Meurtres odieux à Thiouville en 1793

dimanche 6 novembre 2016
par  Francis RENOUT
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 Double crime odieux à Thiouville le 23 avril 1793 -

Thiouville, petit village du Pays de Caux, entre Normanville et Ourville en caux, fut le lieu de deux meurtres perpétués sur Jean Bucaille, 57 ans, et Jean Bréard, 48 ans, deux laboureurs connus de ce village.Ceux-ci étaient attachés au culte réfractaire.PNG - 700.8 koTous deux furent massacrés par une foule immense, leurs cadavres mis en pièces et leurs maisons dévastées. Jean Bucaille fut tué dans sa cour de ferme et Jean Bréard fut tué dans la cour du citoyen François de la Haye.

Le 21 avril dernier, un mouvement se manifesta ; on vit, à la fermentation générale, que la paroisse de Thiouville enfin voulait voir éteindre dans son sein la cause des divisions qu’on y entretenait, et on annonça qu’il fallait se réunir à cet effet le lendemain 22, sur la place. Le 22, sur les sept heures, l’assemblée eut lieu, elle ne tarda pas à se grossir au nombre de plus de deux cents. PNG - 525.5 koD’abord, on se porta vers le domicile du nommé Bréard, on désirait ardemment que cet homme, contre lequel l’opinion publique était malheureusement prononcée, s’unît et fraternisât avec ce peuple. Mais sa résistance qu’on aurait dû vaincre, il faut en convenir, par la persuasion, irrita des hommes trop ardents, et la foule entraînée se porta à découvrir sa maison.

Dans la chaleur de l’action, la maison de Bucaille a éprouvé le même sort (il était notoire que Bucaille faisait scandaleusement dire la messe chez lui par les prêtres réfractaires), le public se saisit même des ornements qui y étaient cachés, et le nommé Bucaille eut l’imprudence de traiter durement les citoyens qui visitaient son domicile et qui l’invitaient à l’union et PNG - 1.2 Mos’exposa à des dangers qui, ce jour-là cependant, n’eurent pas de funestes conséquences. Mais le lendemain 23 avril on vit arriver à Thiouville tous les habitants des communes, bourg et villes du district de Cany, au nombre de plus de 15.000. Alors ce peuple immense entraîné par le poids énorme de sa masse, ne put pas être contenu dans les bornes d’un mouvement régulier, devenu dangereux en raison de son excessive énergie ; il entraîna dans son cours violent et rapide Bucaille et Bréard qui y succombèrent.

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Jean Bucaille, né à Thiétreville le 22 novembre 1735, se maria à Thiouville le 9 novembre 1767 avec Marie Anne Saint Requier avec qui il eût 6 enfants. Il s’installa sur sa ferme du hameau du Chouquet en 1765. Son épouse mourut le 3 novembre 1779. Il se maria en secondes noces avec Léonarde Aubrée le 29 juillet 1783 qui éleva les 4 enfants qui restaient du premier couple.

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Laïque et honnête laboureur, syndic de Thiouville, Jean avait subi les derniers tourments pour la foi. On lui demanda de consentir à se rendre à la messe du prêtre réfractaire et à crier avec tous : "Vive la République". Celui-ci refusa vivement et se dit prêt à mourir pour ses idées. Il fut ensuite fusillé par une foule en furie et son corps fut, après sa mort, l’objet d’outrages ignobles. On le lapida, on le dépeça et on se partagea les membres : sa tête fut mise au bout d’un sabre, une de ses mains fut mise en haut d’un pique et l’autre servit de salière dans un repas que les forcenés donnèrent le soir en signe de réjouissance. Quant au torse, ils allumèrent dessus un feu de joie avec des ornements et des livres d’église et dansèrent autour en chantant de honteux refrains.

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La veille, Jean Bréard chercha asile à Bennetot. Il fut traduit devant le procureur de la commune qui le fit ramener à la mairie de Thiouville par la garde nationale. Le cortège arrive vers 14h et cela ranima la furie de la foule qui le soumit à la fameuse question. Jean Bréard comprit que sa seule chance de rester en vie, c’est l’évasion. Il bouscula quelques personnes et se rua dans la plaine environnante. Cerné, il tomba sous les coups de fusils de ses assaillants. Son corps subit ensuite le même sort que celui de Jean Bucaille.

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Pourquoi ces deux personnes furent elles massacrées ? Des études furent menées pour en déterminer les causes. Ne pas oublier que nous sommes à la période révolutionnaire !

S’agit-il d’un épisode de la lutte des classes ? Philippe Goujard, après une étude de la fortune de ces deux laboureurs, de leurs partisans et de leur adversaires pensent que non.PNG - 649.8 koS’agit-il d’un aspect de la guerre religieuse que se livrèrent ceux qui, comme les victimes, soutenaient l’ancien curé réfractaire, et qui, comme les assassins étaient partisans du prêtre constitutionnel ? C’est une hypothèse que l’on ne peut pas écarter. Mais selon Philippe Goujard, il y a autre chose !

Avant la révolution, les habitants de Thiouville étaient divisés en deux groupes - ceux qui avaient le pouvoir local : le seigneur Guilbert qui occupait le château des d’Herbouville, le curé Jean Charles Taude né au Havre en 1738, le trésorier de la paroisse Jean Bucaille
 et ceux qui aspiraient à ce pouvoir : Jean Jacques Legros cultivateur, Duchemin chirurgien et quelques autres.
Or, avant la révolution, Legros devint commandant de la garde nationale et Duchemin juge de paix. Tous deux soutinrent le nouveau curé constitutionnel Vincent.

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Le 4 avril 1793, l’ancien seigneur Guilbert est arrêté dans un cabaret de la région à Ecretteville sur Mer en raison de propos séditieux. On trouve sur lui des lettres et des textes de cantiques. Cela prouve l’existence d’un réseau réfractaire. Celui-ci est l’ami de Jean Bucaille.

Le curé Jean Charles Taude obtint un passeport et embarqua à Saint Valéry en Caux en exil vers Angleterre puis ensuite à Maëstrich.

Luttes anciennes pour le pouvoir et luttes religieuses se combinèrent pour aboutir au massacre du 23 avril 1793. Quant au dépècement des cadavres, à la destruction des maisons, Philippe Goujard y voit là, la résurgence de vieilles mentalités collectives apparues lors de troubles populaires des siècles passés pendant notamment les guerres de religions.

https://books.google.fr/books?id=FQwdF6q0LlAC&pg=PA20&lpg=PA20&dq=bucaille+thiouville&source=bl&ots=aDa1x-Jtxb&sig=BwzaxHVKbfsdYE3MBYsXqA_6C0k&hl=fr&sa=X&ved=0ahUKEwjm84b596zPAhWHrRoKHXJ8CsAQ6AEIPTAJ#v=onepage&q=bucaille%20thiouville&f=false

F,Renout

Sources :
Jacques Godechot, Philippe Goujard
Le livre de l’abbé Bernardin de Mathan "Jean Bucaille"
téléchargeable :

Archives départementales de la Seine-Maritime


Documents joints

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