La sommation respectueuse

mardi 26 novembre 2019
par  Francis RENOUT
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Votre ancêtre a t-il rédigé un acte respectueux ? En quoi cela consiste t-il ?

On peut s’étonner de trouver dans les actes de mariage la mention du consentement des parents, même lorsque les mariés ont atteint leur majorité. De même que l’on retrouve sur cet acte l’évocation de « sommations respectueuses » ou « actes respectueux ».

Sous l’ancien régime, le mode de vie était différent. les enfants de moins de 25 ans étaient obligés d’obtenir le consentement de leurs parents pour se marier, les majeurs devaient « demander leur conseil », mais en cas de refus ils pouvaient passer outre. Attendre vingt cinq ans, c’est déjà beaucoup quand on sait que la vie est courte à cette époque.

C’est en 1692 qu’ est introduite la possibilité de « sommations respectueuses ».

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Avec le code Napoléon (1804) : pour se marier, les enfants étaient obligés d’obtenir le consentement parental s’ils n’avaient pas la majorité matrimoniale, soit 25 ans pour les garçons et 21 ans pour les filles.
Si les enfants avaient atteint la majorité matrimoniale, ils pouvaient se marier sans l’autorisation parentale, cependant ils étaient tenus par la loi de demander le conseil de leurs parents par des actes respectueux.

Cela nécessitait de recourir à un notaire pour adresser une « sommation respectueuse » à leurs parents. D’un point de vue juridique, la sommation est un acte par lequel une personne officiellement mandatée se présente à une autre, soit pour l’informer officiellement du message qu’elle a été chargée de transmettre, soit pour l’intimer de donner, de faire ou de ne pas faire quelque chose. On dit que la sommation est respectueuse, car la demande est formulée avec respect, et surtout parce qu’elle est faite sans appareil de justice : c’est un notaire et non un huissier qui joue le rôle d’intermédiaire.

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Il fallait y recourir par trois fois. Si les parents continuaient à s’opposer au mariage après le 3ème refus le mariage pouvait être célébré. D’autre part, lorsque le garçon avait plus de 30 ans, ou la fille plus de 25, une seule notification était nécessaire.

Durant ce laps de temps les parents espéraient voir leur enfant réfléchir et renoncer en se rangeant à leur avis. Cela était censé éviter un mariage précipité. Les parents pouvaient essayer divers moyens pour faire pression comme menacer de déshériter, de supprimer dot ou soutien éventuel. En effet, autrefois, la dot, ou avancement de droits successifs, était obligatoirement versée par les parents, lorsque l’un ou les deux vivent, lors du contrat de mariage. On comprend alors, que certains parents aient hésité à donner leurs biens à quelqu’un qu’ils n’estimaient pas !

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Exemple de sommation respectueuse :

https://chapellerablais.pagesperso-orange.fr/site%20archives/html-docs/docs-sommation-respectueuse.htm

A partir de 1896 au lieu de 3 sommations respectueuses une seule était nécessaire. Plus tard la loi du 21.6.1907 remplaça cette procédure par une simple notification de projet de mariage.
Le 2 février 1933 une nouvelle loi fit disparaître cette obligation pour les enfants ayant atteint la majorité matrimoniale. La dernière disposition fixant la majorité à 18 ans pour les garçons et les filles par la loi du 5 juillet 1974 leur permet de se marier librement.

Comment retrouver des sommations respectueuses :

Les sommations respectueuses restent rares, les jeunes gens acceptant généralement les décisions de leurs parents, surtout en matière matrimoniale. On en trouve toutefois en sous-série 4 E (archives notariales). Elles ne sont pas toujours mentionnées dans les actes de mariage. On peut soupçonner leur existence si les parents vivants d’une personne majeure ne sont pas présents dans l’acte de mariage. 

L’étude du notaire qui les détient se trouve nécessairement dans la même ville ou dans l’étude notariale la plus proche du domicile des parents récalcitrants. Comme le mariage a lieu dès les formalités d’actes respectueux puis de publication des bans accomplies, il faut rechercher la sommation dans les répertoires ou les minutes du notaire de la ville dans les trois mois précédant le mariage.

