Les Naufrages d’octobre 1765 au Tréport

lundi 27 août 2018
par  Francis RENOUT
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Dans la nuit du 4 au 5 octobre 1765, une violente tempête souffle dans la Manche, au large du Tréport. Un des bateaux en mer est celui de Jacques CLOQUETTE, avec dix-huit hommes à bord. Il pêche le hareng. Après cette tempête, le bateau ne rentre pas. On imagine les familles de ces marins, restées à terre, dans une inquiétude croissante au fur et à mesure que les heures et les jours passent, et qu’aucune nouvelle du bateau ne vient les rassurer. Vers la fin du mois, elles n’ont plus beaucoup d’espoir de retrouver vivants leurs maris et leurs fils, lorsqu’une autre tempête se déclenche, le 31.

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Nicolas LANGUER
a pris la mer avec son bateau et un équipage de six hommes. Mais alors qu’il s’apprête à rentrer au port, le bateau fait naufrage, probablement trop au large pour permettre aux matelots de rejoindre vivants la terre ferme. Trois corps sont rapidement trouvés et identifiés. Ils sont inhumés le 2 novembre, dans l’église du Tréport. Un autre corps, retrouvé un peu plus tard est inhumé le 10 novembre, mais deux marins restent portés disparus.

Enfin, le 16 novembre, toujours sans nouvelles du bateau de Jacques CLOQUETTE, le curé du Tréport organise une cérémonie « pour le repos de l’âme de Jacques CLOQUETTE et de son équipage, … qui eurent le malheur de périr dans les parages de Calais… ». Tous sont portés disparus

Retranscription des actes :

Ces actes sont consultables sur le site des Archives Départementales de Seine Maritime (réf : 4E 713 – 1760 – 1766 – Tréport (Le) - vues 122/144, registre de 1765, fo six et sept - retranscription intégrale, orthographe originale) :

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« Acte 34 inhumation de J. Bapt. Henin

Ce samedi deux de novembre le corps de feu Jean Baptiste Henin agé d’environ quarante ans, vivant matelot cordier, décédé avant-hier dans le naufrage a l’entré du port de l’equipage de Nicolas Languer, a été inhumé dans le cemetiere de cette paroisse par moi curé soussigné, en presence de Nicolas Baby matelot son grand oncle, de Romain Cloquette, maitre de Bateau cordier et de Jean Duchêne matelot tanqueur tous deux cousins du defunt qui ont déclaré ne scavoir signer »

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« Acte 35 inhumation de N. Fr Languer

Ce samedi deux de novembre le corps de feu Nicolas François Languer matelot cordier agé d’environ quarante ans, vivant fils de feu Nicolas aussi matelot et de feu Marie Denis, décédé avant-hier dans le naufrage a l’entré du port de l’equipage de Nicolas Languer, a été inhumé dans le cemetiere de cette paroisse par moi curé soussigné, en presence de Jean Laurent Fromentin matelot cordier et de Louis Fache aussi matelot cordier tous deux ses cousins et de Nicolas Levillain aussi matelot cordier qui ont signés a l’exception de Jean Laurent Fromentin » (suivent les signatures de Jean Louis Fache, de Nicolas Levillain et du curé du Tréport)

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« Acte 36 inhumation de Jean Languer

Ce samedi deux de novembre le corps de feu Jean Languer vivant matelot cordier décédé avant-hier dans le naufrage a l’entré du port de l’equipage de Nicolas Languer, agé d’environ quarante ans, a été inhumé dans le cemetiere de cette paroisse par moi curé soussigné, en presence de Jacques Languer aussi matelot cordier son frère, de Nicolas Brun, maitre de Bateau cordier son cousin et de Nicolas Levillain aussi matelot cordier son cousin qui ont signés a l’exception de Jacques Languer » (suivent les signatures de Nicolas Brun, de Nicolas Levillain et du curé du Tréport)

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« Acte 38 mort de Nicolas Languer et 2 autres matelots

Ce dimanche dix de novembre le corps de feu Nicolas Languer vivant maitre de Bateau cordier, agé d’environ quarante trois ans, noié le trente octobre avec son equipage dans le naufrage a l’entrée du port, a été inhumé en cette eglise par moi curé soussigné, en presence de Jacques Languer son frère matelot cordier, de Jean Vasseur aussi matelot cordier son beau frere de Jean Beaurain ancien marinier, de Nicolas Brun maitre de Bateau cordier et de Jacques Bachelier ses cousins qui ont signés a l’exception de Jacques Languer et de Jean Beaurain qui ont déclarés ne scavoir signer. Jean François Masson, fils de feu Guillaume et de Marie Catherine Ponthieu, et Jean Ferment fils de feu Jean et de Marie Jeanne Baillard ont étés aussi noyés dans ledit naufrage et ne sont pas encore trouvé » (suivent les signatures de Jacques Bachelier, de Jean Michel Vasseur, de Nicolas Brun et du curé du Tréport)

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« Acte 39 mort de Jacques Cloquette dit Guerbot et dix-sept matelots de cette paroisse

Ce samedi seize de novembre a été célébré le service solennel pour le repos de l’ame de Jacques Cloquette maitre de Bateau agé d’environ cinquante ans et de Jacques Cloquette agé de dix sept ans et demi et de Charles Cloquette agé de quatorze ans et demi, ses deux fils, qui a eut le Malheur de perir avec tout son equipage dans les parages de calais y etant pour la peche du harang selon toutte apparence la nuit du quatre au cinq 8bre derniere dans la tempette la plus furieuse qu’on ai sentis depuis longtemps. Avec lui sont peris les matelots cy après nommés, scavoir Nicolas Bellangreville, Jean Formentin, Jacques Lennel, Pierre Girot, Nicolas Masson, Jacques Vasseur agés de trente cinq a quarante ans, Pierre Poulet, François Ferment agés d’environ quarante cinq ans, Pierre Cauchi, fils de Jacques, Maistre de Bateau, Jacques Carron, Jacques Fromentin dit Canon, Jean Paschal agés de vingt cinq a trente ans, Nicolas Gourdin, Jacques Lange, agé d’environ vingt cinq ans, et Jean Lange agé d’environ quatorze ans, audit service ont assisté Jean Graville Tisserand de cette paroisse, beau frere du susdit Cloquette et Gabriel Cloquette fils de Charles et de Marie Anne Aubry et Jean Nicolas Graville fils du susdit tous deux de cette paroisse et neveu du susdit Cloquette defunt et sieur François Duhamel Bourgeois de ce lieu qui ont signé » (suivent les signatures de Jean Graville, Charles Gabriel Cloquette, Jean Nicolas Graville, F Duhamel et du curé du Tréport)

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Le naufrage du bateau de Jacques CLOQUETTE le 5 octobre 1765 : ce que l’on sait des membres de l’équipage

Les indications portées dans l’acte du 16 novembre, rappelant le « service solennel pour le repos de l’âme » des naufragés, permettent d’identifier la plupart des membres de l’équipage, car le curé donne un âge ou une tranche d’âge approximative. À partir du nom, du prénom et de cet âge approximatif, nous avons recherché et identifié dans les tables annuelles de la paroisse (Registre numérisé pour la période 1712-1760), et dans la base en ligne « ExpoActes » du C.G.P.C.S.M. la plupart des matelots concernés, avec une quasi-certitude.

Jacques CLOQUETTE : le patron du bateau et ses deux fils.

