Les Gobiers

samedi 2 mai 2020
par  Francis RENOUT
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Ce terme, dont on trouve diverses définitions, représente souvent en patois cauchois, un idiot, un imbécile, une personne sotte ! Mais, au début du XX ème siècle, on l’ utilisait en Seine Maritime et surtout dans le Pays de Caux pour désigner tout autre chose. Ce terme s’appliquait aux manants, qui habitaient dans les trous de falaise, appelés gobes.

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Qui n’a pas rencontré ou découvert ces trous creusés dans la craie des falaises lors de promenades en bord de mer. Quelques uns d’entre vous ont même du se poser la question : « A quoi servaient-ils ? »

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(Photo Saint Valery en Caux)

On retrouve ce terme de gobe pour désigner les troglodytes dans la vallée de la Seine entre Rouen et Le Havre. Sur la côte, on en retrouve du Havre, en passant par Etretat, Veulettes sur mer, Saint Valery en Caux et plus particulièrement à Dieppe.

La vie dans les falaises :

Depuis le moyen âge, le sous-sol de Dieppe dissimule un grand nombre de cavités peu ou mal connues. Certaines paraissent naturelles, mais en général, ce sont d’anciennes carrières abandonnées. Parmi celles-ci, dues au travail de l’homme, les plus célèbres sont les gobes creusés au pied des falaises. Quelques unes pourraient dater des origines de la ville. D’autres ont été creusées lors de la reconstruction de Dieppe après l’incendie de juillet 1694, qui détruit une grande partie de la ville. Cet incendie est dû aux bombardements de la flotte anglo-néerlandaise lors d’un épisode de la guerre de la ligue d’Augsbourg.

http://www.geneacaux.net/spip/spip.php?article255

Fin du XVII ème siècle, ces gobes sont creusées pour en extraire la craie avec laquelle, on fabriquent la chaux. Les plus importantes sont situées dans la falaise du Pollet, à l’est de la ville, et dans la falaise du bas fort blanc, sous le château.

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Autrefois, ces excavations servaient seulement de refuges aux contrebandiers de mer qui venaient la nuit, y décharger, du sel, du tabac et des porcelaines. Une légende ajoute même, que pour ne pas être dérangés dans leur besogne nocturne, ils avaient soin de secouer des chaînes, dont le cliquetis effrayaient les passants superstitieux, qui croyaient à l’apparition de dames blanches ou gobelins. D’ailleurs, ce terme de Gobelin désignant des créatures légendaires, plus particulièrement en Normandie, pourraient provenir de ces lieux. Ceci nous rappelle les histoires des fameuses grottes d’Etretat : la chambre des demoiselles, la légende des jolies filles du château de Fréfossé et le trou à l’homme.

https://etretatavecfx.com/legende-la-chambre-des-demoiselles/

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L’histoire de Dieppe nous apprend que dès 1879, dans le cadre du programme des travaux lancés par Charles de Freycinet, ministre des Travaux Publics, des aménagements sont décidés pour relancer le port de Dieppe. Au cours des années 1886 à 1889, lors de la création de nouveaux bassins et du chenal à travers le Pollet, des rues sont supprimées : place Bourdin, rue des Trois marmots, rue aux Pitauts. Une centaine de maisons du Pollet sont détruites pour faire place au « grand pont » , connu actuellement sous le nom de « pont Colbert ».

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Ces familles de pêcheurs pauvres ne trouvent pas d’équivalents en logements et se réfugient dans les gobes sous la falaise. Ces trous très profonds ont été habités par des familles entières. Une trentaine de familles s’y installent, hommes, femmes et enfants, cueilleurs de moules, porteurs de poissons ou pêcheurs de crevettes. On y retrouve les familles Prince, Malvillain et le père Hermelle. Ce dernier occupe celle située sous la chapelle de Notre Dame de Bonsecours, au Pollet. Les conditions de vie dans ces gobes étaient particulièrement rudes.

