Gabriel de CLIEU et l’introduction du café aux Antilles

mercredi 23 septembre 2020
par  Francis RENOUT
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Gabriel De Clieu est né vers le mois de mai 1687, à Dieppe. Il est le fils de Mathieu Jean et de Rachel Bauldry. Son père, surnommé Forilon, est seigneur de Derchigny, bourgeois de Dieppe, conseiller du Roi et général au bailliage de Caux.

Ses aïeux paternels sont Mathieu De Clieu et Marie Le Batailler (arrières grand-parents) et Jean De Clieu et Jacquette De Lozay, mariés le 19 février 1629. (grand-parents). Cette famille originaire de Bretagne, implantée à Dieppe, fut anoblie par Charles VI. Très jeune, Gabriel est orphelin de père, car celui-ci décède le 10 avril 1698, à l’âge de 68 ans. Il est inhumé à la paroisse Saint Jacques, à Dieppe. Par ailleurs, on retrouve un acte de tutelle, établi par le bailliage, le 12 juin 1698 , dont je parlerai au cours de l’histoire.

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Mathieu Jean De Clieu construit en 1689 un château à Derchigny, près de Dieppe, village de 49 feux en 1738. Il avait acquis le fief et la seigneurie de Derchigny de Thomas Charles de Becdelièvre, chevalier, seigneur d’Ecquevilly (Quevilly), président du parlement de Normandie (1684). L’acte de vente est contracté devant les notaires de Rouen le 17 juillet 1686, pour la somme de 20 000 livres tournois. Pour l’occasion, Mathieu Jean, loge rue du gros horloge, à l’enseigne du « cadran de mer », une auberge très fréquentée par les navigateurs et marchands dieppois.

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En 1789, il ne reste plus que 15 feux dans ce bourg. C’est son fils Gabriel qui terminera la construction. Les habitants vivent exclusivement de l’artisanat et de l’agriculture. Son dépeuplement est dû aux épidémies et au déplacement des habitants vers la ville.

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Le caféier est une plante originaire d’Afrique de l’Est. C’est l’Homme qui est l’origine de sa propagation à travers le monde, par étapes successives. La culture du café couvre désormais près de 11 millions d’hectares à travers plus de 80 pays ! Parmi toutes les histoires et légendes qui constituent l’aventure du café, en voici une : celle de Gabriel de Clieu (Gabriel-Mathieu d’Erchigny de Clieu, de son nom complet) qui participa à l’établissement du café dans les Antilles.

Gabriel passe ses premières années à Dieppe, au Havre et à Neufvillette. Il intègre très jeune la Marine Royale où il effectue toute sa carrière. En 1702 , âgé de quinze ans, il intègre la compagnie des gardes de la marine du Havre, sous la houlette d’un oncle prêtre et savant qui meurt en 1720. En 1703, Gabriel est garde marine à Rochefort. En 1705, il est promu enseigne de vaisseau, à Toulon.

En 1710, capitaine d’infanterie, il part à la Martinique. En l’année 1711, il se marie en premières noces, à Fort de France, le 26 décembre, avec Marie Colombe De Mallevaud, dont le père, Louis, est commandant à la forteresse de Fort Royal. Un fils, Jean Baptiste Charles, naît de cette union, le 16 juillet 1717, à la Martinique. Cette même année Gabriel est nommé capitaine en pied. Fait chevalier de Saint Louis en 1718, il est promu capitaine d’infanterie en 1720.

À la fin du XVIIème siècle, en Europe, seule la Hollande possède quelques pieds de café issus de ses colonies, eux mêmes originaires de la région de Moka, en Arabie, précieusement conservés dans le jardin botanique de la ville d’Amsterdam. Il existe une histoire corsée sur le caféier : « Il était une fois, un berger d’Abyssinie prénommé Kaldi. Un jour, il s’aperçut que l’arbuste que broutaient ses chèvres avait un effet tonifiant sur elles. Cet arbuste n’était autre… qu’un caféier ! »

Après 1714, des négociations entre le gouvernement français et le bourgmestre de la ville d’Amsterdam se conclurent avec l’envoi d’un jeune plant qui fut présenté au roi Louis XIV. Ce caféier, désormais français, fut ensuite envoyé au Jardin des Plantes, à Paris, pour être conservé et surtout pour créer une lignée d’autres caféiers. C’est Antoine de Jussieu qui a fait, en 1715, la première description botanique précise et le premier dessin exact d’une branche de cet arbre. Il le considère alors comme un jasmin et le baptise Jasminum arabicum.

