Nomination des maîtres de port au début du XIX ème siècle

jeudi 1er juin 2023
par  Francis RENOUT
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Le remplacement d’un maître de port n’est pas toujours une chose facile ! Bien que plusieurs personnes se soient succédé à ce poste au cours des siècles, voici comment se passait le recrutement il y a deux siècles, dans le Pays de Caux.

Le 27 août 1820, le sieur Plé, maître de port à Saint Valery en Caux, est atteint d’hémiplégie. Monsieur le préfet demande des renseignements sur l’état de santé de cet officier et une liste de candidats au cas où il serait nécessaire qu’il soit remplacé sur son poste.

Nicolas Plé est né le 30 avril 1753, à Saint Valery en Caux.Il est le fils de Jacques Nicolas, tonnelier, et de Marie Michel. Le 24 février 1772, il est matelot comme mentionné sur les quartiers maritimes de Fécamp. Plus tard, il devient capitaine de navire et maître de quai. Il se marie le 5 août 1797, à Saint Martin aux Buneaux, avec Reine Victoire Dumont.

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L’ingénieur déclare avoir demandé une attestation au médecin, qui a soigné le sieur Plé pendant sa maladie. Il demande, en plus, une visite par le chirurgien attaché aux travaux du port de Dieppe. Il résulte de ces deux attestations, que cet employé est dans l’indisponibilité absolue de faire son service, et qu’il n’a aucun espoir de guérison. Il faut donc songer à son remplacement !

Nous sommes donc en août 1820. Trois candidats sont proposés par l’ingénieur chargé des travaux maritimes du port dont le sieur Louis Aubin Marage, ancien officier de la marine ; le sieur Samson Laveuve, officier marinier et le sieur Louis Nicolas Delamare, ancien maître pêcheur.

Louis Aubin Marage est né le 2 mars 1771 à Annouville Vimesnil. Il est le second fils de Louis, charpentier, et de Suzanne Dupray. Aide timonier, puis chef de timonerie pendant plus de quatre ans, il est nommé enseigne provisoire. Après 1793, Il commande en tant qu’enseigne de vaisseau, un bateau de la flottille du régiment de Boulogne Ambleteuse. Ensuite, il fait fonction d’officier payeur, dans le bataillon de gardiennage, pendant neuf ans, jusqu’à l’époque de la dissolution de ce corps. De 1815 jusqu’à 1820, il est syndic des marins du port de Saint Valery en Caux, chargé de la caisse des invalides.

Le 28 octobre 1820, en vertu d’une décision du directeur général des ponts et chaussées, le sieur Marage remplit provisoirement les fonctions de maître de port. Il abandonne la totalité de ses appointements au sieur Plé, auprès duquel ce secours était nécessaire, vu le peu de fortune qu’il possédait depuis qu’il était malade. Dans l’attente de la désignation du successeur de Nicolas Plé, il est agréé par le maire Amand Valentin Gautier, pour le remplacer provisoirement dans sa fonction. Au bout de quatre mois, il s’est acquit l’estime générale.

S’étant proposé de reverser à son prédécesseur la totalité de son appointement sa vie durant, et s’étant de plus acquitté de ses devoirs dans des circonstances difficiles, comme en témoigne les certificats de son excellence le maître de la marine et des colonies, l’ingénieur pense alors que le sieur Marage mérite la préférence.

Le 7 décembre 1820, l’administration, pour compléter les pièces à fournir, demande une copie de l’acte particulier par lequel cet officier s’engage, dans le cas où il remplacerait le sieur Plé, à lui reverser une somme annuelle égale à l’appointement qu’il pourrait obtenir de l’administration. Le 27 décembre 1820, monsieur Leconte, conducteur de travaux à Saint Valery en Caux, adresse l’acte passé entre Marage et Plé. Voici donc une administration qui se déchargeait du problème de pension en faisant payer le successeur au poste de maître de port.

La santé de Nicolas Plé ne s’améliore pas. Le 4 juin 1822, il décède, au N° 31 grande rue, à Saint Valery en Caux, âgé de 69 ans. Le témoin est son ami Louis Aubin Marage, alors mentionné comme syndic des quais de mer.

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Le 8 juillet 1822, le commissaire de marine de Fécamp paraît opposé à la nomination du sieur Marage, car il a d’après lui, incompatibilité entre la fonction de syndic et de maître de port. L’ingénieur déclare en outre, que le sieur Boquet est protégé par le maire de Saint Valery en Caux. A cette date, le sieur Marage est informé par décision du directeur général, en date du 4 de ce mois, que le sieur Boquet vient d’être nommé maître de port, et que son intérim devra cesser à compter du 1 octobre 1822. Votre changement a probablement été occasionné par l’incompatibilité de vos deux fonctions. Il n’est nullement pas fait état du sérieux coup de piston écrit noir sur blanc dans le rapport du 8 juillet. Il apparaît donc , à cette époque, que l’on ne s’embarrasse pas de floriture pour licencier quelqu’un qui ne plaisait plus.

