Histoire mouvementée d’une cauchoise au XVIII ème siècle

lundi 17 septembre 2018
par  Francis RENOUT
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Marie Marguerite Levoint est née le 23 avril 1735 à Theuville aux Maillots, petit village du Pays de Caux, entouré de Thérouldeville, Gerponville, Bertreville, Angerville la Martel, Criquetot le Mauconduit, Sassetot le Mauconduit et Valmont.

Ce village est situé à 6 km de la mer dont la plage la plus proche est celle des petites dalles. En 1753, Pierre Papavoine de Canappeville, chanoine de Rouen, possédait la seigneurie de Theuville-aux-Maillots. Guillaume Lecomte, berger de profession, meurt en la paroisse de Theuville-aux-Maillots âgé de cent dix ans, le 17 janvier 1776. On peut donc supposer qu’il fut un témoin de la vie de Marie, car dans les villages autrefois, tous les habitants se connaissaient.

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Marie Marguerite, fille de Noël François Levoint et de Marie Hébert, mariés en 1729 à Theuville aux Maillots, devint orpheline de père en juin 1740, alors âgée de 5 ans. Elle eut un frère Nicolas Noël, né en 1731 et décédé en 1743 ainsi qu’une sœur Marie Marguerite, née en 1733 et décédée en 1734.

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Veuve depuis 3 années, sa mère vint à se marier en 1743, dans la même paroisse, avec Robert Leleu, jardinier, dont elle eut 4 enfants entre 1743 et 1749. Marie avait alors 8 ans. C’est donc dans cette famille modeste que vécut cette dernière.

On s’étonne souvent, en faisant nos recherches généalogiques, de voir les femmes veuves ou plus particulièrement les hommes veufs se remarier presque aussitôt ! A cette époque, le mariage était une nécessité de survie. La société de l’époque était construite autour du couple et du partage des tâches entre les deux conjoints. Le travail de l’homme et celui de la femme étaient tous deux indispensables. La femme faisait la cuisine, entretenait la maison, réparait et recousait les vêtements, élevait les enfants, prenait soin du bétail et de la basse cour, tandis que l’homme s’occupait des tâches dures afin d’amener l’argent indispensable au foyer.

On peut supposer que Marie se rendait utile en surveillant la volaille, en ramassant les œufs, en tirant l’eau du puits, en trayant une chèvre ou encore en s’occupant de ses demi-frères frères et sœurs pour aider sa mère.

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Que fit Marie à son adolescence, on ne le sait pas mais on peut le deviner ! A cette époque, on n’avait pas de temps libre pour les loisirs. Elle fut certainement placée comme servante ou domestique dans une ferme du village ou chez un bourgeois.

Qui rencontra t-elle en 1756, un patron trop entreprenant ou un amoureux de passage ? Toujours est-il, qu’à l’âge de 22 ans, en avril 1757, Marie mis au monde des jumeaux. Un fils Guillaume Jacques et une fille Marie Anne Catherine. Enfants naturels, ils furent présentés par la sage femme Marie Dufour, suivant mandement obtenu au bailliage de Cany délivré par Mr Phily, avocat au siège et signé par Mr Fouet, ceci en présence de Marie Anne Allain, femme de Jacques Dupuis et de Magdeleine Lechevallier, femme d’André Faillot, tous trois domiciliés à Theuville aux Maillots. Aucun nom du père ne figure sur ces actes ! Guillaume Jacques devint par la suite chasse moulin et meunier à Valmont où il se maria en 1785. Quant à Marie Anne, elle décéda à l’âge de 13 ans en 1770.

En 1758, en janvier, âgée de 50 ans, sa mère décédait en ce village de Theuville aux Maillots.

La vie ne dut pas être facile à ce moment là pour Marie qui devait travailler pour subsister et élever ses enfants.

De nouveau, le 12 avril 1762, naissait un enfant Charles Valentin, né de père inconnu ! Il fut présenté par Marie Dufour, veuve de Guillaume Vasse, faisant les fonctions de sage femme, en présence de Marie Marguerite Buquet, veuve de Jean Levillain et de Marianne Dufay, épouse de Jean Martin Boisard, tous de Theuville aux maillots . Qu’est-il devenu ? On perd sa trace dès sa naissance !

Puis, c’est au tour de Charles Guillaume le 3 octobre 1764, de naître de père inconnu à Theuville aux Maillots ! Il fut Présenté au baptême par Marie Dufour, veuve Guillaume Vasse, Marie Anne Chambay, veuve Guillaume Giard et Marguerite Bellehut veuve d’adrien Cadinot. Celui-ci se maria en mai 1785 à Doudeville et perpétua le nom de famille jusqu’à nos jours.