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Ils vivent là aux risques des tempêtes et des grandes marées ou encore des éboulis de falaise. A l’heure du dîner, ceux qui parcouraient la grève n’étaient pas étonnés de voir sortir de ces antres, des tourbillons de fumées. Les gobes sont sombres et humides, parfois sordides mais qu’à cela tienne ; pas de chauffage pour certains, pas de lumière, il suffira d’une porte pour clôturer et s’approprier l’endroit. L’aménagement rudimentaire s’improvise : une couche de sable tapisse le sol, on badigeonne les parois au goudron pour lutter contre l’humidité, on assemble des planches pour cloisonner les pièces. Le chauffage, la cuisine dépendent des humeurs d’un méchant poêle avec des emboitages de tuyaux reliés à un conduit qui laisse la fumée s’échapper à l’extérieur.

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Dehors, devant le seuil, un bric-à-brac d’objets hétéroclites, les outils et attirails de pêche, les filets et le linge qui sèchent. La plage, c’est leur manne qui leur permet de vivre chaque jour. Dès que la mer se retire, on les retrouve en train de pêcher entre les rochers, fouillant entre les algues pour attraper quelques crabes. D’autres parcourent la plage avec un pousseux ou placent des lanets dans les gorges. La pêche quotidienne correspond parfaitement à la nourriture du jour. Le rythme de la marée est le même que celui de l’estomac.

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Certains habitants de ces gobes faisaient visiter les lieux où ils vivaient aux touristes contre un peu d’argent.

Dès 1913, une enquête a été réalisée sur les conditions de vie dans ces gobes. Cette enquête devait déboucher sur la fermeture immédiate de ces " véritables terriers" et sur le relogement de ces « gobiers » dans des conditions décentes. Pourtant, certaines familles y resteront jusqu’en 1940, date à laquelle l’occupation Allemande les expulsera définitivement. En 2013, ces gobes servent encore d’asile et de refuge à certains qui n’ont malheureusement pas d’autres choix ! Ce fut le cas à Saint Valery en Caux après la dernière guerre.

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La mère Babet :

C’était une figure dieppoise ! Celle-ci s’installe dans un gobe avant les événements de 1870. Une vraie matelotte dont elle a gardé le costume et les allures. Habillée comme un homme, avec une vieille vareuse, coiffée d’un bonnet bleu sur sa tête grisonnante, la pipe à la bouche et la chique gonflant la joue, c’est ainsi qu’elle partait à la pêche. Devenue âgée, elle resta dans ces lieux et alla solliciter quelques aides auprès de personnes qu’elle connaissait. Elle décéda, âgée de 75 ans, vers 1875.

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Emile Glardon dit « Crapouillot »

« Crapouillot », de son vrai nom Emile Glardon, docker poissonnier, vivait dans les gobes du Pollet. Au début du XX ème siècle, il avait comme amie Marie Lucas, née en 1877, plus connue des dieppois sous le surnom de « Marie Bézette ». Elle habitait rue des bonnes femmes dans une vieille maison construite en bois et matifas. C’était une « hotteuse ». Elle portait le poisson , acheté en gros à la criée, dans les cours de marée, les hôtels et restaurants. Ce métier a disparu entre les deux guerres. Grande et maigre, vêtue d’une jupe noire, Marie Bézette n’était pas très gaie de caractère et souvent seule. Un dimanche de 1925, Paul Grout, Armand Cadot et Edouard Mallet se rejoignirent au café du calvados, situé rue Lemoyne. Paul Grout commença à chanter le tube de l’époque "Fleur de misère" et Edouard Mallet improvisa quelques paroles, puis un couplet et un refrain, inspiré bien évidemment par « Marie Bézette ». La suite de la chanson fut écrite l’après midi et connut un succès immédiat. Depuis cette époque, elle est toujours chantée dans les cérémonies dieppoises.

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https://youtu.be/Cg-28GELPdI

Ainsi vécurent pendant plusieurs années une population côtière, les gobiers, de façon très simple sans aucun doute mais peut-être heureuse malgré tout ! 

F,Renout
(Administrateur cgpcsm)
R
Sources :
Estran, cité de la mer Dieppe
Quiquengrogne
G,Dubosc « Les Habitations Souterraines en Normandie » (1900)
Patrick Edgard Rosa (2012)


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