Mais les choses vont traîner, et ce n’est que le 29 juillet 1822, que la liste des candidats au remplacement de maître de port arrive à Dieppe.Entre-temps, le sieur Laveuve samson est décédé. Une nouvelle liste est donc proposé composé de Louis Aubin Marage, Louis Nicolas Delamare et Pierre Nicolas Clément Boquet.

Louis Nicolas Delamare est né le 8 février 1757, à Saint Valery en Caux. Il est le fils de Louis, menuisier, et de Marguerite Suzanne Denids. Il sert pendant huit ans pour le commerce et vingt deux ans comme maître de bateau pêcheur. Il se marie le 27 janvier 1787, à Saint Valery en Caux, avec Magdeleine Jeanne Bachelet, fileuse d’aplets. Comme la majorité des marins, il habite la rue saint léger.

Que désigne ce terme d’aplet ? Un aplet est un filet qui sert pour la pêche aux harengs. A cette époque, les pêches du hareng et du maquereau procurent aux habitants un aliment sain et économique. Charles VI, en 1400, se préoccupera non seulement de réglementer le commerce, mais aussi l’utilisation des engins de pêche. Dans son ordonnance, il fixait la dimension minima d’un filet appelé « aploïda » ou « aplet », termes qui désignaient la senne, filet déjà connu des Romains.

Pierre Nicolas Clément Boquet est né le 30 août 1754, à Saint Valery en Caux. Il est le fils de Pierre Clément, marinier, et d’Anne Marguerite Anquetil. Le 22 juin 1773, il est matelot. Il sert dans la marine militaire pendant huit ans, en qualité de premier pilote et d’enseigne de vaisseau auxiliaire. Le 9 juillet 1782, il est nommé capitaine au long cours par l’amirauté de cette ville. Le 19 mai 1785, il est nommé officier comme on peut le voir sur les quartiers maritimes de Fécamp. Il navigue pendant vingt quatre ans pour le commerce. Le 27 février 1786, il se marie, à Saint Valery en Caux, avec Geneviève Victoire Cordonnier, marchande. Le 2 mai 1799, suite à une demande de passeport, on le décrit ainsi : « taille de 5 pieds, cheveux et sourcils bruns, yeux bleus, nez aquilin, bouche moyenne, menton et visage rond, front bas ».

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Parmi ces trois candidats, Marage et Boquet ont la capacité nécessaire requise pour ce poste. Le sieur Boquet a quelques connaissances de l’anglais, langue qu’il a apprit pendant ses sept années de captivité passé en Angleterre en tant que prisonnier.

Voici un courrier envoyé à Monsieur le Chevalier Haudry, ingénieur en chef, le 8 juillet 1822 :

« J’ai l’honneur de vous adresser la liste des candidats que vous m’avez demandé pour le choix à faire de celui qui devra remplacé le sieur Plé. Si j’ai tardé à vous envoyer cette pièce, c’est que j’ai consulté le commissaire de marine de Fécamp. Il paraît opposé à la nomination du sieur Marage et il regarde la place de maître de port comme incompatible avec ses autres fonctions. Dans le cas où il faudrait opter, le sieur Marage préfère conserver sa place de syndic. J’ai cru toute fois devoir le porter sur la liste , puisque d’après la décision de Mr le directeur général, c’est uniquement parce qu’il n’y avait pas de fonds de retenue qu’il n’a pas été nommé définitivement. Vous nous éclairer sur le mérite des candidats. J’ai l’honneur de vous transmettre une lettre de chacun d’eux et l’avis du commissaire de marine, du sieur Boquet, ancien capitaine et de Mr le maire de Saint Valery. Le sieur Laveuve étant mort, j’ai cru vous présenter un autre candidat ».

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Malheureusement, quinze mois après sa nomination, le 11 février 1824, le sieur Boquet, âgé de 69 ans, décède à son domicile situé au N°23 quai d’amont. Louis Nicolas Delamare, candidat malchanceux, décède à son tour le 18 septembre 1832, âgé de 55 ans.

Quand à Louis Marage, il décède, le 30 avril 1858, à l’âge respectable de 87 ans. En 1857, il est médaillé de Sainte Hélène et jouit d’une pension de retraite.

On ne parlait pas de « piston » à cette époque mais cela revenait au même !On voit dans cette histoire, que les notables usaient de leur influence ou de leur position, pour obtenir la nomination d’ une personne à une fonction, grâce à une recommandation ou l’appui d’une connaissance.

F.Renout
(Administrateur cgpcsm)

Sources :
Sur une idée de Rémy Tois (Administrateur cgpcsm)
Registre de correspondance concernant les ports de Dieppe, le Tréport et Saint Valery en Caux (période 1820 à 1825)
Actes archives des quartiers maritimes de Fécamp


Documents joints

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