Histoire d’un nouveau-né : Jean Baptiste « PAVÉ de l’EGLISE »

samedi 15 mai 2021
par  Francis RENOUT
popularité : 4%

Depuis le XI ème siècle, sur les hauteurs d’Ouville la Rivière, se dresse l’église Saint Gilles, située sur la côte Sainte Appoline. Cette église, en pierre tuffeuse, construction très répandue dans la vallée de la saâne, a été dressée sur les ruines d’un temple et elle fut dédiée à cette sainte.

PNG - 215.3 ko
(Eglise d’Ouville la rivière)

Ainsi, même le nom de la « divinité » n’a que très peu changé dans cet endroit plusieurs fois millénaire, ayant connu trois ou quatre religions. Plus haut, sur la gauche, une pierre sacrée en grès, taillée en une seule pièce, est toujours vénérée par des mères qui lui apportent des bouts de tissus, dans l’espoir que cela diminue la souffrance de leurs enfants, lors de la pousse des dents. Les croyances les plus humbles sont apparemment celles qui durent le plus longtemps. Comme dit Jean Duterroir : « Dans la campagne cauchoise, on ne parle guère des croyances liées aux saints guérisseurs et encore moins de sorcellerie, nous sommes en pays de taiseux »

PNG - 263.1 ko
(Statue de sainte appoline)

Ouville la Rivière se trouve dans la vallée de la Saâne, un peu avant son embouchure. Trois rivières traversent Ouville : la Saâne, le Monceau et le Clapet. Ce dernier est alimenté par le lac du château, lui-même alimenté par une source qui donne une eau très limpide. La présence de ces cours d’eau explique le nom du village, mais aussi le nom que l’on pouvait trouver au siècle dernier sur les cartes postales : Ouville-les-Trois-Rivières.

PNG - 356.7 ko

Baptême d’un enfant trouvé :

Un jour printanier de mai 1744, Catherine Bouillon, âgée de 57 ans, demeurant dans le village voisin de Longueil, se rend à l’église d’Ouville la Rivière. Catherine est veuve de Jean Quibel, tripier, depuis septembre 1743, dont elle est la quatrième épouse. Elle a eu six enfants entre 1720 et 1730. Après avoir poussé la lourde porte en bois, qu’elle n’est pas sa surprise de trouver au sol, un nouveau né déposé sur le pavé. Peut-être a t-elle été attirée par les pleurs de l’enfant ? Il n’y a certainement pas très longtemps que sa mère l’a abandonné. Peut-être est-elle même encore cachée dans le voisinage pour voir si son enfant va être retrouvé assez vite !

On peut imaginer que, Catherine Bouillon, surprise et peut-être désemparée, emmène le nouveau né ou court chercher le curé de la paroisse, pour lui faire part de sa découverte. A cette époque c’est Mr Valée qui est prêtre en ce lieu. Après l’avoir examiné quelque peu, celui-ci pense que le nourrisson est âgé de huit jours. C’est un garçon. Cela a dû être difficile pour une mère d’abandonner son enfant au bout de quelques jours ! On ne saura jamais pourquoi ?

PNG - 226.7 ko

Le prêtre le baptise le dimanche 10 mai, en l’église d’Ouville la Rivière ; peut-être même le jour où il fut trouvé ? En règle général, un nouveau né est baptisé dans les 24 heures suivant sa naissance, depuis la déclaration royale en 1698. Là, c’est un cas différent ! Comment sont choisis le parrain et la marraine ? Difficile à dire ! C’est Jean Baptiste Peltier, marchand mercier de Longueil, qui devient son parrain et lui donne son prénom et un surnom « Pavé ». Sa marraine est Catherine Victoire Lemercier, fille d’Etienne, laboureur, et d’Anne Rose. Célibataire, elle est âgée de 20 ans et habite chez ses parents, dans ce village de 80 feux. D’habitude, le prêtre de cette paroisse inscrit en marge le prénom et le nom de ses paroissiens ; mais cette fois, il mentionne simplement : « Baptême d’un enfant trouvé ». Comment pouvait-il faire autrement !

