Deux jeunes Cauchois meurent au Sénégal, de la fièvre jaune, à l’été 1881.
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De temps à autre, quand on feuillette les registres d’état-civil, on rencontre en plus des actes habituels des transcriptions d’actes. Cela concerne en particulier les décès des soldats survenus hors de leur résidence. C’est le code civil napoléonien qui a créé cette obligation de transcription dans son article 80.
« En cas de décès dans les hôpitaux militaires, civils ou autres maisons publiques, les supérieurs, directeurs, administrateurs et maîtres de ces maisons, seront tenus d’en donner avis, dans les vingt-quatre heures, à l’officier de l’état civil, qui s’y transportera pour s’assurer du décès, et en dressera l’acte, conformément à l’article précédent, sur les déclarations qui lui auront été faites, et sur les renseignements qu’il aura pris.
Il sera tenu en outre, dans lesdits hôpitaux et maisons, des registres destinés à inscrire ces déclarations et ces renseignements.
L’officier de l’état civil enverra l’acte de décès à celui du dernier domicile de la personne décédée, qui l’inscrira sur les registres. »
C’est ainsi que j’ai pu découvrir dans le registre de Saint-Aubin-sur-Scie à la date du 19 février 1882 que le jeune Médéric Pierre Lemaître de Saint-Aubin sur Scie était décédé au Sénégal le 7 août 1881.
Médéric Lemaître est né le 23 novembre 1858 au hameau du Hamelet à Saint-Aubin sur Scie, canton d’Offranville, d’un père journalier qui ne sait pas signer et d’une mère fileuse. Il a plusieurs sœurs et un frère aîné Pierre Benjamin, né en 1854. Les deux frères sont soumis aux lois sur la conscription rétablie après la défaite de 1871, assortie d’un tirage au sort. A la suite du conseil de révision l’aîné n’est pas considéré comme bon pour le service actif en raison d’une hernie inguinale, ce qui lui permet de se marier deux ans plus tard. Il n’en est pas de même pour Médéric. Sur le registre de Rouen Nord de la classe 1878, Médéric a la fiche matricule 1330. Cette fiche nous donne une idée de son physique, c’est un homme d’1m68, aux yeux gris et aux cheveux bruns, sans signe particulier. Il est catholique, possédé les niveaux 1 et 2 d’instruction, c’est-à-dire qu’il sait écrire et lire. Il y est dit qu’au tirage au sort du canton d’Offranville, il a tiré le numéro 1, qu’il est bon pour le service actif et qu’il est incorporé le 20 décembre 1879. Il rejoint le premier régiment d’infanterie de marine. Ce régiment crée en 1822, qui a opéré à l’intérieur comme à l’extérieur : Mexique, Cochinchine est en garnison à Saint-Louis du Sénégal en 1878.
La fiche matricule nous dit sobrement décédé le 7 août 1881.
Pour en savoir plus il faut regarder la transcription dans le registre de Saint-Aubin-sur-Scie au début de l’année 1882 (acte n° 5) intitulée : « Jugement constatant le décès du sieur Lemaître . Transcription ». D’abord on remarque que c’est un jugement établi par le tribunal de 1ère instance de Saint Louis le 2 décembre 1881, donc près de six mois après le décès parce que l’acte de décès n’a pas été rédigé au moment du décès. Le jugement tiendra lieu d’acte de décès. On y apprend que Médéric, soldat du premier régiment de marine, est décédé à Bob Diara, camp militaire entre Saint Louis et l’embouchure du Sénégal pendant l’épidémie de fièvre jaune, le 7 août 1881. Le nom de cette fièvre, transmise par un moustique provient de la jaunisse qu’elle occasionne. Il n’existe alors pas de vaccin contre cette fièvre qui vous emporte un homme en l’espace de dix jours.
C’est sans doute à cause de cette épidémie qui a gravement touché son régiment que l’acte de décès de Médéric n’a pu être établi conformément à la règle par le capitaine commandant du poste militaire. En métropole on a eu connaissance de cette fièvre qui faisait peur par des articles dans les journaux mais il est peu probable que ces articles aient atteint le petit village de Saint-Aubin sur Scie. Le journal du XIX siècle publie le 26 août 1881 justement une correspondance de Saint-Louis du 8 août, le lendemain de la mort du jeune soldat. Il y est dit que 120 personnes sont mortes de cette épidémie dont 20 civils. Les soldats sont donc les plus concernés et en particulier le régiment d’infanterie de marine auquel appartient Médéric. Simple soldat il n’a pas l’honneur d’être cité dans les colonnes du journal mais, parmi les victimes, outre le gouverneur du Sénégal Louis Ferdinand de Lanneau, il est déploré la mort d’un chef de bataillon, de quatre capitaines et deux sous-lieutenants dans ce régiment. La nouvelle du décès de Médéric interviendra plus tardivement dans sa commune et son inscription dans les registres de Saint-Aubin-sur-Scie ne sera effectuée que le 19 février 1882.
Un autre Cauchois est décédé ce même été à Bop Diara de la fièvre jaune. Il s’agit Gustave Maret , né le 2 août 1858 à Gruchet Saint Siméon, canton de Bacqueville.
Celui-ci est boulanger, fils de boulanger et a un niveau 3 d’instruction, qui correspond à l’enseignement primaire. Ces deux-là ne devaient pas se connaître avant leur service militaire. Leurs deux communes d’origine ne sont éloignées que d’une quinzaine de kilomètres mais elles ne sont pas dans le même canton, toutefois on peut penser que la similitude de leur sort et leurs origines dans ce même coin de la Normandie les ont fait se rapprocher. Gustave décède quelques jours avant Médéric, au lendemain de son 23ème anniversaire.
Pour lui comme pour son camarade pas d’acte de décès mais un jugement de la même cour statuant le même jour. La transcription est encore plus tardive : 13 décembre 1882.
On ne sait si leurs dépouilles ont rejoint le pays de Caux.
Article de Martine Hautot
(Adhérente cgpcsm)
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Publier par Francis Renout
(Administrateur cgpcsm)