Louis Ambroise BLANDIN, moine bénédictin, martyr pendant la révolution

samedi 8 août 2020
par  Francis RENOUT
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Des milliers d’évêques, prêtres, vicaires, curés, chanoines, moines, nonnes… ont perdu la vie pendant la Révolution française. Dans les cahiers de doléances, on qualifie les moines d’inutiles, d’oisifs, d’ignorants, se promenant en carrosse et dont les maisons regorgent de richesse.

Si le prétexte officiel de leur condamnation à mort était fondé sur leur croyance religieuse, la véritable raison était tout autre : environ 50% des terres cultivables en France, les terres les plus riches et les plus productives, appartenaient aux représentants du clergé qui touchaient d’importants revenus liés au fermage ou au métayage. Ces richesses ont donc excité la convoitise des révolutionnaires, les incitant à promulguer la loi du 2 novembre 1789 qui leur permit de confisquer les terres et les biens de l’Église, pour pouvoir ensuite les revendre à des particuliers et remplir ainsi les caisses de la République.

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Puis le 12 juillet 1790 fut votée la « Constitution civile du clergé » par laquelle l’Assemblée nationale imposait à chaque membre du clergé de « prêter le serment d’être fidèle à la Nation, à la Loi et au Roi, et de maintenir de tout son pouvoir la Constitution ». En contrepartie, il disposait d’un revenu garanti et, désormais, il serait élu par les citoyens. Le clergé se divisa alors en deux camps : les prêtres dits assermentés car ils prêtèrent serment, et les prêtres réfractaires qui refusèrent le serment. Pour pouvoir continuer d’exercer leur culte, ces derniers furent alors obligés de célébrer des messes clandestines, au risque d’être guillotinés s’ils se faisaient prendre. De nombreux massacres de religieux eurent lieu en septembre 1792 (comme celui de plusieurs centaines de prêtres dans l’église des Carmes à Paris) et pendant la Grande Terreur de 1793-1794 menée par les différents comités révolutionnaires de Salut public, de Sûreté ou de Surveillance.

Louis Ambroise Blandin, né le 28 mars 1760, baptisé le 31 à Aunay sur Odon, dans le calvados, est le fils de Jean Michel, cavalier de la maréchaussée, et d’Elizabeth Marie Anne Hue du Mesnil, mariés vers 1757. Son père est pensionné du roi en 1788, date à laquelle se marie Marie Jeanne, fille aînée de ce dernier, avec Jean Baptiste Roger, étudiant en droit à Ducey.

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http://remparts-de-normandie.eklablog.com/les-remparts-d-aunay-sur-odon-calvados-a175440622

Le couple aura six enfants entre 1758 et 1770, dans ce bourg de 250 feux, situé entre Villers Bocage et Thury Harcourt, implanté en 1131 autour d’une abbaye cirstercienne, nichée dans la verdure. Ce village, fondé par la famille du Hommet, connétables de Normandie, est prospère jusqu’aux invasions anglaises du XIV ème siècle. Par la suite, des événements dramatiques ont lieu lors des guerres de religions et l’abbaye est pillée à plusieurs reprises. Les moines quittent alors le lieu en 1562. Au XVIII ème siècle, il y aura aussi la tourmente révolutionnaire. Malheureusement, cette ville fut entièrement détruite en juin 1944.

On ne sait rien de lui pendant son adolescence. Par contre, vers l’année 1780, il fit des études dans un collège à Caen. En 1782, le 31 octobre, Louis Ambroise, âgé de 22 ans, fit sa profession de foi à l’abbaye notre dame du Bec. Cette abbaye, fondée en 1034, est située au Bec Hellouin, près de Brionne, dans l’Eure. En cette année, Yves Alexandre de Marbeuf, évêque d’Autun et archevêque de Lyon, succède à Louis de Bourbon Condé. C’est le dernier abbé du Bec, qui, lors de la révolution, sera expulsé en 1792.

Les abbayes sont riches et suscitent bien des convoitises ! Premier propriétaire ecclésiastique du futur département de l’Eure, l’abbaye du Bec possède 3132 hectares de terres, de nombreux immeubles, neuf moulins, deux manoirs, trois halles, sept granges et vingt quatre fermes dont la taille moyenne est supérieure à 80 hectares.

http://www.histoire-en-questions.fr/revolution-1789/1789-cures-eveques-metier.html

Louis Ambroise, de la congrégation de Saint Maur, est envoyé à l’abbaye de la sainte trinité de Fécamp où la révolution le surprend. Ce monastère admiré de tous, construit dans l’enceinte du château des ducs de Normandie, on le doit, d’après la légende, au tronc du figuier dans lequel avait été caché le Précieux Sang du Christ, miraculeusement échoué sur une plage de Fécamp. En hommage à cette insigne relique, le lieu devint un des premiers pèlerinages de Normandie et une abbaye de femmes y fut fondée à la fin du VIIe siècle. A partir du XIe siècle, ce sont des moines bénédictins qui s’installeront à l’instigation du duc de Normandie et sous la direction du premier abbé, Guillaume de Volpiano, fameux réformateur clunisien. On retrouve la gestion de l’abbatiale sous la série 7 H aux archives départementales ; soit 2238 articles.