Jacques CLOQUETTE dit Guerbot, nait en 1712. Marié en 1742, ayant eu 12 enfants, il fait partie d’une famille de marins et de patrons de pêche du Tréport, apparentée à des familles vivant de la mer, au moins depuis la fin du 17ème : mariniers, matelots, maîtres de bateau, charpentiers de navire, et même capitaines de navire ...

Il est « maître de bateau », c’est-à-dire qu’il commande son bateau de pêche, et en est probablement le propriétaire. C’est en quelque sorte, un « patron de pêche ». Comme tout maître de bateau, il sait écrire et signe parfaitement les actes qui le concernent.

Au tournant du 18ème siècle, la marine marchande du Royaume vit sous les règles instituées par Louis XIV et Colbert dans les ordonnances de 1665 et 1681. Tous les hommes vivant de la Mer doivent contribuer aux équipages de la Royale, la Flotte militaire, et en contrepartie, se voient reconnaître des droits et des privilèges. Recensés dans le cadre du système des « Classes », les marins sont affectés en alternance sur les vaisseaux royaux puis, à la pêche ou au commerce. Pour les destiner à ces métiers, leur formation est organisée au travers du système des mousses et des novices qui prépare au statut de matelots et, au-delà, de maîtres de bateau voire de capitaines de navires. Dans la Marine marchande ou la pêche, chacun de ces métiers est règlementé, les matelots ont de véritables contrats de travail écrits, et les maîtres de bateau ou capitaines de navires se voient préciser leurs droits et devoirs.

Ainsi, Jacques CLOQUETTE a dû débuter sa formation en s’engageant comme mousse vers 1725 sur le bateau de son père ou sur celui d’un de ses oncles ou de ses grand-pères ; vers 18-20 ans, au début des années 1730, il accède au statut de matelot et doit alterner périodes militaires où il embarque sur les vaisseaux du Roy et périodes civiles où il embarque sur les bateaux de pêche du Tréport.

Par la suite, et pour devenir « maître de bateau », il fallait avoir navigué pendant au moins cinq ans et avoir « été examiné publiquement sur le fait de la Navigation, et trouvé capable par deux anciens Maîtres en présence des officiers de l’Amirauté… ». Un véritable examen donc, dans la tradition des corporations de l’Ancien Régime.

A la veille du naufrage, il a ainsi une bonne quarantaine d’années d’expérience de la mer…

Sa famille compte encore au moins huit enfants vivants, peut-être neuf, dont cinq fils. Sa fille aînée a 21 ans, son dernier né, deux ans et demi… A 17 ans, Jean Jacques, son fils aîné, embarque sur le bateau de son père depuis probablement plusieurs années. Il a l’âge d’être novice et devrait pouvoir devenir matelot dans quelques mois. Charles, son deuxième fils, 14 ans, embarque lui aussi ; il a pu débuter comme mousse dès douze ans, et devenir novice au bout de douze mois d’expérience maritime.

Le père et les deux fils périront dans le naufrage.

Deux autres fils atteindront l’âge adulte : Nicolas, 11 ans, deviendra également maître de bateau et se mariera trois fois, et Jean Baptiste, 9 ans, deviendra marinier et se mariera à la veille de la Révolution.

Jacques CLOQUETTE est souvent surnommé « Guerbot », un surnom de famille, car porté également par son père et par ses frères, pour les distinguer d’autres familles (notamment les « CLOQUETTE dit Barat » ou « dit Bareaux »). La signification de ce surnom ne nous est pas connue

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Nous ne connaissons pas le nom et le type de son bateau, mais, avec un équipage de 17 marins, Jacques CLOQUETTE dispose vraisemblablement d’un des plus gros bateaux de pêche du Tréport. On sait que le naufrage a eu lieu pendant une campagne de pêche au hareng, pêche très règlementée en France, très fructueuse également, qui se pratique généralement entre septembre et décembre avec des filets spécifiques dont les caractéristiques sont définies dans les ordonnances royales. Une règlementation jugée nécessaire par les autorités de l’Ancien Régime pour préserver les ressources halieutiques du Royaume (déjà…) et éviter toute tentation de « surpêche ».

Mais Jacques CLOQUETTE ne pratiquait pas seulement la pêche au hareng pendant trois ou quatre mois à l’automne. D’après plusieurs actes antérieurs, le bateau de Jacques CLOQUETTE est un « bateau dreigeur » ; la qualification « dreigeur » (ou « draigeur ») est en effet utilisée dans les actes paroissiaux du Tréport comme par exemple « maître de bateau dreigeur » ou « matelot dreigeur ».

Ce type de bateaux et leur équipage sont ainsi capables de pratiquer une pêche « à la dreige », un procédé ancien : les termes sont utilisés dans les registres du Tréport au 18ème, mais cette pêche est déjà règlementée dans l’Ordonnance sur la Marine de 1681 et semble exercée depuis plus longtemps. Elle utilise une sorte de filet dérivant très efficace, dont les caractéristiques sont surveillées par le pouvoir royal car son efficacité peut être ravageuse.

Son équipage semble bien formé à ce type de pêche, que Jacques CLOQUETTE pratique au moins depuis une dizaine d’années. Le premier acte le mentionnant avec ce métier date de 1757, mais il pouvait pêcher de cette manière auparavant. Les matelots de son équipage sont souvent, comme nous le verrons ci-dessous, également qualifiés de « matelots dreigeurs ».

Cette qualification s’oppose au terme de « cordier », utilisée dans « maître de bateau cordier » ou « matelot cordier » qui désigne une pêche plus classique, « à la corde », c’est-à-dire à la ligne. C’est un bateau cordier, celui de Nicolas LANGUER, avec un plus petit équipage de six marins, qui fait également naufrage, le 31 octobre.

L’équipage de Jacques CLOQUETTE a une moyenne d’âge d’environ 30 ans. Trois marins ont plus de 45 ans et cinq ont une trentaine d’années. Tous semblent avoir toujours été marins. Parmi les dix autres, cinq sont majeurs, entre 23 et 28 ans, les cinq autres, mineurs, ont entre 14 et 20 ans. À cette époque, des enfants de 12-13 ans pouvaient être embarqués comme mousse pour la pêche, et tous ces matelots ont dû commencer à cet âge. En dehors des deux jeunes mousses, les plus jeunes matelots ont donc au moins cinq ans d’expérience de la pêche, et les plus âgés s’embarquent en mer depuis trente ou quarante ans…

Pour sa part, Jacques CLOQUETTE a au moins 23 ans d’expérience comme maitre de bateau (depuis son mariage à 30 ans). Ajoutons-y une grosse quinzaine d’années d’expérience comme mousse ou matelot. Il s’agit donc d’un équipage compétent, du moins si l’on juge leur expérience par le nombre d’années de métier ou de pratique de la mer. De plus, comme nous le constaterons ci-après, les liens familiaux entre l’équipage sont nombreux et renforcent leur solidarité.

Les deux matelots « seniors » : expérience et solidarités familiales

François FERMENT et Pierre POULET, beaux-frères et matelots.

Dans l’acte du 16 novembre, entérinant le naufrage, François FERMENT comme Pierre POULET sont mentionnés comme « âgés d’environ 45 ans », donc nés vers 1720. Les tables annuelles du Tréport ou les requêtes ExpoActes du CGPCSM ne donnent que peu d’individus potentiels. On trouve un Pierre Jean POULET, né en mai 1719, seul individu pouvant correspondre dans les années 1710 à 1730. Pour François FERMENT, la requête sur la base ExpoActes sur la même période ne donne également qu’un seul candidat qui ne soit pas mort en bas âge, mais, né le 22 février 1712, il aurait 53 ans au moment du naufrage, un peu plus âgé que mentionné dans l’acte relatant le naufrage. Son acte de naissance nous permet d’identifier ses parents, Nicolas FERMENT et Marie FRICHET. Une nouvelle requête pour rechercher tous les actes concernant les enfants de cette famille nous donne la date du mariage de François, le 7 janvier 1754. Les détails de cet acte vont nous conforter dans ce choix.

