromage et la technique permettant la formation d’une croûte, technique connu pour la fabrication du Neuchâtel, le plus ancien fromage normand décrit en 1037. On ne sait pas si Charles Jean a séjourné au prieuré Sainte Radegonde à Neufchâtel en Bray qui dépend de l’abbaye de Saint Pierre de Rouville où il a séjourné avant la Révolution . D’après le récit de victor Paynel, petit-fils de Marie Harel, c’est ce prêtre qui, observant sa grand-mère fabriquer ses fromages, lui aurait enseigné une recette qu’il connaissait.

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(Affinage du fromage par une fermière)

Jacques Harel, fils de Charles, laboureur, et de Marie Leloup, habite Roiville. C’est dans ce petit village que les jeunes époux s’installent. Fréquemment, Marie se rend à Beaumoncel où son époux travaille et où résident ses parents. Les deux villages sont à une lieue et demi de distance (6,7 km). Le couple donnera naissance à 10 enfants et s’installera successivement à Guerquesalles, Roiville (1787), aux Champeaux-en-Auge (1799), puis Saint-Léger-de-Arassis (1810), Neauphe-sur-Dive où Jacques mourut le 28 décembre 1817 et Vimoutiers où Marie décèda le 9 novembre 1844.

Charles Jean n’est pas trop inquiété par la maréchaussée dont la brigade se trouve à Vimoutiers car les chemins de communications pour se rendre au village de Camembert sont très mauvais, voire impraticables parce qu’ils sont étroits ou défoncés. Ces chemins, souvent couverts d’eau, où se trouvent parfois des molières, font tomber les chevaux, chargés de marchandises. Leurs propriétaires sont alors obligés de se mettre à l’eau jusqu’à la ceinture, pour retirer les chevaux de ces espèces de précipices, et ce, même par les temps les plus froids et au détriment de leur santé.

Le village de Camembert se situe aux confins du pays d’Ouche et du pays d’Auge, dans l’Orne, dans une région bocagère. Composé de paisibles vallons aux verts pâturages, de pommiers et manoirs à pans de bois, il est surtout connu pour son célèbre fromage. Sous l’ancien régime, existait une confrérie d’hommes sous le nom de « compagnons des pélerins du mont Saint Michel ». Ils firent, à pieds, plusieurs fois le voyage vers le mont. Le dernier pélérinage eut lieu en 1772 ; quelques vingt années avant la venue de Charles Jean.

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(Vliaage de Camembert,orne)

Où est Charles Jean entre février et septembre 1797 ? Toujours est-il que le 19 septembre de cette année là, pourchassé entre Croisilles et Alençon, il est arrêté avec un certain Jacques Daupley, âgé de 34 ans, marchand, près du cimetière d’Alménêches, pendant la nuit. Il est écroué à Argentan par le citoyen Vignon, gendarme. On retrouve alors dans son sac (un bissac de toile à deux bouts) des actes de baptêmes d’enfants nés entre 1792 et 1797. (extrait du registre d’écrou de la maison d’arrêt d’Argentan). Le 29 novembre 1797, le tribunal correctionnel d’Argentan ordonne qu’il soit conduit en le maison de sûreté d’Alençon pour qu’il soit statué sur son sort. Il y est transféré le 1 décembre 1797. Condamné à la déportation vers l’île de Ré, le 11 janvier 1798, très malade, il reste à la prison d’Alençon où sa santé ne cesse de se dégrader. Charles Jean y décède le 19 germinal de l’an 7 (8 avril 1799), âgé seulement de 52 ans.

L’histoire de ce prieur, non cauchois comme certains l’affirmaient, est sensiblement la même que celle de beaucoup de ses confrères pendant cette période de la Révolution. L’histoire a retenu son nom grâce aussi à sa rencontre avec Marie Harel et à l’affinage de la recette de ce fameux fromage : le camembert.

Francis Renout
(Administrateur cgpcsm)
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Sources :
Bruno Amato et Michel Lefèvre auteurs du livre « Camembert, l’histoire d’un village à lire et à goûter » (2014)
Daniel Leconte, chercheur à l’Inra
Patrice Samson, président de la société historique de Vimoutiers
Mémoire municipal de Camembert en 1788


Documents joints

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