On ne peut parler des moines bénédictins sans parler de la fameuse boisson : la bénédictine. Selon la légende, la Bénédictine tient sa recette d’un élixir de santé élaboré par un moine vénitien, chimiste et herboriste, Dom Bernardo Vincelli à l’abbaye de Fécamp en 1510. Il aurait distillé plusieurs dizaines de plantes médicinales et aromatiques qu’il aurait trouvé sur le plateau cauchois. La réputation de la liqueur aurait alors dépassé les frontières normandes, le breuvage serait même devenu l’un des préférés du roi François Ier. Les moines bénédictins de Fécamp auraient continué à le distiller même après la mort de Dom Bernardo Vincelli, et ce, jusqu’à la Révolution française.

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En mai 1790, lors des inventaires, Louis Ambroise a déclaré ne pouvoir dire s’il profitera ou non des dispositions du décret concernant la tranquillité et les espérances des religieux.

Le mardi 11 janvier 1791, à l’Hôtel de Ville, devant le corps municipal et le maire Mr Bérigny comparaissent les religieux de l’abbaye de la Trinité de Fécamp. Le prieur Lemaire, le sous-prieur Charles Noël Sarrazin, le doyen grand pénitencier Jacques Pierre Fontaine se retirent dans leur famille, un religieux Pierre Alexis Carteault, âgé de 78 ans est sénile, le maître de musique Guillaume Picheré, âgé de 73 ans, rejoint sa congrégation comme trois religieux, Charles Auguste Patallier, Louis Julien et Jean Baptiste Lainé qui préfèrent la vie commune. Quatre autres se retirent suivant leurs déclarations au District, six déclarent renoncer à la vie commune et le cellerier Noël Leriche se retirera s’il en est forcé. Un ex-bénédictin ayant fait le serment à la Constitution en est nommé curé. Louis Ambroise, quant à lui, ne voulut pas jurer.

L’abbatiale de la sainte Trinité :

https://www.patrimoine-histoire.fr/Patrimoine/Fecamp/Fecamp-La-Trinite.htm

Le cellerier, dans un monastère, une abbaye ou un prieuré de bénédictins, est un religieux chargé de l’approvisionnement du cellier en denrées alimentaires dont le pain, le fromage, le vin et la bière. Il prépare les pitances, fabrique le pain, confectionne des étoffes et des habits et s’occupe de l’entretien des bâtiments. Il est aussi chargé des finances d’un monastère. Le cellerier ou pitencier est nommé par l’abbé ou le prieur.

Devenu proscrit, Louis Ambroise se vit obligé de s’enfuir. Traqué de tous côté, il se cacha d’abord dans une ferme, où il continua de dire la messe avec un calice en étain, qui est aujourd’hui conservé au musée de la bénédictine. Cette ferme nommée Saint Jacques, était occupée par Mr Bréard, grand-père de Mr Paul Bréard, vicaire de la paroisse de la sainte Trinité. On n’ignorait pas sa présence dans le pays. Les dénonciations faites par les membres de la société populaire obligèrent la municipalité à ordonner des visites domiciliaires. Le jour où les perquisitions devaient avoir lieu est toujours connu d’avance ; ce qui donnait au prêtre recherché, le temps de trouver un autre asile.

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Malgré cela, suite à une dénonciation, une perquisition fut faite dans l’ancienne maison appartenant aux seigneurs Dyel, à la paroisse saint Etienne, en vue de découvrir Louis Ambroise et un journaliste nommé Robert. Personne n’y était sauf l’abbé Avenel, curé de la paroisse saint Nicolas, caché dans un placard garde robes. Il fut arrêté puis relâché par la suite.

Un soir, un habitant connu pour ses opinions exaltées, se présenta au domicile de la personne soupçonnée de donner l’hospitalité au moine Blandin. Le jacobin dit que sa femme était gravement malade et qu’elle avait un vif désir de voir un prêtre avant de mourir. Pour inspirer confiance, il ajouta que sa demande pouvait paraître étrange, mais que les sentiments de sa femme n’étaient pas les mêmes que les siens. Celui-ci ne pouvait rien refuser à son épouse dans un pareil moment. Il ajouta que quiconque satisferait à ses vœux pourrait compter sur sa reconnaissance.
Ce langage pouvait cacher un piège et avoir de terribles conséquences pour Louis Ambroise. Partagée entre la crainte de voir le proscrit dénoncé et le désir de seconder le dévouement du moine à la cause des âmes demeurées fidèles à la foi religieuse, la propriétaire alla demander l’avis de son hôte. Louis Ambroise , sans aucune hésitation, décida de suivre le jacobin. Il arriva sans encombre à la maison où il découvrit une femme en fin de vie. Il lui donna les dernières consolations qu’elle attendait et s’en retourna avec le mari, qui le reconduisit un bout de chemin, pour le mettre à l’abri de mauvaises rencontres. Cette femme mourut au cours de la nuit avec la conscience tranquille.