Tableau 2 : François FERMENT et sa famille

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François FERMENT se marie tardivement, à plus de quarante ans, avec Marie Jeanne POULET, qui en a trente-huit… Avec la permission du Curé du Tréport, et alors qu’ils résident tous deux au Tréport, le mariage est célébré dans l’église de Flocques, devant Nicolas FERMENT, vicaire et probable frère aîné de François. Du même âge que Jacques CLOQUETTE, on imagine facilement que ces deux-là ont embarqué ensemble à de nombreuses reprises et se connaissent parfaitement.

Au moment du naufrage, il est veuf depuis trois ans et ne semble pas avoir eu d’enfants excepté des jumeaux mort-nés en 1755. Il a eu des frères et sœurs, nés dans les années 1700-1715, mais, semble-t-il, tous morts en bas âge. Il n’a donc plus de famille proche du côté de ses parents. Son seul proche reste donc son beau-frère, Pierre Jean POULET, également présent dans l’équipage du bateau de Jacques CLOQUETTE.

Fils d’un marin décédé alors qu’il avait six ans, Pierre Jean POULET a dû aussi commencer très jeune les métiers de la pêche. L’un de ses oncles, Jean AUBRY (ou OBRY), maître de bateau, qui sera témoin de son mariage, a pu intégrer dans son équipage ce jeune orphelin, élevé par sa mère. Celle-ci meurt en 1744, alors qu’il a 25 ans.

Pierre sait aussi écrire, suffisamment pour signer lisiblement son acte de mariage et d’autres actes dont il est témoin.

Il est notamment témoin, en 1748, du mariage de Nicolas COQUET, matelot comme lui, dont il fréquente la sœur aînée, Marguerite, qu’il épouse quatre mois plus tard, le 18 janvier 1749. Il est proche aussi du jeune frère de Nicolas, Jacques COQUET, dont il sera également le témoin du mariage en février 1752.

Avec Marguerite, ils n’ont que deux enfants dont l’un meurt en bas âge.

Ses deux beaux-frères meurent malheureusement assez jeunes, dès 1756 pour Nicolas (mentionné dans l’acte de décès comme « matelot dreigeur ») et en 1759 pour Jacques. Dans les deux cas, ils sont morts « munis des sacrements » et leur décès ne semble pas lié à leur métier et aux dangers de la mer. Nicolas COQUET, le plus proche de Pierre POULET, a quatre enfants avant son décès, mais seule une fille, Marie Michelle atteindra l’âge adulte et se mariera en 1775. Son frère Jacques a eu quatre enfants avec son épouse, qui en élève trois après le décès de son mari (une fille est morte en bas âge). Tous les trois s’allieront, en 1784 et 1785 à des familles de marins.

Tableau 3 : la famille de Pierre POULET

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En 1765, Pierre POULET élève avec Marguerite, son fils de 15 ans. Son oncle, Jean AUBRY, âgé de près de 90 ans, vit encore.

Cinq trentenaires

Nicolas BELLENGREVILLE et Jean FROMENTIN ont 37 ans au moment du naufrage. Jacques LENNEL, Pierre GIROT et Nicolas MASSON, sont un peu plus jeunes (environ 32 ans). Presque tous sont issus de familles de marins.

Nicolas BELLENGREVILLE

Le patronyme BELLENGREVILLE est assez répandu dans le pays de Caux, indiquant une origine avec le village éponyme. Au Tréport, au cours du siècle précédant l’année du naufrage, on compte au moins une soixantaine de mariages impliquant un conjoint portant ce patronyme. Mais parmi les trois Nicolas BELLENGREVILLE nés au Tréport dans les années 1720-1730, un seul est encore vivant en 1765, les autres décèdent en bas âge.

Ce Nicolas BELLENGREVILLE est donc né en novembre 1727 dans une famille de matelots. Il est l’aîné de huit enfants dont au moins quatre meurent encore jeunes. Son père, d’abord matelot, devient maître de bateau, sait écrire et signe très lisiblement les actes qui le concernent. Le fils apprend également à écrire et signera aussi lisiblement.

Le 11 août 1760, il est témoin au mariage de sa sœur Marie Anne, de sept ans sa cadette, qui se marie avec un certain Charles Thomas LEVé, matelot de son état. Trois semaines plus tard, le 30 août 1760, il se marie à son tour, avec Thérèse FROMENTIN, son beau-frère Charles Thomas étant alors son témoin. Il est maître de bateau, comme l’était son père.

Tableau 4 : Nicolas BELLENGREVILLE et sa famille

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Nicolas BELLENGREVILLE et son épouse Thérèse peinent à avoir des enfants : une seule naissance en cinq ans, en juin 1764, une fille, Marie Anne. Celle-ci se mariera en 1786 avec Nicolas HENIN, également issu d’une nombreuse famille de marins tréportais.

Quelques semaines avant le naufrage, le vieux Nicolas BELLENGREVILLE, le père, s’éteint à 77 ans le 9 juin. Le fils semble absent, peut-être en mer, car il ne signe pas l’acte de décès, les témoins étant tous cousins ou neveux du défunt.

Jean FROMENTIN  : une vie cabossée

Le patronyme FROMENTIN (ou FORMENTIN ou FOURMENTIN, selon l’époque ou le rédacteur de l’acte) est encore plus répandu dans le pays de Caux. Et au Tréport, on compte une quarantaine de mariages impliquant ce nom, dans le siècle précédant le naufrage.

Décédé à 37 ans dans le naufrage du bateau de Jacques CLOQUETTE, Jean FROMENTIN aura été auparavant un « cabossé de la vie ». Dans une société de familles et de fratries nombreuses, les deuils successifs vont le laisser plusieurs fois sans famille… Ce seront les solidarités entre les familles de marins tréportais, qui l’aideront plusieurs fois à surmonter ses peines.

Originaire de Mers, dans le diocèse d’Amiens, le père de Jean FROMENTIN, François, dit Boquet, matelot, vit au Tréport depuis son mariage avec Anne COQUET en 1718. Le couple a au moins cinq enfants, mais seul le dernier, Jean, (et peut-être sa sœur Marie Anne) atteindra l’âge adulte.

Né le 21 juillet 1728, Jean FROMENTIN est de la même génération que Nicolas BELLENGREVILLE, mais à l’inverse de ce dernier, il n’apprendra jamais à écrire, et pour cause…

Orphelin à deux ans (ses parents décèdent en 1730, à quelques mois d’écart) il a encore un frère aîné d’une dizaine d’années, Michel. Mais celui-ci meurt dès février 1731, sans témoins identifiés dans l’acte de décès. Sa sœur Marie Anne est peut-être encore en vie, mais on perd sa trace… Qui a pu recueillir et élever ces enfants ?

Leurs grands-parents sont décédés ; un oncle, François COQUET était le témoin de leur mère, Anne, à son mariage et est encore présent à son décès. C’est lui, probablement qui les recueille et les élève avec ses propres enfants.

