Les masures, longères ou chaumières, fermes traditionnelles du Pays de Caux

mardi 16 juillet 2019
par  Francis RENOUT
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« La cour de ferme, enfermée par les arbres, semblait dormir. L’herbe
haute, où des pissenlits jaunes éclataient comme des lumières,
était d’un vert puissant, d’un vert tout neuf de printemps.
L’ombre des pommiers se ramassait en rond à leurs pieds ;
et les toits de chaume des bâtiments, au sommet desquels poussaient
des iris aux feuilles pareilles à des sabres, fumaient un peu comme
si l’humidité des écuries et des granges se fut envolée
à travers la paille. [...] Par dessus le talus, on apercevait
la campagne, une vaste plaine où poussaient les récoltes,
avec des bouquets d’arbres par endroits, et, de place en place,
des groupes de travailleurs lointains. »

(Maupassant, Histoire d’une fille de ferme)

Guy de Maupassant, natif de notre région, décrit admirablement l’ambiance rurale du Pays de Caux dans ses romans.

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Au détour d’un chemin creux, entre les hauts fossés d’où jaillit une rangée de grands arbres, on aperçoit la masure cauchoise, avec ses bâtiments épars à l’abri du clos planté de pommiers où s’ébattent poules et canards près d’une mare.

Les habitants du Pays de Caux sont tous profondément enracinés dans leur terre. Jusqu’à la deuxième moitié du XIXe siècle, les chaumières coiffées d’un toit de chaume (« feurre » en cauchois) et à pan-de-bois, sont majoritaires. Il faut savoir que les anciens qui construisaient ces maisons avaient un outillage fort réduit et que, de plus, les moyens de communication étaient pénibles, pour ne pas dire inexistants. Ils étaient donc contraints de travailler avec ce qu’ils avaient sous la main et en premier lieu avec les matériaux qu’ils pouvaient trouver sur place.

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La maison cauchoise, adossée à son talus, s’intègre au paysage dans une parfaite harmonie, utilisant les matériaux de son sol, c’est-à-dire le bois, la paille ou le roseau, le grès et le silex. C’est un mode de construction qui date des temps les plus lointains de notre histoire et qui s’est perpétué de génération en génération. Le climat, davantage que la topographie de son environnement, a déterminé les structures de l’habitat en Haute-Normandie. Celui-ci, relativement doux et humide a favorisé dans les premiers temps l’implantation de maisons basses et allongées, en pisé et en colombages.

Le soubassement des chaumières, haut de 80 cm, destiné à éviter les remontées d’humidité, utilise les pierres de la région : les grès, les silex taillés, mêlés parfois de briques. Il repose sur des fondations peu importantes ; ce solin n’a aucun rôle de soutien, il n’est fait que de matériaux de remplissage. En fait, la solidité tient à l’ossature qui est en bois, du chêne le plus souvent. Lors de la construction, les façades sont préparées à plat sur le sol, puis redressées et réunies pour former l’habitation.

L’aspect de ses façades se caractérise par le rythme très serré des colombes verticales. Ce type de colombage, propre au pays de Caux, est dit « Rouennais ». C’est sur l’ossature en bois que se fixe le torchis qui sera le mur de l’habitation. Mais auparavant il s’agit de monter entre les poteaux, ou colombes, une âme de clayonnage qui servira d’armature. Cette armature est constituée de lattes en sapin sur lesquelles sont disposées horizontalement des gaulettes, ordinairement de jeunes pousses de châtaignier fendues en deux, de section plus forte que les lattes, de façon à former comme un treillis de bois.

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Le torchis est fait de terre argileuse de leur terrain mélangée à des fibres diverses, de la paille de blé ou d’orge et même de foin. C’est un matériau non porteur d’une solidité remarquable et un isolant thermique et hydrofuge à nul autre pareil. L’utilisation de cette terre crue pour les constructions remonte à l’Antiquité. Le torchis à l’état brut doit être protégé, ne serait-ce que du ravinement des eaux pluviales. Il faut de toute façon attendre au moins trois semaines de séchage du torchis, en tenant compte des conditions climatiques et de l’exposition pour appliquer l’enduit. Celui-ci est constitué principalement de chaux et de sable.

Les ouvertures de la maison donnent vers l’est ou le sud, la façade arrière vers le talus.

La toiture débordante, à quatre pans, repose elle aussi sur une charpente en bois de chêne ou d’orme. Celle-ci est faite de paille soigneusement taillée puis liée et fixée pour donner au toit une épaisseur de plus de trente centimètres. La chaume, paille de blé ou de seigle, donne à la maison d’indéniables qualités esthétiques et d’isolation. Il protège des rigueurs de l’hiver ou d’un éventuel excès de chaleur en été. Au sommet le faite est constituée d’argile maintenue en place grâce à des plantes. Le plus souvent on retrouve l’iris, la joubarbe ou le sédum, dont les racines protègent le limon.

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Sous le toit se trouve un immense grenier. Il servait autrefois aux réserves alimentaires. On y accédait de l’extérieur par un escalier en bois, protégé par une queue de geai.On pouvait aussi y accéder par les lucarnes au moyen d’une échelle.

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Ce type de maison très allongée, ne possède ni entrée ni couloirs, chaque pièce communiquant avec l’extérieur, ce qui explique le nombre important de portes observées. Le rez-de-chaussée est formé de trois grandes pièces (salle, chambre, étable, laiterie ou cellier) se succédant en longueur, ouvrant à l’extérieur et sans communication entre elles. Il pouvait aussi n’y avoir qu’une pièce qui servait de dortoir commun, de cuisine et de salle à manger. D’étroites fenêtres à croisillons de bois, ne laissent pénétrer qu’un jour crépusculaire, à travers les petites vitres.