En cette année 1764, âgée de 29 ans, Marie se retrouve seule avec quatre enfants nés de père inconnu ! Les plus âgés ont sept ans, suivi de l’avant dernier qui a deux ans, puis du nouveau né. Les filles-mères ne sont cependant pas des raretés dans les arbres généalogiques.

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Mais il ne faut pas oublier qu’à partir du XVIII ème siècle, fille mère n’est pas un statut enviable ! Les juristes combattent l’église qui donnait les torts au mère et permettent plus facilement aux riches de chasser une servante engrossée. Ses naissances deviennent la faute de la mère et le déshonneur de sa famille. En général, à cette époque, ces naissances hors mariage sont pour 80 % le fait de domestiques, souvent mineures et analphabètes. La moitié d’entre elles ont été séduites par leur maître. Leur faute s’explique par leur misère et leur isolement. Quand l’enfant naissait hors mariage, il était considéré comme un “bâtard”. En France, une ordonnance de Louis XIII, datant de 1639, ordonne que tous les enfants nés hors mariage soient frappés d’indignité, d’incapacité totale de succession, ce qui revint à les exclure de la famille. C’est principalement la noblesse et la bourgeoisie qui recourront à cette décision. Les jeunes filles célibataires peuvent abandonner leur enfant à cause de leur faible revenu mais aussi en raison de leur difficulté à affronter la honte de l’éducation d’un bébé né “hors normes”.

Analphabète, Marie devait l’être ! Par contre, ses ancêtres savaient au moins signer avec plus ou moins d’aisance depuis 1671. Peut-être que son frère avait appris à signer, mais il devait décéder jeune à l’âge de douze ans. Ce savoir ne fut donc pas perpétué aux descendants. On retrouve ensuite les premières signatures, sur des actes en 1885.

Afin d’éviter de nombreux infanticides, Henri II rendit obligatoires les déclarations de grossesse par un édit de 1556. Une jeune fille qui ne faisait pas cette déclaration pouvait encourir la peine de mort. Bien sûr, une fois l’enfant né, la vie de ces filles-mères ne s’améliorait pas pour autant, car il leur était difficile de trouver un homme qui accepte de les épouser. Quel mari pouvait-elle trouver ? Souvent quelqu’un de sa condition, journalier ou domestique.

C’est donc, le six octobre 1772, que Marie se maria à Theuville aux Maillots avec Jean Georges Guéroult, tous deux âgés de 37 ans. De cette union naquit Pierre Georges en août 1773 au même lieu. Malheureusement pour elle, leur bonheur fut de courte durée car Jean Georges décédait 5 ans plus tard en janvier 1778.

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Cette fois, c’est en qualité de veuve, qu’elle dut élever ce dernier enfant, qui devait décédé en juin 1782, âgé de 8 ans. Ses premiers enfants avaient alors entre 14 et 21 ans et n’étaient plus à la charge de leur mère.

Neuf mois passèrent ! Et c’est en octobre de l’an 1778, que Marie devait se marier de nouveau, à Theuville aux Maillots, avec Guillaume Leber. Celui-ci était veuf, marchand et père d’une fille Madeleine Catherine âgée de 6 ans, née en 1772. En effet, lui aussi, son premier mariage fut de courte durée, puisqu’il ne dura que 7 ans. Une fille Marie Madeleine naîtra de cette union en juillet 1779 ; par contre, elle devait décédée à l’âge de 6 ans en mars 1786. Je pense que leurs malheurs respectifs de perdre chacun leur conjoint les rapprocha !

Quelques années plus tard en 1785, Marie eut le bonheur de marier ses deux fils naturels. Charles Guillaume fut le premier en mai à Doudeville, suivi par son demi-frère 14 jours plus tard en juin à Valmont. Marie était alors mentionnée « marchande de droit » sur les actes, métier qu’elle devait exercer depuis son union avec Guillaume Leber.

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Cette histoire peut certes prêter à sourire de nos jours, mais elles nous rappellent une triste réalité de l’époque. En effet, la conception d’enfants hors-mariage étant alors très mal vue, beaucoup de jeunes filles tentaient de cacher leur grossesse, d’accoucher seules (au risque de leur vie) et de se débarrasser de l’enfant pour ne pas finir aux bans de la société.Ce ne fut pas le cas de Marie qui accepta cette situation. Cette recherche montre cependant toutes les difficultés auxquelles étaient confrontées les filles-mères sous l’ancien régime, notamment les peines qu’elles encouraient si elles ne déclaraient pas leur grossesse et la difficulté à faire entendre leurs droits vis-à-vis du père de l’enfant.

Marie aura connu les joies d’être grand-mère de cinq petits enfants avant de s’éteindre le 27 frimaire de l’an XIII (18 décembre 1804) âgée de 69 ans, à Theuville aux Maillots, village qui l’a vu naître et auquel elle resta fidèle sa vie durant.

F.Renout

Sources:recherches généalogiques personnelles

(administrateur CGPCSM)


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