Histoire du caféier :

https://www.cafelaunay.com/le-cafe-la-plante-son-histoire-robusta-arabica-cafeier/

Un premier essai de traversée de quelques plants en direction de la Martinique échoua suite au décès, à l’arrivée, du docteur Isemberg, qui était en charge de ces plants. Vers les années 1719/1720, Gabriel De Clieu, capitaine d’infanterie, se trouve dans l’obligation de revenir en France pour diverses obligations personnelles.

Gabriel eut quelques difficultés pour récupérer quelques plants de café du Jardin des Plantes. Il fit d’abord des démarches auprès de Mr de Chirac, médecin de Louis XV et successeur de Fagon dans la surintendance du jardin des plantes. Cela ralentit son projet d’exportation vers les Antilles. Mais faisant jouer ses contacts auprès du roi, il obtint d’Antoine de Jussieu deux plants de caféier. En 1720, il réussit à partir du port de Rochefort, sur la flûte « le dromadaire » en direction de la Martinique, avec ses plants de café de type arabica. L’équipage est composé d’une trentaine d’hommes et quelques passagers qui allaient s’établir aux Antilles.

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La traversée ne se fit pas sans embûches. Afin de protéger au mieux son précieux compagnon de voyage, de Clieu l’installa sur le pont, dans une caisse en chêne, couverte d’un châssis en verre, permettant de conserver une température adéquate. La nuit, il la place près de son lit pour lui conserver sa chaleur et le matin, il ne manque pas de l’arroser. Un des deux pieds périt. Mais les conditions météorologiques n’étaient pas les seuls éléments qui pouvaient nuire à ce plant de café. Selon de Clieu, au sein même de l’équipage, certains en était jaloux. Il écrivit d’ailleurs à ce propos :

« la peine que j’eus à le sauver des mains d’un homme bassement jaloux du bonheur que j’allais gouter d’être utile à ma patrie, et qui n’ayant pu parvenir à m’enlever ce pied de café, en arracha une branche. »

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Quelques temps après, cet homme se suicida pour échapper à des poursuites éventuelles. Plus tard, une attaque de corsaire aurait pu faire disparaitre au fond des eaux le fragile végétal. Arrivé près de Madère, par une nuit obscure, le navire poussé par une brise favorable, glisse tranquillement sur les flots. Matelots et passagers sont plongés dans le sommeil. Un officier de quart, immobile à son poste, fait son service ordinaire. Tout à coup une terrible canonnade ébranle le navire et signale l’approche d’un pirate de Tunis. C’est un pauvre Chebeck , mais terrible dans l’obscurité. En un instant l’équipage est sur le pont. On reconnut le pirate à la lueur sinistre de la canonnade.
Chacun se prépare à une résistance aussi vigoureuse que l’attaque est violente. Plutôt mourir les armes à la main que d’être mené captif en Afrique. Les passagers tremblants sont en prière dans l’entrepont. Une bordée de huit coups de canons déchire les flancs du Chebeck. Il était temps car le capitaine des pirates saute à bord du navire français, le poignard à la main. La hache de Gabriel de Clieu lui tranche la tête qui roule sur le pont. Une dernière décharge, de part et d’autre, et le feu cesse. Le corsaire, sentant son infériorité, se retire.

Mais l’histoire n’était pourtant pas finie, puisque succédant à la tempête, le bateau essuya un calme plat qui poussa de Clieu et l’ensemble de l’équipage à un strict rationnement de l’eau. Le maigre volume d’eau qu’il recevait, il le partagea avec son précieux plant de café.

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Après toutes ses péripéties, Gabriel pose le pied sur la terre ferme de la Martinique. Il choisit avec soin, un endroit sûr, pour planter le premier et précieux pied de café. La première récolte arriva une vingtaine de mois après. De Clieu ne se gêna pas pour distribuer allègrement les nombreuses cerises résultantes. Pourquoi des cerises ? C’est le nom donné aux fruits du caféier. On les nomme aussi drupes. Ceux-ci sont de couleur rouge vif ou violette à maturité. Ils contiennent deux graines aplaties, placées face à face, qui donnent après torréfaction des grains de café. Ses fleurs blanches apparaissent en groupe à l’aisselle des feuilles. Très éphémères, elles ne durent que quelques heures et ont un parfum proche de celui du jasmin. Très rapidement, la Guadeloupe et Saint-Domingue furent colonisés par le café.