François COQUET et son épouse, Jeanne HENAIN, mariés, semble-t-il, à Mers, un peu avant 1720, ont eu cinq enfants, mais seul leur fils aîné, prénommé également François, est encore vivant à la fin des années 1730. Il a près de 17 ans et Jean FROMENTIN, 12. Les deux garçons, qui deviendront matelots, ont dû commencer à accompagner leur père et oncle, pour pêcher en Manche.

Tableau 5 : Jean FROMENTIN et sa famille

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Mais le 26 juillet 1740, François COQUET meurt à 45 ans et son épouse, Jeanne HENAIN, s’éteint quelques semaines plus tard, le 9 octobre. Jean FROMENTIN, qui ne se souvient certainement pas de la perte de ses parents, se retrouve à nouveau, sans famille, comme son cousin François. A 17 ans, celui-ci est le premier témoin cité dans l’acte de décès de sa mère, signe probable d’une reconnaissance de sa maturité et de sa fonction de responsable de sa famille. Les deux orphelins n’ont quasiment plus de famille proche, mais sont encore bien jeunes pour vivre seuls…

Deux autres témoins sont cités aux décès des parents, un laboureur, cousin éloigné de son père mais surtout un grand-oncle qui joue peut-être un rôle de grand-père, François LAVANDIER. A 70 ans, celui-ci est indiqué comme témoin à la fois au décès du père et de la mère de son petit-neveu. Seul parent proche des deux orphelins, matelot, veuf depuis une trentaine d’années, il vit avec son unique fille vivante, Marie Catherine, 30 ans. A-t-il pu recueillir ce petit-neveu qui, à 17 ans, commence à gagner sa vie comme matelot et le jeune Jean FROMENTIN qui n’a encore que 12 ans mais commence son apprentissage sur les bateaux de pêche ? On aimerait le penser…

Près de 15 ans plus tard, en 1754, les deux cousins réapparaissent dans les Archives.

François COQUET à 31 ans. Il est toujours matelot et doit probablement embarquer régulièrement pour la pêche en Manche ou pour ses périodes militaires sur la Royale. Il se marie le 9 février avec Marie Marguerite, fille de Jacques DELETTRE, un matelot du Tréport. Son jeune cousin, Jean FROMENTIN, qui a 26 ans maintenant, est son premier témoin, ce qui montre encore leur amitié et leur proximité… Le grand-oncle François LAVANDIER vit encore, très âgé, mais François choisit comme deuxième témoin un cousin de sa mère, Nicolas OBRY, matelot et beau-frère de Jacques CLOQUETTE, déjà maître de bateau à cette date…

François COQUET aura deux enfants de son mariage, en 1755 et en 1756, mais il meurt subitement vers 1757. Nous n’avons trouvé aucun acte de décès le concernant, mais à la mort de son enfant, en mai 1758, le père est indiqué comme décédé… Jean FROMENTIN perd ce cousin très proche avec lequel il a été élevé.

Enfin, en 1760, à près de 32 ans, il se marie à son tour, avec une autre fille de Jacques DELETTRE, Marie Anne, … les deux cousins auront ainsi épousé les deux sœurs à six ans d’intervalle.

En cinq ans, avant sa disparition dans le naufrage à 37 ans, il aura eu trois garçons et une fille ; trois d’entre eux vont se marier… Jean FROMENTIN aura fondé finalement la grande famille qui lui aura toujours manqué, mais il ne la verra jamais…


Jacques LENNEL
 : un des rares matelots de l’équipage issu d’une famille d’artisans.
Jacques LENNEL est plus difficile à identifier.

Son patronyme, d’abord, peu courant, est concentré dans l’arrière-pays du Tréport jusqu’à Rouen. Mais il a surtout une orthographe très variable :

Le « e » de la première syllabe est souvent transcrit dans les registres comme un « a » donnant ainsi « LANNEL »
On trouve aussi plusieurs variantes du double « n » : « LESNEL » voire « LENEL »
La fin du patronyme peut être orthographiée « ELLE », donnant par exemple « LANNELLE » ou « LENELLE »
Avec un moteur de recherche, il faut donc soumettre plusieurs requêtes pour ne pas passer à côté d’une information importante…

Au Tréport, nous ne rencontrons qu’un « Jacques LENNEL » (quelle que soit l’orthographe), repéré par son mariage en 1760. Matelot, il est issu d’une famille d’artisans (son père Michel LENNEL est savetier) qui ne semble pas avoir toujours résidé dans la même paroisse. Une requête sur ses père et mère (LENNEL et Marie FRICHET) donne six frères et sœurs nés au Tréport entre 1734 et 1746, mais pas de trace de la naissance de Jacques, dont l’acte de mariage ne précise pas l’âge. Seul un Jacques LASNEL est né au Tréport en octobre 1732, avec un père, Michel LASNEL, savetier, qui pourrait correspondre, mais une mère sans rapport apparent, Marie MARIETTE. Le parrain, Jacques LASNEL et la marraine, Marie LANELLE, sont indiqués comme oncle et tante paternels de l’enfant, ne sachant signer et originaires du « bourg d’Ault », vraisemblablement Ault, dans la Somme, à une dizaine de kilomètres du Tréport. Une recherche dans les registres d’Ault, sur la période 1730-1732, donne effectivement le mariage de Michel LENNEL avec Marie FRICHET, tous deux originaires de la paroisse du Tréport, mais aucune trace d’un mariage avec Marie MARIETTE ! En revanche, l’acte de mariage entre Michel et Marie FRICHET mentionne un « Jacques LENNEL » comme témoin, sans autre précision, mais qui ne sait pas signer et inscrit sa marque… Serait-ce un parent de Michel ? De plus, Marie FRICHET est la fille de Jean FRICHET, décédé et… de Marie MARIETTE. Le Jacques LENNEL témoin du mariage de Michel, pourrait être son frère, et donc l’oncle du petit Jacques, né en octobre 1732. L’acte de baptême comporterait alors une erreur sur le nom de la mère en reprenant le patronyme de la grand-mère… C’est ce scénario que nous retenons ici.

Cette famille illustre aussi les échanges matrimoniaux et les migrations locales liées à la géographie.

La Bresle est aujourd’hui la limite entre la Seine-Maritime et la Somme, mais c’était aussi la limite entre les provinces de Normandie et de Picardie sous l’Ancien Régime. De même pour les limites des diocèses, sur la rive sud de l’embouchure de la Bresle, la paroisse du Tréport dépendait du diocèse de Rouen, et sur l’autre rive de la Bresle, la paroisse de Mers dépendait de celui d’Amiens. Pour autant, la Bresle n’est pas une grande frontière et l’embouchure d’alors, dont la largeur variait selon la marée mais n’excédait pas quelques dizaines de mètres, se franchit facilement en bateau ou en barque…

De plus, en bord de mer, les liens avec les ports voisins sont fréquents et entrainent alliances marchandes et matrimoniales : au sud, avec Criel, Penly et même Dieppe à une trentaine de kilomètres, et au nord, avec Mers, mais aussi avec Ault, dans la Somme, à une dizaine de kilomètres.

Enfin l’arrière-pays est dominé par la ville d’Eu, important centre administratif et marchand, avec cinq paroisses, qui commande les campagnes environnantes sur les deux rives de la Bresle et le village de Flocques, sur le plateau tout proche du Tréport

Aussi, pour une recherche au Tréport au 18ème siècle, on ne peut se contenter d’exploiter les registres tréportais… il faut souvent étendre les recherches aux ports voisins, y compris dans la Somme, voire à l’arrière-pays, Flocques généralement et Eu, parfois, voire au-delà.

