Les charitons Normands

lundi 12 octobre 2020
par  Francis RENOUT
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A la recherche du temps perdu, comme toujours sur les traces du passé de nos ancêtres, en quête de nouveautés en matière d’histoires locales, quelle satisfaction lorsqu’un ami passionné de généalogie et du patrimoine locale de notre village de Néville, m’appelle pour me raconter sa découverte très intéressante ! Lors du nettoyage d’une maison par les héritiers, après le décès d’un de leurs parents, des stocks de papiers divers, journaux, anciens pour certains, étaient prêts à être emportés à la décharge. Le destin fit que mon ami passait par là au même moment et interpella ces personnes, qu’il connaissait quelque peu. Après quelques tractations, ils lui permirent d’emmener un lot d’archives diverses, bien content, d’autre part, de s’en être débarrasser. Quelques temps plus tard, quelle ne fut pas sa satisfaction de retrouver un vieux document, écrit sur quatre feuilles en vélin, daté du début du XVII ème siècle.

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Ce document, enroulé, très bien conservé malgré les années, fut déplié avec précaution. Que contenait-il ? Après plusieurs essais de lectures, on comprit qu’il concernait la création de la confrérie de la charité de Néville, en date du 12 février 1606, établi par Maître Robert De Rouen curé du lieu. Comment cet inestimable document avait-il pu se retrouver chez ce particulier ? On a notre idée à ce sujet ! La prudence m’invite à ne rien divulguer !

Quelques jours auparavant, naissait Pierre Corneille, le 6 juin 1606, à Rouen.

Les Confréries de la charité :

D’après certains historiens, l’origine de ses associations serait fort ancienne ; mais cependant, elles n’apparurent dans l’histoire qu’au XIV ème siècle : en 1358 à Rouen, en 1397 à Sainte Croix de Bernay. C’est surtout aux XV et XVI ème siècle, qu’on vit ces confréries se créer dans diverses régions de Normandie. Leur origine est liée aux confréries laïques qui emportaient et enterraient les morts pendant les grandes épidémies du moyen-âge.

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C’était des associations de paroissiens catholiques qui assuraient bénévolement les inhumations et accompagnaient les familles en deuil. Elles prirent rapidement de l’importance et se consacrèrent non seulement au culte des morts mais aussi à l’entre-aide des confrères malades ou dans le besoin. Elles participèrent aux solennités religieuses en en rehaussant l’éclat et en leur apportant l’appoint de ses membres revêtus de leurs livrées éclatantes. Souvent riches, elles prirent aussi une part active à la reconstruction des églises ruinées par la guerre de cent ans.

Chaque confrérie, attachée à une paroisse dans l’ancien régime ou dans un village à notre époque, était placée sous le patronage d’un saint, se distinguait par sa bannière particulière. Elle disposait d’un règlement intérieur. Ses membres étaient nommés les charitons.

Les confréries de charité ont passé les siècles au travers des vicissitudes de l’histoire, ayant été interdites pendant la révolution française, suite au décret du 18 août 1792. A partir de la Révolution, les biens des confréries furent gérés par les conseils de fabrique. Elles furent rétablies le 10 septembre 1801. C’est en Normandie, dans l’Eure, que cette institution a le mieux résisté à travers les siècles.

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Chaque confrérie avait ses coutumes, dont certaines étaient fort originales. C’est ainsi que, dans la Seine-Inférieure, suivant un usage d’ailleurs très répandu autrefois dans toute la France, un frère agrafait, il y a quelques années, lors de la levée du corps, un morceau de crêpe aux ruches et avertissait les abeilles que leur maître était mort.

En 1905, lors de la séparation de l’église et de l’état, les charités perdirent la quasi totalité de leurs revenus.

La composition des membres :

Les membres sont l’échevin ou maître, le prévôt, le clerc, le tintenellier nommé aussi clocheteux ou campanellier et les frères.

L’échevin ou maître organise la vie de la confrérie et inspecte la tenue et la conduite des charitons. Il est régulièrement renouvelé par rotation entre les frères.

Le prévôt, adjoint de l’échevin, assure la tenue de la trésorerie, dont la perception des amendes en cas d’absence des charitons lors des cérémonies. Les ressources sont apportées par les dons et quêtes organisées lors de funérailles ainsi que la seconde quête lors des messes dominicales et festives.