Les fruits du caféier :

http://www.snv.jussieu.fr/bmedia/Fruits/cafe.htm

Avant l’arrivée du café, la Martinique vivait essentiellement de la culture du cacao mais un évènement subit provoqua une véritable hécatombe et fit disparaitre presque en totalité les cacaoyers. Certains ont attribué cette disparition à l’éruption du volcan de la Montagne Pelée, d’autres aux pluies diluviennes d’un ouragan. Peu importe la cause, les habitants de la Martinique se retrouvèrent sans ressources. Ils se tournèrent donc vers le café pour retrouver un semblant d’activité. Leurs espoirs furent largement dépassés ! Il fallut à peine 3 ans pour que le nombre de caféiers soit égal au nombre de cacaoyers avant l’hécatombe. Cette nouvelle source de revenus fut encore valorisée par le succès croissant du breuvage en Europe.

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En 1725 décède son épouse Marie Colombe de Mallevaut. Son fils Jean Baptiste a alors huit ans.

En 1728, le 9 juillet, Gabriel se marie en secondes noces, à Trois Rivières, en Guadeloupe, avec Marie Rigolet, native de Trois Rivières. Le couple eut trois enfants nés entre 1729 et 1735 : Jacques François Mathieu en 1729, Marie Madeleine Rachel en 1734, et Catherine Marthe en 1735. Malheureusement, Marie, âgée de 45 ans, décède le 28 avril 1742, à Mont Carmel.

En 1730, c’est la première exportation du café à la Martinique.

En 1732, il acquiert le fief d’Anglesqueville sur Sâane, près de Dieppe.

Gabriel est gouverneur de la Guadeloupe de 1737 à 1753. Mais en cette année 1737, sa santé est chancelante ! Le Roi lui permet un retour en France pour rétablir sa santé. Il lance un grand projet de reconstruction de l’île.(ponts, chemins, bâtiments etc,,,)

En 1739, Gabriel De Clieu propose au Roi de créer une ville près de Fort Louis. Il adresse un mémoire au ministre de la marine sur l’importance de cette position pour construire un port. Le projet trop coûteux est ajourné.

En 1743, Gabriel est nommé lieutenant de vaisseau pour le Roi Louis XIV. En 1744 , on lui attribue le gouvernement sur tous les gouverneurs particuliers.

Cinq ans plus tard, à la Guadeloupe, en 1747, il se marie en troisième noces, avec Luce Nicole Du bourg d’Esclainvilliers. Charles Abraham, leur fils, naît un an plus tard vers 1748. Malheureusement, le destin le frappe encore une fois ! Il devient veuf de nouveau quand son épouse décède le 2 août 1759, à Capesterre.

En 1750, Gabriel prend le gouvernement de la Martinique en plus de ses fonctions sur les îles du vent.

En 1752, le 1 septembre, il reçoit une pension de 1800 livres sur le budget des invalides et une pension de 3000 livres sur le budget de la marine. A la même date, il reçoit l’ordre de passer au Havre.

En 1753, âgé de 65 ans, dont 50 ans passés au service de son pays et de son Roi, Gabriel retourne en France. Il sera nommé au Havre l’année suivante, inspecteur des gardes-côtes de la Haute Normandie.

En 1756, Gabriel devient grand-père pour la première fois, d’une petite fille nommée Marie Charlotte Mathurine De Clieu, fille de son fils aîné, Jean Baptiste, seigneur de Chiffreville. Ce fils s’est marié le 6 juillet 1745, à Saint François, en Guadeloupe, avec Marie Jeanne Crosnier De Bellaistre, fille d’un officier de milice. C’est à l’âge de 15 ans, le 18 juillet 1771, que Marie Charlotte Mathurine, originaire de Saint Germain en Laye, se marie, à Derchiny, avec Auguste Marie De Caumont, âgé de 27 ans, comte et seigneur de Villers sur Aumale. Il est vrai qu’à cette époque, les filles se mariaient souvent très jeunes. Deux ans plus tard, le 19 août 1773, à Haudricourt, elle met un enfant au monde.

En 1804, Mr De Caumont, demeurant au château fait une description intéressante du parc : « En face du château on voit huit grands carrés de jardins français fleuris et potager, bordés de treillages et d’arbres en palissade ; au milieu se trouve un jet d’eau de 42 lignes de hauteur sous la forme d’un cadran solaire ; à gauche est une volière de souris privées et d’oiseaux qui ne le sont pas ». Que sont les souris privées ?