Vers un sort meilleur ?

Après avoir été baptisé, il faut lui trouver une nourrice pour l’allaiter. En ce milieu du XVIII ème siècle, l’allaitement de l’enfant par une femme est la règle générale. Cherche-t-on parmi les femmes du village qui viennent d’accoucher ? Si c’est le cas, six mères ont mis au monde un nouveau né entre le 2 janvier et le 21 mars 1744. Cela concerne les familles Barbé, Brière, Cauchois, Dupuis, Letellier et Permentier. Mais ceci n’est que supposition .

On ne peut qu’ébaucher des hypothèses concernant les vingt premières années de sa vie ! Et quand bien même, il n’existe pas de documents le concernant personnellement, on a une idée sur les conditions de vie de ses hommes et de ses femmes composants ce petit village, au milieu du XVIII ème siècle. Quelques informations laissent à penser qu’il a passé son enfance à Ouville la Rivière. Son éducation scolaire a du être rudimentaire car il ne sait même pas signer. L’instruction n’est pas encore obligatoire. Ce qui est sûr, c’est qu’il est domicilié à Saint Denis d’Aclon l’année de son mariage et qu’il est domestique. On verra par la suite, qu’il est resté en contact avec sa marraine Catherine Victoire Lemercier. A t-il été recueilli par les parents de celle-ci ?

Son premier mariage :

On retrouve la trace de Jean Baptiste Pavé, dans les registres paroissiaux, lors de son mariage, le 9 juillet 1765, à Saint Denis d’Aclon avec Marie Catherine Lesueur. Celui-ci est âgé de 20 ans et mentionné "né de parents inconnus". Son épouse, âgée de 31 ans, domestique, originaire de Saint Nicolas d’Aliermont, est la fille de feu Laurent Lesueur et de feu Françoise Cambeuf. Elle est veuve de Gabriel Levasseur, journalier, décédé le 15 juillet 1762, à l’âge de 33 ans. Marie Catherine est mère de six enfants dont quatre sont décédés en bas âge. Au moment de son second mariage, son fils Laurent Gabriel est âgé de 14 ans, et sa fille Marie Catherine est âgée de 8 ans. Seulement 6 ans séparent le fils et le beau-père !

Les témoins du mariage sont François Thimothée Delaunay, clerc de cette église, Monsieur joseph Fifsemere bourgeois de la ville de Dieppe, Charles Helene, tisserand demeurant en la paroisse d’Ouville la Rivière et Robert Basire concierge chez Mr Le marquis de Thiboutot à Ouville la Rivière. Ils ont le consentement par écrit de jacques LeSueur, unique frère de l’épouse, par lequel celui-ci ne s’oppose au mariage des dites parties.

Parmi ces témoins il y a Charles Heleine. Celui-ci est l’époux de Catherine Victoire Lemercier, marraine de Jean Baptiste Pavé. Si on ne connait pratiquement rien de sa vie avant son mariage, on s’aperçoit qu’il a toujours des liens avec sa marraine. D’autre part, Jean Baptiste et Marie Catherine sont domestiques. Ce n’est peut-être pas un hasard que Robert Basire soit témoin ! Peut-être sont-ils tous deux domestiques chez le marquis de Thiboutot. Cela peut aussi expliquer leur rencontre ; mais ceci n’est qu’une hypothèse !

Marie Catherine Lesueur est enceinte de six mois au moment de son mariage. Presque quatre mois plus tard, naît une fille, Marie Catherine, le 23 octobre 1765, à Ouville la Rivière. Son père est absent au baptême. La marraine est Catherine Victoire Hélène, fille de Charles Hélène, tisserand.

Un deuxième enfant va naître le 6 janvier 1768, à Ouville la Rivière. Cette fois, c’est un fils prénommé Jean François Modeste. Son père est encore absent au baptême.

