Le triste destin de Rose Petit, marchande de chiffons

samedi 31 août 2019
par  Francis RENOUT
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Au hasard de mes recherches, c’est dans le registre des Grandes-Ventes, aux AD de la Seine-Maritime, que j’ai trouvé cet acte de naissance insolite.

Les Grandes Ventes est un village en bordure de la forêt d’Eawy, ainsi nommé en raison des importantes ventes de bois qui s’y effectuaient .

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C’est là que Rose Petit met au monde le 13 Juin 1872 la petite Félicité Louise Julia, à trois heures du matin, sur la route de Dieppe à Paris, dans une voiture de marchand ambulant. La femme qui vient d’accoucher a déjà 37 ans, elle est née à Belleville sur mer dans les bâtiments d’une ferme où son père, originaire du quartier du Pollet à Dieppe, qualifié de journalier et mendiant est venu s’abriter avec sa femme en mal d’enfant. Avec de tels débuts dans la vie, on devine que l’existence de Rose ne sera pas des plus faciles.

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Rose ne passe pas devant monsieur le maire mais quand naît Félicité, elle a déjà mis au monde plusieurs enfants qui ont tous vu le jour dans le département de la Seine- Inférieure mais dans des villages différents au gré de ses déplacements : une première petite fille naît à Gruchet Saint Siméon le 28 Décembre 1859. Elle est prénommé Rosalie Delphine et s’appelle Dujardin puisque reconnue à sa naissance par son père François Marcellin Dujardin, un chiffonnier, originaire de Bosc-Le-Hard. Rose s’occupe alors à « coudre de la faïence ». Une seconde petite fille, Angelina naît le 18 juin 1863 à Estouteville-Ecalles, puis un garçon, en 1866 à Saint-Georges- sur-Fontaine, prénommé François Marcellin. Celui-ci n’est pas reconnu par son père, la maman est devenue marchande de chiffons. Tous ces enfants sont certainement les enfants de François Marcellin Dujardin, même s’il omet parfois de les reconnaître ou le fait tardivement : la petite Félicité, née sur la route de Dieppe est ainsi reconnue 16 ans plus tard en 1888, peut-être pour faciliter un mariage.

Mais on pouvait trouver un indice de cette paternité dès la lecture de l’acte de naissance : on y voit que la femme qui présente l’enfant s’appelle Félicité Dujardin, « présente à l’accouchement comme compagne de voyage de la mère de l’enfant. » Ce qui n’est pas dit c’est qu’elle est la sœur de François Marcellin Dujardin et donc la tante du nouveau-né. D’autres enfants suivront dont un petit Désiré Eugène Dujardin, né sur la voie publique en 1877 à Arques la bataille. La situation de Rose ne s’améliore pas et d’autres enfants sont peut-être nés dont je n’ai pas retrouvé la trace. Ce sont des familles qui vivent dans une précarité très importante, qui changent sans cesse de résidence et qui ne s’encombrent pas de formalités administratives.

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Nous connaissons toutefois le lieu et la date de décès de Rose, à tout juste cinquante ans, le 26 Octobre 1886 « sur la place publique de Cailly où elle était de passage », (je connais bien l’endroit car c’est dans ce village que j’ai passé toute mon enfance, on y voyait encore de pauvres marchandes traversant le village en criant « peaux de lapins, chiffons, ferrailles. ») On la dit marchande ambulante sans domicile fixe et mariée à Marcellin Dujardin, sans profession et domicile connus. La date du mariage est laissée en blanc et pour cause. Triste destinée ! Les filles de Rose connaîtront à leur tour les aléas d’une vie de nomade. Quant à François Marcellin il se marie finalement avec une veuve, en 1888, à Yvetôt (pas de mention d’un précédent mariage de l’époux) et décède beaucoup plus tard aux Grandes-Ventes le 7 mars 1908, à 65 ans, resté jusqu’à sa fin marchand ambulant.

Le raccommodeur de faïence :

" Raccommodeeuuuuur...
de porcelaine ! raccommode la faïence, le verre, la terre,
le marbre, l’albâtre,
avec attaches et sans attaches !
Tond les chiens...
Coupe les chats
et vat-en ville "

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En 1859, Rose est « couseuse de faïence ». Qu’est ce donc que ce métier ? On l’appelait plus couramment raccommodeur ou raccommodeuse de faïence.

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Elle dut apprendre ce travail avec son beau-père Pascal François Dujardin qui exerçait ce petit métier de rue. A cette époque, les objets en céramique étant assez chers, il était de coutume de les faire réparer par des artisans ambulants, afin de leur donner une nouvelle vie. Celui-ci perçait des trous au burin de part et d’autre de la cassure, pour maintenir les tessons de céramique, avec des fils de métal (fer, laiton ou cuivre) formant des agrafes. Pour maintenir en place le métal dans l’orifice, il le colmatait avec du mastic de vitrier. Ce raccommodage pouvait résister un siècle !

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Ce procédé daterait du commencement du XVIII ème siècle et aurait été inventé par un sieur Deslisle, originaire de Montjoie, en Basse Normandie, vers 1730. Celui-ci, paysan dans ce village, trouva le moyen de raccommoder la faïence avec du fil d’archal et fit fortune. Ce fil, fait de fer ou de laiton au moyen âge, fabriqué par les tréfileurs, était recouvert de coton ou de papier. Il permettait de lier fortement les objets. Les réparateurs de faïence eurent du mal à faire reconnaître leur profession, les fabricants de poteries voyaient en eux de sérieux concurrents à leur prospérité. De nouveaux procédés eurent raison de cette petite industrie, en utilisant du mastic ou de la colle.

https://www.sudouest.fr/2011/02/23/il-recoud-la-vaisselle-324857-1809.php

Berthe Sylva en fit une chanson et Eugène Atget (1857/1927) de superbes photographies disponibles dans Gallica.

https://www.chansonsretros.com/index.php?param1=BO01014.php

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Concernant Pascal François Dujardin, mendiant, vagabond et raccommodeur de vaisselle, celui-ci fut condamné à huit ans de travaux forcés par la cour prévôtale de Rouen le 20 juillet 1816, pour vol à l’aide d’effraction.

Martine Hautot
Sources : actes sur les archives départementales

Transcription : F,Renout.
(Administrateur cgpcsm)


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