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La sécurité de Louis Ambroise devint plus aléatoire suite à cette visite. Il décida de se retirer à Vire chez son frère. Ce dernier, cavalier de la maréchaussée, était devenu gendarme. Il pensa qu’on ne viendrait pas le chercher dans une telle demeure. Par une matinée de mars 1793, son frère arpentait la rue où se trouvait sa maison, quand tout à coup, six patriotes farouches se dressèrent devant lui. Ils lui dirent : « citoyen, tu loges ton frère chez toi et celui-ci dit la messe ? ». Suite à la réponse positive du frère, ces derniers décidèrent de se rendre à son domicile pour le mettre aux arrêts. Le gendarme entra en premier chez lui. Sur la table se trouvaient des fusils, des sabres et des pistolets. Rapidement, il en prit un et fit face aux jacobins. Il leur dit à ce moment : « que le plus hardi d’entre vous ose entrer et je le tue ». Le connaissant, les sans culottes préfèrent se retirer.

Prévenu de cette visite, Louis Ambroise, ne voulant pas exposer son intrépide frère, se rendit à Mortain, à travers les bois. De cet endroit, il eut l’intention de se rendre à Rouen. Arrivé à Caen, au moment où il montait dans la diligence, il aperçut un ancien camarade de collège devenu jacobin. Ce dernier lui demanda s’il avait juré ? Louis Ambroise lui répondit négativement et lui dit qu’il ne sauverait pas sa vie par un mensonge. Cette discussion se passa sur la place de l’hôtel de ville. Le traite courut aussitôt à la mairie pour le dénoncer. Les gardes arrivèrent et incarcérèrent le courageux moine dans une maison commune. Il y retrouva de nombreux amis, prêtres, curés, religieux, chanoines. Par sa piété, sa bonne humeur et sa fermeté, il soutint ses co-détenus. Sa mauvaise santé lui évita la déportation. Il fut libéré après la chute de Robespierre, le 27 juillet 1794. Entre-temps, son frère fut incarcéré à Vire, pour incivisme.

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Après sa libération, il exerça de nouveau le ministère paroissial. A la réouverture des églises, l’archevêque de Rouen, lui donna des pouvoirs plus étendus afin de recevoir les rétractations des prêtres jureurs. Il eut la consolation d’en ramener plusieurs à l’église dont son ancien supérieur Dom Le Tellier.

En 1795, il revint à Fécamp, à la paroisse sainte Trinité, où il se fit remarquer par son zèle et sa charité auprès des pauvres. A partir de cette année jusqu’en 1802, on retrouve 161 documents, des actes de baptême écrits et signés par Louis Ambroise.

A partir de 1802, il vécut quelques années au Havre. Très instruit, il fut précepteur, pour deux jeunes gens, dans une famille catholique nommée Homberg, conseiller honoraire à la cour de Rouen. Par une journée d’hiver, brumeuse et froide, l’abbé Blandin se rendait chez ses élèves et rencontra un pauvre vieillard, tête nue et grelottant. Pris de pitié, il se découvrit et lui donna son chapeau.

En 1818, il revint définitivement à Fécamp et entra comme prêtre à son ancienne église abbatiale. Il fut le dernier survivant des quarante religieux bénédictins, qui occupaient l’abbaye, à l’époque de la Révolution.

Louis Ambroise Blandin mourut le 29 janvier 1848, à Fécamp, âgé de 87 ans. Il laissa de nombreuses poésies et sept francs dans son secrétaire, en sorte qu’il fut mis au rang des pauvres tant secourus par lui. Trois ou quatre mois après sa mort, son tombeau ayant été ouvert, on trouva son corps intact et sans aucune putréfaction.

Les habitants de Fécamp lui élevèrent un monument au cimetière de la ville, d’où, en septembre 1878, ses restes renfermés dans un nouveau cercueil, furent transférés à l’église abbatiale de la trinité, où il a fait sa profession. C’est sous l’impulsion de l’abbé Lair, que les restes du bon religieux furent placés près du tombeau de Guillaume de Dijon, premier abbé du monastère. Mr Legros, maire de Fécamp, était présent à cette cérémonie.

F.Renout
(Administrateur cgpcsm)
R

Sources :
François Rousseau (1926)
Archives municipales de Fécamp
Notices historiques et descriptive de l’église de la sainte trinité de Fécamp
Revue Mabillon : archives de la France monastique
Trésor du patrimoine


Documents joints

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