Malheureusement, le 13 avril 1773, Marie Catherine décède âgée d’environ trente huit ans. Son inhumation a lieu le lendemain, en présence de son époux, de Gabriel Levasseur, son fils en première noce, Louis Guillaume Leplat, étudiant et Denis Houlvigne.

Son second mariage :

Au cours des trois années qui suivent le décès de sa première épouse, Jean Baptiste Pavé se marie en secondes noces avec Marie Anne Hébert, le 28 octobre 1775, à Hermanville. Leurs fiançailles avaient été célébrées quelques jours auparavant, le 22 octobre en l’église d’Hermanville, par le prêtre nommé Deshays. A cette période Jean Baptiste est journalier et Marie Anne fileuse.

Un fils, Louis Joseph, naît le 7 décembre 1776, à Ourville la Rivière. Encore une fois, le père est absent au baptême. Le prêtre Ferand rappelle l’origine de Jean Baptiste en mentionnant son nom : « Jean Baptiste Pavé de l’église »

PNG - 90.5 ko

Une fille Catherine Marie Anne nait le 18 décembre 1778 et est baptisée le lendemain à l’église d’Ouville la Rivière sans la présence de son père.

Le dernier enfant, Jacques Philippe naît le 26 avril 1781 et est baptisé le même jour. On notera comme à l’habitude l’absence du père.

Malheureusement, Marie Anne Hébert décède à son tour le 19 septembre 1782, à l’âge de 32 ans et est inhumée le lendemain en présence de son époux, de Jean Hébert du Gourel et de Charles Hébert de Lamberville.

PNG - 414.1 ko

Ce n’est que 27 ans plus tard, que Jean Baptiste Pavé décède à son tour le 1 juin 1809, à Ourville la Rivière, où il a passé sa vie durant. Il est âgé de 65 ans. Sur l’acte, l’officier d’état civil, mentionne le surnom « Pavé », qu’il est né de parents inconnus et qu’il a été trouvé huit jours après sa naissance. On note la présence de ses deux fils comme témoins : Jean François Modeste, 40 ans, aubergiste et Louis Joseph, 33 ans, tisserand. Il est inhumé dans le cimetière, près de l’endroit où il fut trouvé un jour de mai 1744.

Malgré sa descendance, son patronyme ne fut plus transmis au bout de quelques générations. Quand décède Louis Joseph, son fils issu de son second mariage, âgé de 89 ans, le 1 juin 1866, l’officier note en marge de l’acte : « Décès de Pavé de l’église »

PNG - 156.8 ko

Epilogue :

La question de l’abandon des enfants dès la naissance s’est posée tout au long de l’histoire. Selon les statistiques de l’époque, les mères qui abandonnent leur enfant sont le plus souvent des servantes, des ouvrières, des domestiques, des veuves ou encore des marchandes. Ainsi confrontées à la misère, les mères sont contraintes d’abandonner leur enfant devant une maison de riches bourgeois ou encore dans un lieu public comme devant le porche d’une église. Bien sûr, cet abandon peut avoir d’autres causes ; mais une des causes premières est la misère.

« Mais par rapport à d’autres ancêtres qui ont eu un destin extraordinaire, nous pouvons avoir l’impression que l’on ne pourra pas raconter leur vie, voire même que leur vie ne mérite pas d’être racontée et qu’ils n’ont pas d’histoire. Pourtant leur vie a compté tout autant que celle de nos autres ancêtres, et même si leur histoire est ordinaire, elle mérite d’être racontée, parce qu’elle est le reflet de l’histoire de leurs contemporains. » (Elise Lenoble)

Et si une histoire mérite d’être racontée, c’est aussi celle de sa petite fille Louise Sidonie Pavé, née en 1811, à Ouville la Rivière. Tout au long de sa vie, elle fut prise d’une compassion infinie pour tous ceux qui souffrent. Ce sera le thème d’un autre article.

F.Renout
(Administrateur cgpcsm)
R

Sources :
Registres des archives de Seine Maritime,
Base de données Généacaux


Documents joints

PDF - 982.3 ko

Portfolio

PNG - 139.4 ko