Tableau 6 : Jacques LENNEL et sa famille

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Pour devenir matelot, Jacques LENNEL a dû suivre l’apprentissage habituel et codifié dans les ordonnances qui organisent les marines du Royaume, et commencer par le rôle de « mousse ». Or le rôle de mousse est, en principe, réservé aux enfants orphelins, « pauvres garçons enfermés dans les hôpitaux ou autres lieux de charité… » . Lorsque les hôpitaux ne peuvent fournir suffisamment de mousses pour armer les bateaux, deux ordonnances de 1730 et 1732 viennent préciser que les « enfants des gens de mer » doivent être choisis en priorité pour devenir mousses. Si, dans les années 1740, Jacques LENNEL a pu être engagé comme mousse, cela veut dire qu’au Tréport, la demande des patrons de pêche n’était pas couverte, ni par les orphelins des hôpitaux, ni par les seuls « enfants des gens de mer ». S’agirait-il d’un déséquilibre démographique lié à une mortalité exceptionnelle ? Ou d’un développement accru de la pêche en mer, porté par une bonne conjoncture ? La question reste entière…

A 15-16 ans, le jeune marin commence donc à avoir une assez bonne expérience de la pêche. Et vers 17-18 ans, son développement physique pourra lui permettre d’assumer le métier de matelot, consistant essentiellement, pour la Marine marchande à charger et décharger les bateaux à quai, et, en mer, à larguer et carguer les voiles, jeter et ramener les filets, les réparer, trier la pêche, …

Jacques LENNEL a 27 ans lors de son mariage en 1760. Il a donc déjà une quinzaine d’années d’expérience de la mer. Il épouse la fille d’un maitre de bateau, Jacques CAUCHY, lui-même issu d’une dynastie de maîtres de bateaux depuis une centaine d’années. N’étant pas lui-même issu d’une famille de marins, Jacques LENNEL a du faire ses preuves et démontrer ses compétences aux yeux de ses collègues du Tréport. De plus, Marie Anne CAUCHY qui va devenir son épouse, est la veuve de Guillaume Nicolas DUBOIS, un matelot « décédé au service du Roy » pendant la guerre de Sept Ans. Jacques LENNEL, bien apprécié par ses pairs et par les maîtres de bateau du Tréport, aurait donc un bel avenir devant lui…

Au moment du naufrage, il a encore deux enfants vivants (deux filles sont décédées en bas âge). Une cinquième enfant, Marie Anne, naîtra posthume, le 5 mars 1766. Celle-ci et son frère Jean Jacques se marieront dans les années 1780 et auront une nombreuse descendance.

Pierre GIROT :

Pierre GIROT a été assez simple à identifier, car ce patronyme est rare au Tréport. Un seul Pierre GIROT correspond à la tranche d’âge, né en 1733. Un père matelot, ses deux grands-pères matelots également, des oncles matelots ou maîtres de bateaux, Pierre GIROT passe son enfance dans le monde de la mer.

Il connait un peu, son grand-père paternel, également prénommé Pierre, qui décède à 82 ans, en 1738. Un exemple de longévité, ce grand-père matelot, né vers 1656… et également un exemple de mariages multiples, car il se marie quatre fois entre 1682 et 1716 et a au moins huit enfants, dont seulement deux atteignent l’âge adulte, Jacques, né en 1688 et Pierre, le père, né en 1701.

Pierre GIROT et Catherine CLOQUETTE, ses parents, ont une famille nombreuse, 10 enfants dont 8 filles, mais au moins quatre décès de nourrissons ou d’enfants. Ce Pierre entretient ses amitiés : à la naissance de sa seconde fille en 1726, Marie Ursule, la marraine est la fille d’un nommé Charles de LA SALLE, employé dans les Fermes du Roy… A la limite entre la Normandie et la Picardie, le port du Tréport est n’est pas mal situé pour les trafics de l’époque et les employés des Fermes Générales y sont nombreux. Pour Pierre GIROT, aspirant à devenir maître de bateau, avoir un ami dans les Fermes ne peut pas faire de mal… Mais lorsque son fils Pierre naît, en 1733, le parrain et la marraine sont de la famille proche…

Lorsqu’il a quinze ans, en 1748, sa fratrie compte cinq sœurs, dont deux plus âgées que lui, il est le seul garçon…

Il a déjà commencé son apprentissage de la mer depuis plusieurs années. Dès douze ans, son père, maître de bateau a pu emmener son fils unique dans son équipage ? Mais pour y faire quoi ? Le tri des poissons à la remontée des filets ?

Vers dix-huit ans, son apprentissage se poursuit comme matelot, la manœuvre des voiles et du bateau, la recherche des lieux de pêche selon la saison et selon l’état du ciel ou celui de la mer, le largage des filets, leur remontée, alourdis par le poids des poissons, …

Mais le travail s’exerce également à terre. Outre le chargement et le déchargement des bateaux auxquels chaque matelot d’un équipage est astreint, de nombreuses activités sont nécessaires et prises en charge par les gens de mer, hommes et femmes : l’élaboration et la réparation des filets, le lavage et l’encagage de certains poissons comme les sardines, le saumurage et le saurissage des harengs, la pêche à pied, pratiquée sur la côte à marée basse, sont autant d’activités pratiquées aussi par les femmes et qui ont pu être exercées par les sœurs de Pierre.

Catherine, la sœur aînée, s’est mariée avec un matelot picard du bourg d’Ault, à quelques kilomètres au nord du Tréport. Mais, rapidement veuve, elle se remarie avec Jacques CARON en mai 1764. Son frère Pierre est son témoin. Et Jacques CARON, matelot également, s’embarquera dix-huit mois plus tard sur le bateau de Jacques CLOQUETTE…

Tableau 7 : Pierre GIROT

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Au moment du naufrage, Pierre GIROT, à 32 ans, n’est pas encore marié, ce qui n’est pas inhabituel car nombreux sont les matelots qui se marient après trente ans.

Pierre GIROT, le père, et Catherine CLOQUETTE, la mère, survivront pendant une quinzaine d’années à leur fils et à leur gendre. Le père s’éteindra à près de 80 ans.

Trois de ses sœurs se marieront ou remarieront après le naufrage, seule Catherine, deux fois veuve d’un matelot, n’épousera pas, en troisièmes noces un marin…

Nicolas MASSON :

Très répandu en Normandie, le patronyme MASSON ne l’est pas tant que cela au Tréport. Dans les années 1720-1730, on compte une bonne demi-douzaine de familles nommées ainsi, toutes dans les métiers de la mer. Un seul Nicolas MASSON est né au Tréport autour de 1730… Le 29 mai 1734, nait Jacques Nicolas, fils de Nicolas, matelot, et de Marie DE LA ROQUE. Le couple, marié en 1726, a déjà eu quatre enfants dont seulement deux filles ont survécu. À 34 ans, en 1736, le père meurt, laissant sa femme avec trois très jeunes enfants. Nous n’avons plus trouvé de trace de Marie LAROQUE dans les registres du Tréport. Pas de trace non plus de Nicolas MASSON avant le naufrage.