Auguste Marie De Caumont :

https://publicationscalamar.wordpress.com/2016/02/06/le-comte-de-caumont-relieur/

Lieutenant du roi à la Martinique, gouverneur de Guadeloupe, Gabriel se distingue lors du bombardement du Havre en 1759. Il est commandant des batteries flottantes. Ce conflit, de la guerre de sept ans, débute en juillet par une flotte de la royale navy britannique, commandée par le contre amiral Georges Rodney.

En 1760, il se retire du service avec 8000 livres de pension du Roi. C’est à Derchigny que Gabriel vint se reposer de ses fatigues.

C’est d’ailleurs, dans ce village de Derchigny, que décède Charles Abraham, son dernier fils âgé de 13 ans, le 23 septembre 1761. Son corps sera inhumé à Glicourt le lendemain.

Et c’est à l’âge de 80 ans, le 27 octobre 1770, que Gabriel épouse, en quatrième noce, à Derchigny, Marie Elizabeth Leroux Du fay. Celle-ci, originaire de Derchiny, domiciliée à la paroisse Saint Godard, à Rouen, est âgée de 50 ans et veuve de René Hurard, sieur de Catillon.

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Gabriel, alors arrière grand-père, âgé de 87 ans, veuf quatre fois, décède le 29 novembre 1774, à Paris, chez son amie et parente madame la duchesse d’Anville, après une vie bien remplie. La veille, Louis XVI l’avait nommé commandeur de l’ordre royal et militaire de Saint Louis. Il est inhumé à Saint Sulpice, dans le caveau de Laroche foucault. Son tombeau fut violé à la révolution et ses restes portés aux catacombes de Paris.

Tutelle concernant Gabriel De Clieu en date du 12 juin 1698 :

Son père Mathieu Jean décède le 10 avril 1698 et est inhumé le 13, à la paroisse Saint Jacques, à Dieppe, dans une chapelle de l’église, et non en 1689, comme on le voit noter très souvent ! Le couple Mathieu Jean De Clieu et Rachel Bauldry eurent trois enfants : Jean, Mathieu et Gabriel.

Le 12 juin 1698, le bailliage procède à l’élection du tuteur principal et consulaire de feu Mathieu Jean et dame Rachel De Bauldry concernant les enfants du couple et plus particulièrement de Gabriel, mineur à l’époque (11 ans). Parmi les personnes qui ont comparus se trouve Jean Baptiste De Clieu, né le 26 juin 1629, paroisse Saint Jacques, à Dieppe, docteur en Sorbonne, prêtre du Havre depuis 1690, oncle de Gabriel. Celui-ci déclare qu’il nomme comme tuteur principal Jean De Clieu, frère de Gabriel, et comme tuteur consulaire, chargé de gérer ses biens, Jean Abraham Bauldry, parent côté maternel.

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En 1704, Dame Rachel de Baudry, appelante d’une sentence arbitrale, contre Jean De Clieu, écuyer, seigneur de Neufvillette, lieutenant général au bailliage de Caux, en la vicomté d’Arques, renonce à la succession de Mathieu De Clieu, son époux. (signé Duhamel, avocat)

Epilogue :

Les affiches de Normandie de décembre 1774, dressent un portrait flatteur de sa personnalité : « Gabriel était aimé, respecté et estimé de tout ceux qui le connaissaient. Il fut le père des pauvres, surtout des familles nombreuses, mariant et dotant les filles indigentes des villages voisins de sa terre. Il fut regretté de tous »

Aujourd’hui, le nom De Clieu, est éteint. Mais leur mémoire est toujours vénérée aux Antilles et à Derchigny.

F.Renout
(Administrateur cgpcsm)
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Sources :
L’abbé Lecomte (revue de Rouen et de Normandie,1848)
Le porte filtre (Mémoires biographiques et littéraires, par ordre alphabétique, sur les hommes qui se son fait remarquer, Ph.-J.-Et.-Vt. Guilbert, 1812 )
Jean Christophe Germain (acquisition du fief et seigneurie de Derchigny, source archives minutes de la régie des notaires de Rouen, registre 2E1/2787)
Catherine Cotelle, Patrick D’Heudières, B et Ph Rossignol (Famille De Clieu)
La vigie de Dieppe (23 janvier 1849)


Documents joints

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