Erreurs, arrangements ou falsifications d’actes de naissance sous la restauration
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(La descendance énigmatique de Charles pompée Tiercelin, soldat de l’empire)
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Le premier ancêtre connu de la famille Tiercelin était originaire d’Ocqueville, dans le Pays de Caux. Charles Tiercelin, né vers 1653, s’est marié avant 1683 avec Marguerite Duboc. Ils décèderont respectivement en 1723 et 1725, à Ocqueville. Difficile de remonter le temps plus loin vu l’état des archives.
A partir de Pierre Tiercelin, leur fils, né le 11 décembre 1688, on retrouve plusieurs descendants de cette famille, comme berger, pendant plusieurs générations, Cette profession les oblige à changer de village au cours de leur vie, Ils sont certainement à la recherche de pâturages ou de travail chez un éleveur. De 1688 à 1811, ils habitent les villages suivants : Ocqueville, Anglesqueville la Bras Long, Saint Vaast Dieppedalle, Bosville, Hautot l’Auvray, Héberville.
Charles Pompée Tiercelin, né le 13 mai 1783, à Héberville, se marie le 11 avril 1809, à Saint Denis d’Héricourt (Héricourt en Caux actuellement), avec Clotilde Anastasie Bennetot, née en 1786, à Robertot.
C’est à partir de ce couple, que l’histoire familiale se complique !Charles Pompée est berger et domestique à ses heures. Malheureusement les guerres Napoléoniennes ont commencé depuis 1803. Charles devient Soldat de l’empire du 9 août 1809 à février 1811.
Son fils unique, Charles Adrien nait le 9 mai 1810, soit neuf mois jour pour jour après son départ pour l’armée.
Charles Pompée est fusilier au 70ème Régiment d’Infanterie de Ligne. Sur sa fiche militaire, du ministère des armées, on le décrit ainsi :
« taille 1,65mètres, visage ovale,front haut, yeux bleus, nez moyen, bouche moyenne, menton rond, cheveux et sourcils châtains ».
Entre 1808 et 1814, la guerre d’indépendance espagnole opposa l’Espagne des Bourbons, le Portugal et le Royaume-Uni à la France du Premier Empire. D’avril 1809 au 14 octobre 1809 eut lieu la guerre de la 5 ème collision, entre l’Allemagne et l’Autriche, contre l’empire français.
Courte histoire du service national :
Le service militaire obligatoire, connu autrefois sous le nom de conscription, se définit comme la réquisition par l’état d’une partie de ses citoyens à des fins militaires. Né dans le sillage de la révolution de 1789, la conscription « universelle et obligatoire » est instituée par la loi Jourdan Delbrel du 5septembre 1798 (19 fructidor de l’anVI) et concerne tous les français âgés de 20 à 25 ans. Elle est supprimée à la restauration, puis rétablie en 1818, sous la forme d’un service long de six ans, pour pallier l’insuffisance d’engagés volontaires. Deux principes définis en 1804 sont maintenus par la loi Gouvion Saint Cyr de 1818 et perdurent près d’un siècle durant :
Le tirage au sort : sur 100 conscrits, seuls 35 d’entre-eux sont appelés à servir sous les couleurs. Les conscrits sont désignés parmi les célibataires ou les veufs sans enfants, âgés de 20 à 25 ans et mesurant au moins 1,54 m. Dans chaque canton, 30 à 35 % des hommes éligibles peuvent faire ainsi leur service pendant six ans.
Le remplacement, qui permet aux familles bourgeoises ou nobles de payer un remplaçant pour échapper à la conscription.
Au vu de ces éléments, pourquoi Charles Pompée, alors marié, a t-il été appelé pour servir comme soldat ? Encore une question sans réponse !
Malheureusement, suivant les renseignements mentionnés sur sa fiche militaire, Charles Pompée décède le 2 février 1811, âgé seulement de 27 ans, au passage de la montagne de Fogeraldo.
Après quelques recherches, je pense avoir retrouver ce lieu. "Fogeraldo" (Foz do Giraldo) est un village portugais appartenant à la paroisse d’horvalho, situé à 743m d’altitude. La signification est : mauvais hameau où nait un ruisseau qui se jette dans le treipeto (tripeiro) ..(VICENTE, António Pedro – Manuscrits des Archives historiques de Vincennes se référant au Portugal, III, (1807-1811) , Paris, Fondation Calouste Gulbenkian, 1983, p. 317)
Charles pompée est décédé loin de son village natal et de sa famille. Quand est ce que son épouse a été prévenue de son Décès ? Difficile à dire car je n’ai pas trouvé de transcription le concernant.
Plus tard, trois autres enfants vont naître, entre 1814 et 1819, à Robertot. Faits troublants, ils sont tous nommés : « Tiercelin » ? Sur chacun des actes de naissance, on mentionne que le père est soldat dans l’armée impériale, alors qu’il est décédé en février 1811, au Portugal.
Ces trois enfants ne sont donc pas de Charles Pompée Tiercelin et ne devraient pas logiquement porter son nom. Pour moi, ce sont des enfants naturels. Seule la mère savait par qui ils avaient été conçu !Comment l’officier d’état civil a pu établir ces actes, qui pour moi, sont des faux, au niveau du patronyme ?