Mais une de ses sœurs aînées se marie le dix avril 1759 avec un militaire… Antoine Michel OBRIOT était fifre major dans le Régiment de Bresse, stationné à Landernau en Bretagne. Au moment de son mariage, il demeure au Tréport depuis huit mois… Sa famille est originaire de Gennevilliers, diocèse de Paris. Ses parents sont décédés et son oncle maternel l’a recueilli chez lui à Argenteuil, et devient son tuteur. Comment OBRIOT a-t-il séduit Marie Anne ? Est-il aussi un beau parleur ? Le mariage est précipité car Marie Anne MASSON, fille majeure, est enceinte et accouchera, trois mois plus tard, d’une petite Marie Anne Dorothée. Le mariage est discret, la famille de Marie Anne ne parait pas présente : sa mère est absente, si l’on en croit l’acte, comme son frère… les témoins sont Blaise FLACHARD, le bedeau, et ses deux fils. Le quatrième témoin est un militaire, ami de l’époux et écuyer. OBRIOT a obtenu son congé absolu du Régiment depuis un an. Mais la discrétion apparente de leur mariage masque-t-elle une désapprobation de la famille de l’épouse ? Ou bien Nicolas n’est pas dans la région pour ce mariage rapidement organisé ? Pourquoi la mère de Marie Anne est-elle absente ? L’acte accumule les références sur OBRIOT : les bans dans sa paroisse d’Argenteuil « sans empêchements ni oppositions », le consentement de son tuteur, les certificats de décès de ses parents, le congé de son régiment, la dispense pour le mariage pendant le carême, autant de documents que le curé du Tréport accumule pour essayer de montrer l’honnêteté et la moralité d’OBRIOT… Mais la sœur de Nicolas MASSON doit se sentir bien seule ce jour-là. La famille ne semble pas briller non plus par sa présence le jour du baptême de la petite Dorothée, le seize juillet : ni le parrain, fils d’un marchand de Dieppe, ni la marraine ne semblent apparentés à Marie Anne. Antoine Michel OBRIOT et Marie Anne MASSON ne paraissent pas rester au Tréport après la naissance de leur fille. Plus d’autre trace d’eux dans les archives de Seine Maritime…

Tableau 8 : Nicolas MASSON

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Les Jeunes…
Jacques CARON, Jacques VASSEUR, Jacques FROMENTIN dit Canon, Nicolas GOURDIN et le non identifié Jean PASCHAL

Jacques CARON  : un père absent ?
Jacques Adrien CARON a 27 ans lors du naufrage… singulier destin pour un jeune homme non issu d’une famille de marins.

Son grand-père, Adrien CARON est originaire de Millebosc, dans l’arrière-pays du Tréport à une dizaine de kilomètres dans l’intérieur des terres. A 20 ans, en 1705, Adrien sait parfaitement écrire, signe avec ruche sur les actes qui le concernent, et tombe amoureux de Marie CLEMENT. Tellement amoureux qu’on doit précipiter les épousailles, en novembre 1705, avant la naissance de sa fille en janvier suivant.

Nous ne connaissons pas son activité car les registres de Messire Antoine FOURNOT, curé de Millebosc, ignorent superbement les professions de ses ouailles… Mais il ne semble avoir aucun rapport avec la mer et vit heureux avec Marie, développant rapidement et régulièrement sa famille : après Marie Anne, donc, en janvier 1706, c’est Jean, en mars 1707, puis Françoise, en août 1709, Jean Jacques en mai 1711, Antoine en mars 1713 et Adrien en aout 1714. À une époque où la mortalité infantile est ravageuse, et malgré le « grand hiver » de 1709-1710, les enfants CARON doivent être robustes, car seul le petit Antoine, décèdera en bas âge.

Malheureusement, le bonheur n’étant pas de ce monde, tout bascule alors : cinq semaines après la naissance d’Adrien, sa mère meurt, peut-être des suites de son accouchement. Adrien père est certainement très affecté et met seize mois à se remarier. Début 1716, il épouse Nicole LABOULAYE qui ajoute deux filles à sa famille. Mais à 34 ans, Adrien CARON meurt subitement en aout 1718, laissant sept orphelins à sa seconde épouse. Le second mariage de Nicole, avec Jean GODBY, ajoutera un fils et une fille à cette famille recomposée. En 1723, on perd leur trace sans savoir si les orphelins CARON sont toujours élevés par leur beau-père et leur belle-mère.

Adrien, le plus jeune, réapparait au Tréport fin 1737. A 23 ans, il y a sans doute trouvé du travail, et… il a une relation avec une « fille majeure » comme disent les registres de l’époque. Marie VASSEUR, de douze ans son aînée, ne semble pas venir d’une famille de marins bien que née au Tréport. Son père, Pierre VASSEUR, est manouvrier, et perd son épouse vers 1711. Des cinq enfants qu’ils ont eus, il ne lui reste que sa fille Marie et il ne s’est jamais remarié. Il meurt en 1728, laissant sa fille seule.

Adrien et Marie apparaissent quelque peu comme des « paumés » solitaires, dans un siècle où les solidarités familiales sont essentielles. Leur rencontre, probablement fortuite, entraine une bénédiction nuptiale accélérée en juin 1738 et la naissance de leur fils, Jacques Adrien, en septembre. Signe de leur solitude, on ne trouve que deux témoins à leur mariage : un certain François GUILLAIN, bourrelier, qui a peut-être pris Marie VASSEUR sous sa protection mais ne semble pas avoir de lien familial proche et le bedeau de la paroisse, Blaise FLACHARD, que l’on réquisitionne dans ces cas d’urgence… Cette relation ne semble pas durer, Jacques Adrien n’aura ni frère, ni sœur et son père disparait des registres du Tréport… et des bases de données actuelles…

Jacques CARON va grandir au Tréport et vite s’intégrer dans les bandes de gamins qui galopent dans la ville, grimpent sur le plateau, et triment pour aider leurs parents. Et au Tréport, les gamins sont très souvent enfants de pêcheurs.

Si son père a probablement disparu, le petit Jacques n’est certainement pas le seul « orphelin » à trainer dans le port. La pêche n’est pas un métier de tout repos, et les accidents, les noyades, les naufrages, s’ajoutent aux épidémies pour réduire l’espérance de vie des matelots. J’aime à penser que Jacques CARON n’a pas eu de mal à s’intégrer dans une bande de gamins… Peut-être celle d’un « grand », celle de Pierre GIROT, par exemple, qui a cinq ans de plus que lui et dont le père, maitre de bateau, peut l’engager comme mousse… Vers 1750, Jacques CARON à l’âge de l’être…

Mais il n’est pas vraiment orphelin ni recueilli dans un hospice, et sa famille ne fait pas partie des « gens de mer »… Il va pourtant devenir matelot. Mieux, le cinq mai 1764, il épouse la fille de Pierre GIROT, le père, maître de bateau… Un mariage qui restera sans enfants.

Tableau 9 : Jacques CARON

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Jacques VASSEUR :

La recherche de Jacques VASSEUR, en dépit de la confusion possible sur le patronyme avec LEVASSEUR, a été assez simple à mener grâce aux requêtes possibles sur la base ExpoActes. Peu de familles VASSEUR demeurent au Tréport dans les années 1720-1740 et il n’y a qu’un Jacques VASSEUR qui nait à cette période au Tréport ou dans les environs et qui ne soit pas décédé jeune. Ce Jacques VASSEUR nait donc le 29 mars 1737, d’un père maçon, né au Tréport, mais dont la famille est probablement originaire de Gousseauville dans l’arrière-pays d’Eu : ses grands-parents semblent avoir eu quatre enfants entre 1691 et 1697 à Gousseauville avant la naissance de Jacques, le père, au Tréport en 1700.