Dans la longère à cohabitation des humains et du cheptel, le bétail était relégué à l’extrémité opposée au foyer, le sol étant en pente pour éviter que le purin n’envahisse la pièce. Dans le meilleur des cas, une cloison en planches séparait l’étable de la pièce d’habitation.

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Le calcaire des marnières de la région servait pour le badigeon de chaux et les enduits de finition des murs. Le sol des pièces étaient fait de terre battue, sauf dans la salle commune où l’on pouvait y voir du carrelage.

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Maupassant décrit l’intérieur inconfortable et insalubre d’une ferme :

« Après avoir traversé la cuisine, ils pénétrèrent dans la chambre, basse, noire, à peine éclairée par un carreau, devant lequel tombait une loque d’indienne normande. Les grosses poutres des plafonds brunies par le temps, noires et enfumées, traversaient la pièce de part en part, portant le mince plancher du grenier, où couraient, jour et nuit, des troupeaux de rats. »

L’imposante cheminée de la cuisine constitue l’élément important de l’intérieur de la maison, comme le montre son décor. La cheminée rustique, qui s’élève à l’un des bouts de la maison, adossée à un pignon, est un élément essentiel du foyer : on y fait la cuisine, on se chauffe. C’est également un lien social incontournable ;on s’y retrouve pour les veillées, les réunions. Au XXe siècle, la cheminée évoque toujours la chaleur autour de laquelle on aime se retrouver.

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Ainsi sont construites les demeures paysannes dans le Pays de Caux, région où le printemps commence par fleurir le toit des maisons. Ces maisons parfois plusieurs fois centenaires font partie de notre patrimoine et témoignent de la vie des gens d’antan.

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Les incendies de villages :

Le chaume disparaît petit à petit au profit de l’ardoise et de la tuile, les habitants du bourg craignant les violents incendies qui sévissaient jadis. Il est des contrées où l’unique pignon qui soutient la cheminée est en maçonnerie ; de sorte qu’à l’aspect des matières desséchées dont le reste se compose, du chaume qui recouvre le tout et que le vent agite, on est effrayé par l’idée qu’une étincelle peut instantanément embraser ce triste asile et incendier tout un village.

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Jusqu’à la fin de l’Ancien Régime, les matériaux traditionnellement employés dans la construction, bois pour l’armature des maisons à poutres apparentes, torchis pour le remplissage des murs, voire chaume pour la couverture, alliés à la compacité d’un tissu urbain où se mêlent rues étroites et tortueuses, logis, moulins, greniers et granges, ces derniers remplis de matières fortement combustibles (grains, foin, paille, bois et charbon de chauffage), encouragent en effet grandement la propagation d’incendies causés par les accidents, la négligence, la foudre, parfois la malveillance et les exigences de la guerre de siège. Aucune ville n’est à l’abri d’une destruction totale par le feu, à l’image de Bolbec en 1656

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Quelques exemples dans le Pays de Caux :

En 1694, incendie et destruction d’une grande partie de Dieppe pendant la guerre avec les anglais.

En 1740, Anglesqueville est entièrement détruit par un incendie.

Le 14 juillet 1765, le bourg de Bolbec, à 7 lieues de Rouen, composé de 800 maisons, a été réduit en cendres en deux heures de temps. C’est un boucher, qui en grillant un porc dans une cour pendant la grande messe, a été l’auteur de ce désastre. L’église a été réduite en cendres et les cloches ont fondues sous la chaleur intense qui régnait. Plus de 4000 habitants ont non seulement perdus leurs maisons mais aussi leurs meubles, sans qu’il ne soit possible de retrouver quelque chose. Une désolation aussi funeste que l’incendie s’est fait sentir : la faim, la nudité ont réduit les habitants au désespoir. Ce bourg, le plus riche de la province par ses industries, ne laisse à la postérité, que le triste souvenir d’un éclat qu’un siècle ne peut lui en faire recouvrer. Un généreux citoyen de la ville, Mr de Marchis, aida le maximun de personnes par sa charité. (Journal de Rouen)

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Le vendredi 6 juillet 1781, le feu a pris dans le bourg de Veules les Roses, vers les 21 heures, à cause de la négligence d’une femme qui avait laissé son enfant seul au domicile. La maison était voisine de l’église Saint Martin, dans le centre du village. L’incendie se communiqua dans toute la partie du bourg qui va vers la mer, au point que 161 maisons, tant de la paroisse Saint Martin que Saint Nicolas, ont été la proie des flammes. Le feu a cessé, lorsqu’arrivé en bord de mer, il n’y avait plus de maison à brûler. Ce drame a réduit 590 personnes à la misère. N’ayant rien pu sauver de leurs meubles, ces personnes se retrouvèrent sans nourriture et se couchèrent sur la cale pendant 31 heures. Les maisons des boulangers et des cabaretiers avaient été entièrement brûlées. Le dommage causé par cet affreux sinistre fut estimé à 337 livres, perte énorme pour un humble village. (registre des doléances et des aumônes du presbytère)

Chronologie des grands incendies :

https://fr.wikipedia.org/wiki/Chronologie_des_grands_incendies

F,Renout
(Administrateur cgpcsm)

Sources :

1) association « le jardin des amouhoques »

2) Valentine Goetz-Lemahieuw (maison de normandie)

3) recherches personnelles diverses


Documents joints

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