Sauvetage héroïque dans le port de Saint Valery en Caux en 1790

mardi 7 janvier 2020
par  Francis RENOUT
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Sur le registre des délibérations de la municipalité de la ville de Saint Valery en Caux, daté du 10 janvier 1791, à 11h, on note le récit d’un fait mémorable, relatif à un acte de courage d’un habitant de cette ville côtière.
Le 21 décembre 1790, vers les 11h du matin, le capitaine Louis Vasse se présente pour relâcher au port de Saint Valery en Caux. Forcé par un gros vent de sud-ouest, celui-ci ne peut continuer sa route qu’il tenait le long des côtes de la manche.

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Petit et peu profond, le port s’ouvre sur la mer par une embouchure au nord. Il offre un asile sûr aux bâtiments marchands et aux pêcheurs. Quand les vents d’ouest, sud-est et nord-ouest soufflent avec force, la mer inonde une partie des quais et plusieurs rues.

Une chaloupe du port monté par quatre hommes navigue au devant du navire, pour prendre ses amarres et les porter sur la jetée ouest. A ce moment là, la mer est très agitée. Une vague énorme s’élève et submerge la chaloupe, la poussant sur un banc de galets qui règne le long de la jetée.

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Quelques personnes s’empressent de jeter des cordages aux quatre matelots en péril. Seuls deux d’entre eux, qui savent nager, les saisissent et sont tirés sur la jetée. Pendant ce temps, les deux autres se sont agrippés à la chaloupe qui chavire. Ensevelis dans les eaux, ils ne voient, ni ne peuvent se saisir des cordages. A ce moment là, on pense qu’ils vont périr, sous les yeux des concitoyens attroupés sur la jetée.

Un de ceux-ci, aussi jeune que brave, nommé Jean Boudevillain, âgé de 21 ans, maître de bateau pêcheur, prend la résolution de les arracher à la mort, au péril de sa propre vie. Il dépasse promptement la drisse du mât de fanal (1), se l’attache au corps, et se précipite du haut de la jetée dans la mer. Intrépide, il nage ensuite vers la chaloupe et la soulève pour donner aux deux marins malheureux, qui s’y étaient attachés, les moyens de respirer. Il se fait haler, en tirant après lui, la chaloupe et les deux matelots, qu’il ramène à terre, sous les acclamations d’un grand nombre de personnes étonnés de la hardiesse de ce jeune maître de bateau.

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Les deux naufragés gisent à terre sans mouvement, ni connaissance. Il réussit à les ramener à la vie. La municipalité de Saint Valery en Caux, touchée par une action aussi courageuse et voulant en perpétué la mémoire, en a fait une mention honorable dans ses registres.

Quelques citoyens de la même ville, le jugeant digne de l’attention de l’assemblée nationale ont déféré l’honneur de transmettre cette action par Mr Cherfils Jean Baptiste. Celui-ci, né à Bosville, est alors député du tiers-état au bailliage de Caux depuis le 23 mars 1789. Il y restera jusqu’au 30 septembre 1791. Il participe, entre autre, à la création des départements français avec Thouret.

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Le registre des délibérations de Saint Valery en Caux fut signé par : Adrien Leseigneur, maire, Dupuis, Pastey, Petit Seigneur, Cotelle, Ango, Hanot, Grenier et Haubert.

(1) La drisse est un cordage.Celle-ci était attachée au mât de fanal. Le fanal est un feu ou une lanterne, placé à un endroit élevé pour servir de repère ou de signal la nuit.

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Biographie de Jean Boudevillain :

Le dix neuf janvier 1769 naissent deux jumeaux, Michel Nicolas et Pierre Jean , fils du couple Pierre Boudevillain, marinier, et de Rose Leteurtre, mariés le 27 septembre 1763. Ils sont baptisés, le lendemain 20 janvier, à l’église de Saint Valery en Caux, par le curé de la paroisse nommé Legros. Il est le 3 ème enfant d’une famille de six , composée de trois filles et trois garçons.

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Les Boudevillain sont une famille de marins, marinier, maître pêcheur depuis le XVII ème siècle. Cette tradition familiale perdurera jusqu’au XIX ème siècle. La population de Saint Valery en Caux était composée de deux tiers de marins à une certaine époque.

Trois ans après son acte héroïque, Pierre Jean se marie le dimanche 5 mai 1793, avec Marie Catherine Bachelet, fille de Louis Alexandre, ancien maître pêcheur, et Magdeleine Delaporte.

Au cours de sa vie, il habite le quartier de Bohême et la rue Basset vers 1831. Ce quartier de Bohême est occupé par les marins. Les maisons sont basses, peu aérées, à un seul étage, ou avec un appartement au rez de chaussée, surmonté d’un grenier. Ces habitations ne contiennent qu’un ou deux lits, que se partage une famille nombreuse, comme la famille Boudevillain.

Ils auront huit enfants entre 1793 et 1808 : quatre fils et quatre filles. Un fils décède en bas âge, quand aux trois autres, ils deviendront marinier, maître pêcheur, maître au cabotage et armateur. Cet amour de la mer se transmet de génération en génération. La mer semble fasciner les hommes qui ont été élevés avec elle ! Dès leur plus jeune âge, les enfants jouent sur les quais à bord des canots. Ils se familiarisent avec la mer.

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Son petit-fils, Louis Narcisse Boudevillain a aussi eu ce goût de la mer. Même les périls dont l’un des leurs a été victime, ne peut les détourner de cette passion. Matelot de 3 ème classe, âgé de 37 ans, il décède en mer à bord du lougre "le Rapide" avec 17 "compagnons d’infortune" durant la Campagne d’Islande de 1874.

Il vous est sans doute arrivé, l’hiver, assis bien au chaud près d’un feu de cheminée, d’entendre au dehors le vent gémir, la pluie et la grêle fouetter les vitres. A ce moment là, on pense à ceux qui sont en mer et qui luttent contre les éléments déchaînés. Malgré cela, rien ne les arrachent à cette vie si dure et si périlleuse qu’elle soit ! Pour preuve,un autre petit fils, Pierre Léger Louis Boudevillain, marin, âgé de 43 ans, décède en rade de Palamós (Espagne) à bord de la goëlette française "les Trois Marie" dont le port d’attache est à Martigues.

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Tandis qu’autour du foyer s’active Marie Catherine, son époux, marin, malgré le froid, le vent et la pluie, il est sur le pont de sa barque, bravant la tempête qui fait rage, à travers les cordages. Au cours de sa vie, Marie Catherine sera fileuse de chanvre et fileuse d’aplets.

Que désigne ce terme d’aplet ? Un aplet est un filet qui sert pour la pêche aux harengs. A cette époque, les pêches du hareng et du maquereau procurent aux habitants un aliment sain et économique. Charles VI, en 1400, se préoccupera non seulement de réglementer le commerce, mais aussi l’utilisation des engins de pêche. Dans son ordonnance, il fixa la dimension minima d’un filet appelé « aploïda » ou « aplet », termes qui désignaient la senne, filet déjà connu des Romains.

Pierre Jean décède le 23 juillet 1831 dans ce bourg qui l’a vu naître. Son épouse le suivra d’un an, le 7 octobre 1832.

F.Renout
(Administrateur cgpcsm)

Sources :
Archives parlementaires de la révolution française.
Rapport de Mr Cherfils Jean Baptiste en 1791.
Eugène Fauconnet (1896)
Base de données Généacaux
Archives de Seine Maritime


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