Le jeune Jacques VASSEUR, à l’instar de Jacques LENNEL, est un futur matelot non issu des « pauvres orphelins » ou des « enfants des gens de mer », qui entame sa formation au début des années 1750. Nous n’avons que peu d’informations sur ce matelot et sa famille. Un fait est à mettre cependant en évidence : lors de son mariage avec Marie Catherine GIROT, Jacques CARON présente deux témoins qui ne sont autres que Jacques VASSEUR, le matelot (VASSEUR et CARON ont à peu près le même âge) et son père, le maçon. Mais nous n’avons pas trouvé de lien familial avec Marie VASSEUR, la mère de Jacques CARON… Le grand-père paternel de Jacques VASSEUR est originaire de Gousseauville, le grand-père maternel de Jacques CARON, François VASSEUR est originaire du Tréport. S’il y a un lien familial, il semble assez éloigné. Reste le rôle de témoins du père et du fils, qui ne nous parait pas devoir être uniquement fondé sur l’amitié entre les deux jeunes matelots…

Tableau 10 : Jacques VASSEUR

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Jacques FROMENTIN dit Canon

L’identification de ce naufragé, indiqué comme ayant entre 25 et 30 ans dans l’acte de décès collectif de 1765, n’a pas pu être effectuée dans le cadre de ces travaux. Il serait né entre 1735 et 1740.

Les FROMENTIN sont nombreux, notamment au Tréport. Nous avons pu le constater dans l’identification de Jean FROMENTIN ci-dessus. Mais généralement les FROMENTIN du Tréport portent le surnom de « MALET ».

Une exception a pu être relevée, mais très ambigüe : Jacques FROMENTIN, marié à Jacqueline BLED en novembre 1742 a eu plusieurs enfants dont un Jean Jacques, né en septembre 1744. Au décès de celui-ci, en mars 1749, le père est surnommé « CANON ». Mais c’est le seul acte où l’on retrouve ce surnom, alors que dans d’autres actes concernant ses enfants, ou dans ceux concernant ses frères ou son père, c’est le surnom de « MALET » qui est indiqué. De plus, ce couple n’a pas eu d’enfants atteignant l’âge adulte, à l’exception d’une fille, Marie Jacqueline.

Tous les autres FROMENTIN prénommés Jacques ou Jean Jacques nés entre 1730 et 1750 sont morts en bas âge.

Il est possible que le naufragé soit issu d’une famille de Mers, mais nous n’avons pas pu encore l’identifier.

Nicolas GOURDIN : pourquoi est-il devenu matelot ?
Décédé à 23 ans dans ce naufrage, Nicolas GOURDIN n’a pas laissé beaucoup de traces dans les registres du Tréport. Ce n’est pas le cas de son père, également prénommé Nicolas, et de son grand père, un Nicolas aussi, qui apparaissent en quelques actes, comme de fortes personnalités, menant des vies variées…

Commençons par le grand-père… Ce Nicolas GOURDIN nait autour de 1672 et se marie tard, en 1708, avec Jeanne DE BRAY, fille et sœur de maîtres de bateau du Tréport. Ses témoins sont des cousins, tous charpentiers de navire, mais Nicolas, à 36 ans, est valet de charrue et travaille les champs au service d’un laboureur. Il ne pouvait donc être ni chétif ni malingre, la conduite de la charrue et l’entretien de l’attelage nécessitant une bonne constitution physique. Cependant, il va changer d’orientation professionnelle pour devenir « cabartier » (aubergiste) et, le 16 octobre 1715, six semaines après la mort de Louis XIV nait son fils Nicolas. Le parrain est le fils d’un ancien maire du Tréport, la marraine, la fille d’un marchand boucher ; l’ancien valet de charrue devenu cabaretier a gagné en respectabilité…

Son fils grandit dans l’ambiance de la Régence et des premières années du règne de Louis XV.

A 25 ans, il fréquente une fille de son âge, Marguerite, fille d’un chasse-marée décédé. Mais l’attente d’un heureux événement précipite le mariage, en février 1740. Il se présente alors comme matelot, dans une cérémonie discrète ou seul un oncle représente la famille de l’épouse, nécessitant le recours au bedeau, Blaise FLACHARD pour compléter les témoins. Du côté de l’époux, le père et le frère, maître tonnelier de 8 ans son aîné, sont bien présents.

Deux mois après, Marguerite accouche d’une petite fille Marie Jeanne Marguerite. Les familles ne semblent pas être dérangées par cette naissance rapide : Nicolas, le cabaretier devient le parrain et une sœur de Marguerite, épouse d’un chasse-marée, devient la marraine.

Le père n’est plus matelot, et se présente comme tonnelier. Son frère lui aurait-il proposé un métier plus régulier, maintenant qu’il est chargé de famille ?

Nicolas et Marguerite semblent bien s’entendre et les enfants arrivent vite : un premier garçon, Nicolas, en novembre 1741, puis une deuxième fille, Marie Françoise en avril 1743. Trois autres garçons vont suivre, tous les quinze à dix-huit mois… Mais, avant ces trois nouvelles naissances, à l’été 1743, débute au Tréport une grave épidémie qui va emporter la petite Marie Françoise. En trois mois, entre août et octobre, on y dénombre une bonne centaine de décès (141 pour l’année entière) alors qu’au cours des deux années précédentes, 1741 et 1742, la paroisse n’avait connu que 62 décès en moyenne par an. On peut faire les mêmes observations à Flocques et à Mers.

Après le décès de Marie Françoise, trois autres fils sont mis au monde par Marguerite, mais pour le dernier, Jacques Etienne, né le 1er avril 1747, l’accouchement ne se passe pas très bien et Marguerite meurt une semaine après, laissant quatre garçons et une fille, l’ainée, qui n’a pas encore sept ans.

Nicolas est maintenant brasseur et, certainement très occupé, ne peut rester seul avec une famille de très jeunes enfants. Il se remarie assez vite, dès le début de juillet, avec Marie Marguerite BERTHE, une femme de son âge, fille d’un maître de bateau décédé et originaire d’Ault. Son frère François, qui est à nouveau son témoin, tient maintenant une auberge à Eu. Son autre témoin, Etienne François MADELINE, est un ami et contrôleur de la franchise… on peut être brasseur et soigner ses amitiés.

Avec Marie Marguerite, les enfants ne viennent pas tout de suite… mais au début de 1750, elle est enceinte et met au monde des jumeaux le vingt-quatre août, dont l’un meurt dès le lendemain, mais l’autre, Jacques Barthélémy, semble avoir vécu. Il semble que Marie Marguerite BERTHE n’ait plus eu d’autres enfants. Elle a déjà fort à faire avec six enfants encore petits. À cette époque, en France, on contrôle déjà assez bien les naissances… Dans le cas de Nicolas et Marie Marguerite, est-ce une volonté de ne pas avoir d’enfants ou une incapacité à en avoir ?

En 1760, les six enfants ont grandi : la fille aînée Marie Jeanne à une vingtaine d’années, le fils aîné, Nicolas en a dix-neuf, et est probablement déjà matelot. Le dernier, Jacques Barthélémy, le seul enfant de Marie Marguerite BERTHE, a dix ans quand celle-ci meurt le 18 janvier à 46 ans.

A près de cinquante ans, Nicolas va se marier une troisième fois, avec Marguerite BETTE, une femme du même âge, fille d’un matelot décédé. Ce sont ses neveux que Nicolas prend comme témoin, Jean François et Pierre, le premier étant acolythe.

Deux ans et demi après ce mariage, Nicolas, le fils, n’a que vingt-trois ans lorsqu’il se noie lors de la tempête du 5 octobre 1765.

