Etre vieux sous l’ancien régime

lundi 14 décembre 2020
par  Francis RENOUT
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Le journal de Rouen du 13 avril 1770 nous relate une histoire qui, somme toute, peut très bien s’avérer d’actualité de nos jours. L’anonymat des personnes fut préservé.

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Un père trop généreux :

Un riche marchand de la ville de L....., qui avait deux filles, voulant quitter le commerce, les maria avantageusement et leur partagea également ses biens. Ce faisant, la condition est de finir ses jours en habitant six premiers mois chez l’une de ses filles et les six mois suivants chez l’autre. L’affaire fut ainsi conclue.

Avant la fin de la première année, il vit bien que celles-ci le trouvait un hôte très incommode. Pas facile de réunir deux générations différentes sous le même toit malgré la pratique assez courante à cette époque. Il feignit donc de ne pas s’en apercevoir et prit un joli logement ailleurs. Il confia ensuite ses problèmes à un ami et ils mirent un plan en place. Il pria son ami de lui prêter cinquante mille livres pour quelques heures. Ce dernier n’hésita pas un seul instant, connaissant l’aboutissement de cette affaire.

Le père invita donc le lendemain ses filles à dîner chez lui ainsi que leurs maris. Précisément, à la fin du repas, son ami arriva d’un air très effaré et lui demanda s’il pouvait lui rendre le service de lui prêter cinquante mille livres. Le marchand lui répondit sans hésiter qu’il pouvait disposer du double ou du triple. Passant dans la chambre, il lui remit la somme dont il avait besoin.

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A ce moment là, ses filles et ses gendres ouvrirent de grands yeux. Ils ne souffrirent pas qu’il garda le nouveau logement où il venait d’emménager. Les deux sœurs se disputèrent l’envie et le plaisir de le recevoir. Les attentions, les soins, les complaisances furent extrêmes. Elles le plaignaient quand il passait une journée ou deux de plus chez l’une que chez l’autre.

Il vécut plusieurs années dans cette situation agréable. Aussitôt qu’il fut mort, les filles n’eurent rien de plus pressé que de courir à son coffre fort ; mais au lieu de richesses qu’elles attendaient, elles ne trouvèrent qu’un billet avec cette adresse : « A mes filles »

« Celui qui a été la victime de sa générosité a droit de tromper l’avarice de ceux qui abusent de sa tendresse pour lui manquer : un père qui aime ses enfants ne doit point leur sacrifier ce qu’il se doit à lui même. Profitez de mon exemple et ne vous dépouillez pas en faveur de vos enfants, si vous voulez pas en être la dupe, comme j’ai manqué d’être la vôtre ».

« Pour connaître la valeur de la générosité, il faut avoir souffert de la froide indifférence des autres... » (Eugène Cloutier)

Le souci de ce marchand bourgeois est de bien vieillir entouré de ses filles et gendres. Il pense bien faire en séparant ses biens avant sa mort. La crainte du vieillissement a toujours existé. Mais qu’en est-il de la vieillesse sous l’ancien régime ?

Globalement, au long de l’histoire, l’âge d’état civil n’est pas un critère pour déterminer la vieillesse. C’est l’état corporel ou mental des individus qui fait qu’on parle de vieux. C’est l’apparence, la dégradation, qui fait entrer dans la vieillesse. Chaque personne est donc différente.

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Dans cette France essentiellement rurale des XVIIe et XVIIIe siècles, la plupart des personnes âgées restent entourées de leurs proches jusqu’à la fin de leur vie. Jadis, on mourrait chez soi, entouré de sa famille, en continuant ses activités comme on pouvait. Jusque dans les années 1950, il n’y avait pas d’éloignement, de rupture de générations comparable à ce que l’on constate de nos jours.

Mais concrètement, à cette époque, les conditions de vie n’étaient pas les mêmes pour tout le monde. Un écart gigantesque séparait la façon de vivre des classes supérieures, l’aristocratie et la grande bourgeoisie, vivant dans les villes, qui représentaient moins de 3% de la population, de la masse populaire : le petit peuple urbain des domestiques ou artisans et le monde paysan qui représentait à lui seul plus de 80% de la population. Les élites nobles et bourgeoises ainsi que l’église possédaient la terre que travaillait une paysannerie largement illettrée et misérable.

Au cours de cette période, dans une société où l’on meurt jeune, l’homme âgé de 60 ans passe pour un vieillard. En général, on vieillit au sein de la famille qui regroupe les grands-parents, les parents et les enfants sous le même toit. Les anciens contribuent à la vie journalière en accomplissant quelques tâches. Le travail est une réalité jusqu’à la fin. Mais, quand ils sont trop diminués, les « vieux » n’ont plus vraiment de place dédiée. L’attention qui leur est portée se réduit parfois à une écuelle de soupe dans un coin.

Les vieillards qui ont failli à la norme sociale ou dont les familles ont failli, sont, en revanche, enfermés dans des établissements relevant de l’hôpital général créé par Louis XIV, en 1656. Ces dépôts de mendicité, ces asiles et ces hospices qui cherchent à faire disparaître les indésirables des rues et des chemins rassemblent des vieillards isolés, mais aussi des prostituées, des mendiants, des voleurs, des alcooliques et des enfants abandonnés.

Concernant une catégorie précise de personnes : les soldats, ceux-ci pouvaient compter sur l’Hôtel des Invalides, créé en 1674 par Louis XIV. Ce dernier se montra soucieux de la dignité de ses serviteurs, soldats mutilés ou vieillis. Ils avaient alors droit aux soins et à la nourriture.

Sens et finalité des liens entre générations :

https://www.cairn.info/revue-gerontologie-et-societe1-2008-4-page-67.htm

Face à cette rencontre prévisible, la vieillesse fait intrusion en soi, un jour, brutalement ou progressivement et nul n’y échappe, riche ou pauvre, loi irréversible de l’évolution humaine.

F.Renout
(Administrateur cgpcsm)
R

Sources :
Journal de Rouen
Anne Chemin


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