Le tintenellier, clocheteux ou campanellier, toujours en tête des processions ou convois mortuaires, agite deux grosses clochettes, sur un rythme monotone ou en sautillant.

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Les frères sont de bons chrétiens catholiques et de bonne réputation. Leur engagement est reçu par le maître, en présence du prêtre desservant, à l’issu d’une messe pendant lequel lui est remis le chaperon. Le nombre de membres est limité à quinze.

A l’époque les vêtements des Charitons et les ornements de la confrérie (bannières, drap mortuaire, la tenture de la charité qui était fixée au dessus de la porte d’entrée de l’église le jour de l’enterrement) étaient conservés dans une petite pièce à part pour ne pas être mélangés avec les vêtements sacerdotaux. Sur la tête, la barrette. Sur ses vêtements civils, la soutanelle ou paletot descendant jusqu’aux genoux. Sur l’épaule gauche, en bandoulière, l’élément principal, le chaperon.

Le chaperon :{{}}

Le chaperon est une large étole souvent richement brodée d’or et d’argent. C’est la marque distinctive du chariton en service dans une église. Il se porte obliquement, passé sur l’épaule gauche et noué sous le bras droit. Le motif brodé est propre à chaque confrérie. Le fond brodé est noir pour les offices funèbres et de couleur pour les autres cérémonies ou processions. Historiquement, la couleur du chaperon est passé du violet ou vert d’origine au rouge avec un ostensoir d’or au XVII ème siècle ; puis au rouge, grenat et noir après la révolution.

En même temps que ce document fut retrouvé quelques morceaux de tissus provenant très certainement de chaperons névillais.

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La confrérie de la charité de Néville :

Suivant les documents retrouvés, voici ce qu’il est mentionné :

« Fondée et érigée sous le bon plaisir du sévérissime et illustrissime prince et seigneur, monseigneur le cardinal de Joyeuse, archevêque de Rouen, primat de Normandie ou de son vénérable vicaire, en l’honneur de Dieu et de la glorieuse vierge Marie et de toute la cour céleste du paradis, vénération du saint sacrement de l’autel, l’invocation de monsieur Saint Martin patron de l’église de Néville, de Saint Adrien pour être desservie à l’avenir en la dite église de Néville au doyenné de Cauville, diocèse de Rouen »

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« Il est ordonné que tous ceux et celles, qui par dévotion, voudront se rendre de la dite charité, le pourront, pourvu qu’ils soient de la religion catholique et romaine et d’honnête vie, en payant pour chacun treize deniers et six deniers tournois pour la livrée. Il a été ordonné que en y celle charité, il y aura treize frères servants, manants et habitant de la dite paroisse de Néville avec deux chapelains lesquels frères devront payer pour entrer chacun la somme de six livres pour subvenir à l’entretien de la dite charité ».

« Les noms et surnoms des auteurs et électeurs dy celle charité en suivront : Maître Robert de Rouen, cré ; Maître Limon, prêtre ; noble et puissant seigneur messire Adrien, sire De Bréauté, mineur, fils héritier de feu messire Pierre De Bréauté, vivant chevalier de l’ordre du Roi, seigneur et patron de la dite église de Néville et autres terres, étant par l’autorité du Roi, pour la garde noble de notre Dame Suzanne De Monchy, veuve de feu noble et puissant seigneur Adrien, sire De Bréauté. »

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Ensuite suivent les noms des charitons :

« Jacques le Sauvage, écuyer, sieur de la bergerie ; Maître Adrien Rabasse, avocat ; Laurent Petit Seigneur, fils de Laurent ; Jean Simon ; Pierre Delastre ; Etienne Etienne ; Regnaut Louis ; Pierre Hubert, Etienne Delastre ; Pierre Guérout ; Maître Nicolas Etienne, procureur ; Laurent Samson ; Jean Moy et Antoine Lefevre. »

Jean Moy sera prieur et désigné pour porter les clochettes. Les dits prévôts, les échevins et les frères servants seront sujets d’avoir chacun un chaperon de couleur rouge qu’ils porteront sur leurs épaules pour comparaitre au service.

Sur ce document est ensuite décrit les servitudes et devoirs de chacun d’entre-eux envers la paroisse de Néville et autres lieux. Il serait trop long et fastidieux de tout reporter sur cet article.