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Sommation respectueuse émise par le notaire de Bacqueville en Caux :

« Ce jourd’huy jeudi 31 août 1780, environ 9 heures du matin, nous Pierre Augustin Lefrançois, notaire royal, commis au bailliage de Caux, siège d’Arques, séant à Dieppe, pour le notariat de Bacqueville et dépendances, soussignée de la réquisition de Marie Anne Monnet, couturière, âgée d’environ 30 ans, fille de feu Charles Monnet et d’Anne Gouel, sa veuve, demeurant à Crasville la Rocquefort, chez pierre Canu, son cousin, nous sommes exprès transporté au domicile de la dite Gouel, mère de la requérante, de la paroisse de Greuville, où étant arrivé accompagné d’ycelle requérante, et assisté de Jean François Buquet, sergent royal, de Pierre Doutreleau, tisserand, tous deux demeurant au dit lieu de Greuville, la dite Monnet en parla à la dite mère trouvée en son dit domicile, la très humblement et très respectueusement priée, requête exécutée en notre présence et celle des témoins, devant nommés, de vouloir bien consentir au mariage qu’elle désire contracter avec Jacques Legrand, tisserand, demeurant en la paroisse de Tocqueville, âgé de trente deux ans ou environ, fils de Jacques Legrand et de feu Marguerite Duclos, lequel dit Jacques Legrand fils lad. Requérante trouve être un party convenable et avantageux pour elle ; à laquelle réquisition et supplication, la dite Anne Gouel, veuve Monnet, a déclaré qu’elle ne veut point consentir au dit mariage parce que le dit Legrand n’est point de son goût ; laquelle réponse de refus de la dite requérante a requis acte, ce qu’elle a signé par la marque, ayant déclaré ne savoir écrire....... qu’après la pièce délivrée à la dite Gouel pour valoir ce qu’il appartiendra. Lecture faite avec les témoins et nous dit notaire.... »

Le vendredi premier septembre, à 9 heures, le notaire et les témoins, accompagnés de la requérante, se sont présentés de nouveau chez Anne Gouel pour la seconde fois. Ceux-ci essuyèrent un nouveau refus d’accorder le mariage par la mère ; ce qu’ils consignèrent dans le procès verbal.
Le samedi 3 septembre, à 15 heurs, il fut procédé de la même manière pour la troisième fois. Ce fut un troisième refus de la mère."

Biographie de Marie Anne Monnet :

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Deux jours plus tard, après les fiançailles célébrées la veille à l’église, le lundi cinq septembre 1780, Marie Anne Monnet se marie avec Jacques Legrand, à la paroisse de Greuville. Le prêtre mentionne qu’il n’a trouvé aucun empêchement ou opposition. On trouve parmi les témoins : Jacques Legrand, père de l’époux, Pierre Canu, toilier, cousin de l’épouse, Jean Baptiste Buquet, laboureur et Jean François Buquet, sergent. Sur l’acte de mariage est mentionné les trois sommations effectuées auprès d’Anne Gouel, mère de Marie Anne Monnet, qui, bien sû, n’était pas présente à la cérémonie.

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L’entente familiale mère-fille ne devait pas être au beau fixe au départ de cette union. D’ailleurs, se sont elles revues ?

Marie Anne, lingère et couturière, originaire de la paroisse de Canteleu, demeure depuis quatre mois chez son cousin Pierre Canu, à Crasville la Rocquefort, juste avant son mariage. Celui-ci âge de 30 ans, est marié depuis le 14 février 1774 avec Marie Anne Gouel, du même âge.

Marie Anne est née le 31 mars 1749, à Greuville. Deux frères Jean Abraham et Charles naissent au même lieu en 1743 et 1747. Par ailleurs, Jean Abraham, tisserand, âgé de 33 ans, se marie le 20 septembre 1777, à Tocqueville, avec Catherine Hennetier. Sa mère est présente et consentante à ce mariage.

Sur un rôle de gabelle de 1747, Charles Monnet père, est tisserand et possède avec son épouse une maison masure avec 0,5 acre de terre. Il est imposé de 3 pots de sel.

Après son mariage, Marie Anne et son époux Jacques Legrand, originaire de Tocqueville en Caux, vont habiter la paroisse de Crasville la Rocquefort.

Trois enfants, une fille et deux garçons, vont naître de leur union, entre 1781 et 1786 et seront baptisés à l’église Saint Martin.
En 1784, le 25 juillet, Anne Gouel décède en son village de Greuville, âgée de 75 ans.

Opposition au mariage :

http://www.brin-de-feuille.fr/opposition-au-mariage-une-sommation-respectueuse/


F.Renout

(Administrateur cgpcsm)
R

Sources :
Sur une idée de Chantal Biville.
Généafrance
Archives départementales du Pas de Calais.
Archives de Seine Maritime (actes notariés des notaires Panie Et Lefrançois de Bacqueville en Caux consultés par Chantal Biville)
Base de données de Généacaux


Documents joints

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