Tableau 11 : Nicolas GOURDIN

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Pierre CAUCHY, 20 ans,
Pierre CAUCHY nait dans une vraie dynastie de maîtres de bateaux et de gens de mer, que nous avons déjà rencontrés… Sa grande sœur, Marie Anne, qui a dix ans de plus que lui, a, en effet, épousé en deuxièmes noces Jacques LENNEL.

Jacques CAUCHY, le père de Pierre, est maître de bateau au moins depuis son mariage en 1734 à Ault. Et les deux grand-pères de Pierre, Jacques CAUCHY au Tréport et Michel BUCHON à Ault sont aussi maîtres de bateaux.

Marie Jeanne, la sœur aînée de son père, a épousé un charpentier de navire, en premières noces (François LE VILLAIN) et en secondes noces (Charles DRIMILLE) après le décès de son premier mari. Un de ses oncles, Nicolas, était tout jeune matelot lorsqu’il est décédé à dix-sept ans dans le naufrage du 15 janvier 1726 qui avait fait 11 morts. Un autre oncle, entré dans les ordres, sera vicaire au Tréport, mais décède à vingt-huit ans en 1725.

Lorsqu’il nait en novembre 1744, Pierre est le quatrième fils de Jacques CAUCHY et Marie Jeanne BUCHON, dont les trois aînés sont décédés en bas âge. Pierre sera le dernier enfant du couple. On peut imaginer les espoirs mis par Jacques dans son fils unique qui doit poursuivre la dynastie de maîtres de bateau… Il débutera certainement sa formation comme mousse vers douze ans. Vers 1760, il a l’âge de servir dans la Marine Royale. Nous sommes en pleine guerre de Sept Ans, il est possible que Pierre ait été enrôlé pendant une ou plusieurs années sur les vaisseaux du Roi.

Après le retour de la paix en 1763, le calme revient en Manche et les campagnes de pêche deviennent moins périlleuses. Depuis une dizaine d’années, il n’y a pas eu de naufrage au Tréport. Le risque est toujours à l’esprit, mais les morts au service du Roy ou les prisonniers des Anglais sont certainement plus dans les mémoires. Le cinq octobre 1765, l’extrême violence des éléments déchaînés plongera les Tréportais dans l’inquiétude, puis dans le deuil.

Tableau 12 : Pierre CAUCHY

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Jean PASCHAL

Ce matelot disparu n’a pas pu être identifié. Seul son décès est répertorié dans la base ExpoActes, et, de plus, une recherche générale sur le nom « PASCHAL » ou encore « PASCAL » ne donne que des actes postérieurs à 1765, assez nombreux au 19ème siècle, à l’exception de trois actes :

Marie PASCHAL, décédée le 26/9/1693, à Bretteville (âge inconnu), veuve en 2ème noces (Louis AVENEL puis Jean LEMIRE),
Madeleine PASCAL, décédée à 72 ans le 29/12/1690, à Martin Eglise,
Et plus récemment, Marie Victoire PASCHAL, décédée à sept mois le 21/11/1763, à l’hôpital, à Neuville-les-Dieppe,
Après 1765, on trouve plus d’actes avec ce patronyme. Mais ce qui frappe c’est le tout petit nombre d’actes concernant ce patronyme pendant tout le 17ème et les deux tiers du 18ème siècle, sur l’ensemble du territoire de Seine-Maritime. Le dernier décès rappelle également que certains enfants trouvés étaient prénommés, voire nommés « Paschal » ou « Pascal », en référence à la période de Pâques ou ils étaient nés. Jean PASCHAL pourrait être alors un enfant trouvé, recueilli et élevé dans un des hôpitaux de la région. A ce titre, il pourrait alors faire partie des orphelins des hôpitaux, mentionnés par l’ordonnance de Colbert, et destinés par le bon plaisir du Roi, à devenir matelots et à servir dans la marine Royale. Décédé dans le naufrage, Jean PASCHAL avait entre 25 et 30 ans, selon l’acte collectif de décès.

Les quatre « mousses » : les frères CLOQUETTE et les frères LANGE

Jean Jacques CLOQUETTE, 17 ans, et son frère Charles, 14 ans, sont, comme nous l’avons vu ci-dessus, les deux fils aînés de Jacques CLOQUETTE. Comme la plupart des fils de matelots et, à fortiori, des fils de maîtres de bateau, ils aident leur père à la pêche depuis plusieurs années déjà. Jean Jacques reçoit l’instruction de base pour devenir plus tard maître de bateau à son tour : lire et écrire… à douze ans, parrain de son petit frère, il signe l’acte, encore assez difficilement, mais à quatorze ans, parrain d’une fille de Nicolas BELLENGREVILLE, sa signature est devenue parfaitement maîtrisée.

Les frères LANGE

Jean Jacques LANGE, 19 ans, et son frère Jean Baptiste, 14 ans, vivent, à l’époque du naufrage, avec leur mère, Marie Anne SABOT. Leur père, Jacques, est décédé deux ans auparavant, à 47 ans, et leur frère Nicolas est décédé à 13 ans, muni des sacrements, donc mort probablement de maladie. Un autre frère, Jacques Philippe, âgé de 16 ans et une sœur de 18 ans, Marie Anne, complètent cette famille. Celle-ci ne parait pas avoir d’enracinement dans les métiers de la mer, ni du côté du père, ni du côté de la mère qui se sont mariés au Tréport en 1743. Jacques LANGE (ou plutôt L’ANGE, comme il est généralement orthographié dans les actes le concernant) est le fils de Jacques et d’Anne CANNEVELLE de Flocques. Dans leur acte de mariage de 1715, non filiatif, l’époux est originaire de Saint-Martin-le-Gaillard, à quelques kilomètres à l’intérieur des terres… Comme pour la famille CANNEVELLE, nous sommes plutôt dans les métiers de l’agriculture que dans ceux de la mer… De plus, l’époux d’Anne CANNEVELLE décède assez vite (probablement en 1725) et Anne s’installe avec son fils Jacques chez son père à Flocques. L’enfant est élevé dans cette famille, chez ses grands-parents maternels. Lors de son mariage en 1743, seul les CANNEVELLE apparaîtront comme ses témoins.

Du côté de leur mère, Marie Anne SABOT, le père, les oncles, le grand-père, tous originaires du Tréport, sont tous chasse-marées…

Tableau 13 : Jacques LANGE et ses enfants

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Pourtant, dans cette famille peu tournée vers les métiers de la mer, Jean Jacques et Jean Baptiste, les deux naufragés du 5 octobre 1765, mais aussi leur frère Jacques Philippe, font leur apprentissage de matelot, et même leur sœur Marie Anne, se mariera avec François FAUQUEUX, qui deviendra capitaine de navire. Dans cette société d’Ancien Régime, très structurée et cloisonnée, comment interpréter ce changement familial d’orientation professionnelle, qui ne touche pas que les enfants LANGE, mais aussi nous l’avons vu plus haut, Jacques LENNEL, Jacques VASSEUR, Jacques CARON et Nicolas GOURDIN… Le secteur de la pêche au Tréport serait-il en plein développement dans les années 1750-1760, entrainant de nouvelles créations d’emplois ? Bien entendu, nous sommes loin d’une fiabilité statistique dans l’analyse de cet « échantillon » de pêcheurs formé par l’équipage du bateau de Jacques CLOQUETTE, mais la question mérite d’être posée.

Article de Christian Fizzet (Adhérent cgpcsm)

F.Renout
(Administrateur cgpcsm)


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