Robert de Rouen qui fut l’instigateur de la création de cette confrérie, décèda à Néville, le 23 janvier 1664, âgé de 86 ans. Un bel âge à cette époque. Il fut inhumé au pied du grand hôtel dans l’église de son village. Très âgé, Pierre Delastre, chariton, l’était aussi ! C’est à l’âge de 90 ans, qu’il décèda le 7 mai 1663, à Néville.

Qui était le cardinal de Joyeuse :

Cardinal et homme politique français, François De Joyeuse naît le 24 juin 1562 à Carcassonne. Il est le second fils de Guillaume et de Marie Eléonore de Batarnay. Concernant sa riche biographie, voir les liens qui suivent. Au moment de la création de la confrérie de Néville en 1606, François De Joyeuse se trouve à l’archevêché de Rouen depuis le 1 décembre 1604. Entre-temps, il participe aux conclaves de 1605, qui élisent les papes Léon XI et ensuite Paul V. En route pour Rome, il meurt en chemin de dysenterie, au collège d’ Avignon, le 23 août 1615, âgé de 53 ans.

https://www.beauzons.ch/joyeuse/bienvenue-a-joyeuse/seigneurie-de-joyeuse/maison-de-joyeuse/francois-de-joyeuse/

http://leblogdumesnil.unblog.fr/2015/08/23/2015-75-du-cardinal-francois-de-joyeuse-grand-serviteur-de-la-sainte-eglise-et-de-la-couronne-de-france/

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Douains : quelques pages d’histoire

https://www.douains.fr/images/pdf/culture-loisirs/Histoire%20de%20douains/2%20les%20charitons.pdf

Voici comment était organisée la charité de Veules (Seine- Inférieure), en l’an 1627 :

« En icelle charité, y aura treize frères qui seront nommés serviteurs ou frères servans, desquels il y en aura six qui serons esleus à la pluralité des voix, pour porter les corps en terre des frères et seurs trepasses dans ledit bourg et autres corps trouvez ès chemins et au bord de la mer, et seront tenuz les autres frères servans comparoir auxdits enterremens, sur (sous) peine (d’) amende ; item il y aura en ladicte charité un des frères qui portera le nom de clerc, et aura pour son enseigne une petite tunique rouge, lequel aura charge de bailler le luminaire aux frères servans, de crier les patenostres pour les trepassez, partout ledit bourg, advertissant de l’heure en laquelle le corps du trépassé sera mis en terre. »

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(Yville sur Seine)

En Normandie, notamment en Seine Maritime, les charitons sont toujours présents au XXI ème siècle, avec la vocation d’assister les personnes dans la peine à la suite d’un deuil et pour accompagner les défunts jusqu’à leur dernière demeure. En Seine-Maritime, il n’existe plus que 5 confréries dont celle de Vatteville-la-Rue qui apparut le 9 septembre 1526. Dans ce village, les personnes gérant les conseils de fabrique ont leurs noms inscrits sur la façade de l’ancien presbytère. A Vatteville, les charitons sont au nombre de 10 (1 Maître, 1 Sous-Maître et 7 frères et 1 soeur). D’ailleurs, en cas de décès, les familles peuvent s’adresser à la Mairie qui appelle le Maître ou le Sous-Maître, qui appelle à son tour les autres frères disponibles pour l’inhumation.

Dans l’Eure, il existe encore 117 confréries comprenant environ 1000 frères et soeurs. En 2015, à Yville sur Seine eut lieu le congrès régional. En 2019, plus de 800 charitons furent réunis à la basilique de Lisieux.

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(Saint Aubin de Quillebeuf)

De nos jours, les décès en milieu hospitalier, mais surtout la modernisation des pompes funèbres et des funérariums ont rendu la fonction des charitons obsolète. Dans notre région, où la tradition perdure, on permet toutefois le transport du cercueil de l’église au cimetière.

Afin d’assurer les soins nécessaires et la préservation du document, celui-ci sera déposé aux archives départementales de la Seine Maritime.

F.Renout
(Administrateur cgpcsm)
R

Sources :
Document de la création de la confrérie de Néville (photos en ma possession)
René Vaultier (coutumes provinciales, le chasser français, décembre 1948)


Documents joints

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