Sur l’acte de naissance de Pierre Auguste il est mentionné : « Né au domicile de sa grand-mère Marie Anne Bachelet, veuve Charles Bennetot, âgée de 61 ans, fileuse et présenté à la mairie par Marie Anne Bachelet en l’absence du père.Déclaration faite en présence de Louis Bachelet , journalier,50 ans, grand oncle de l’enfant et par Pierre Guérillon, voisin,37 ans, journalier,tous deux domiciliés à Robertot. » .Pour moi, ces deux témoins ont menti !Ils ont caché la vérité.
J’ai donc recherché pourquoi Clotilde Anastasie Bennetot, la mère des enfants a pu faire de telles déclarations de naissance ? J’y ai passé des heures à émettre des hypothèses ! Sans réponses, j’ai demandé l’avis à des amis généalogistes professionnels pour voir ce qu’ils en pensaient ou si, au cours de recherches, une telle situation familiale s’était présentée. Voici une des réponses :
« Cette situation n’est pas exceptionnelle et impossible d’avoir de certitude sur ce qu ’il s’est passé. Même quand la loi impose une transcription, elle n’est pas toujours suivie d’effet : il y a des ratés. A l’époque vu le nombre de soldats morts durant les combats, les autorités ont certainement été dépassées par les événements et la communication des informations s’en est ressentie. Je n’ai aucune certitude, mais cela semble plausible. Sur l’attribution de la paternité au mari mort, tout est possible : soit l’officier d’état civil qui a enregistré les naissances ne le connaissait pas, ne connaissait pas bien la famille et ne s’est posé aucune question, soit il y a eu volonté délibérée de donner une légitimité légale aux enfants. Je penche plutôt pour la 1ère option. La mère a pu consciemment profiter de la méconnaissance et/ou de la négligence de l’officier d’EC pour donner à ses enfants le nom de son défunt mari. Dans quel but ? Là encore on peut tout envisager : souhait de ne pas faire de différence apparente entre ses enfants, peur du qu’en dira-t-on... »
Donc, nous ne sommes pas plus avancé !Le mystère persiste.
Par contre, on voit sur la coupure de journal ci-contre paru dans « le petit journal », en 1913, que les erreurs d’état civil étaient assez courantes ! Ce qui, je pense, n’aurait pas du se produire concernant plusieurs actes !
En 1820, une circulaire du garde des sceaux demande aux procureurs généraux de rédiger un rapport sur l’état des registres d’état civil, à partir des procès verbaux établis par les procureurs. Ces documents constituent un excellent point d’observation, pour voir dans quelle mesure, trente ans après la loi de 1792, celle-ci est entrée dans les faits. On constate que nulle part les registres sont tenues correctement. Les erreurs dues à l’incompétence de ceux qui en ont la charge sont de loin les plus nombreuses. Elles touchent avant tout la forme de l’acte. Certains actes illustrent une autre forme de délit : « les arrangements ». Par divers procédés, les officiers d’état civil cherchent à donner une apparence de légalité à des agissements non conforme à la loi. L’authenticité de la date de l’acte est souvent mis en cause. On constate aussi d’autres infractions moins fréquentes mais plus graves : les falsifications délibérées.
Revenons à notre famille Tiercelin. On voit que ce n’est pas plus plausible, concernant les mentions sur les actes de mariage, de ces trois enfants « naturels » :
Pour Pierre Auguste né le 23 février 1814 : « Sur l’acte de mariage, en 1836, Pierre Auguste est mentionné né le 23 février 1814, fils de charles Pompée Tiercelin, décédé le 2février 1811, au passage du mont Fogéraldo ».
Pour Louis Benoît né le 7 octobre 1816 : « à son mariage, en 1838, on mentionne sur l’acte que son père Charles Pompée Tiercelin est mort au mont Fogeraldo, le 2 février 1811.Vu la date de naissance de Louis Benoit, cela aurait du interpellé l’officier d’état civil que le père déclaré à l’époque n’était pas plausible ».
Pour Ismérie Adélaïde ne le 2 juillet 1819 : « Sur l’acte de mariage en 1841, est mentionné que Charles Pompée Tiercelin , soit disant père d’Ismérie est militaire, en activité de service et donc absent ! » ; soit trente ans après son décès ? Qui pourrait le croire ?
Voilà comment le patronyme « Tiercelin » a pu être perpétuer jusqu’à nos jours. Logiquement, les enfants nés après le décès du père, sauf le premier, aurait du porter soit le nom de leur père biologique, s’ils avaient été reconnus, ou soit le nom de jeune fille de leur mère ; c’est à dire Bennetot. A part émettre des hypothèses, le mystère concernant le patronyme attribué aux naissances de ces trois enfants, est enfoui à jamais avec les protagonistes de l’histoire.
Quand à ClotileAnastasie Bennetot, qui sera fileuse et tisserande au cours de sa vie, elle décède à l’âge de 78 ans, le 12 février 1865, à Robertot, son village natal. A t-elle eu l’information comme quoi son époux était décédé à la guerre ? Ce n’est pas certain !
F.Renout
(Administrateur cgpcsm)
Sources :
Archives départementales de Seine Maritime
Vie publique (de la conscription au snu - article du 27 mars 2024)
G.Noiriel (l’identification des citoyens. Naissance de l’état civil - 1993)