Epidémies de suette miliaire dans le Pays de Caux
par
popularité : 2%
Parfois, lorsqu’on fait une recherche pour retrouver les décès de nos ancêtres, on se demande pourquoi il y eut autant de morts concentrés sur une courte période. La curiosité nous pousse à vouloir en savoir plus. En cette période de coronavirus qui sème le trouble, on peut se remémorer les années difficiles que connurent nos anciens. Les virus existent depuis la nuit des temps
Au XIX ème siècle, un certain docteur Lefebvre, médecin épidémiologiste sur l’arrondissement d’Yvetot, intervient au cours d’une séance du 8 octobre 1850, à l’académie nationale de médecine, pour dire qu’il règne une épidémie de suette miliaire, dans la commune de Cailleville, depuis le mois de janvier.
En faisant le relevé des décès sur cette commune de 530 habitants sur trois années, on s’aperçoit qu’il y eut entre deux et trois fois plus de morts que d’habitude en 1850. On dénombre 40 décès entre janvier et octobre dont une majorité de jeunes enfants de moins de 10 ans, des adultes de moins de 25 ans et de personnes « âgées » de plus de 50 ans. A cette époque, le village fut confiné pendant un mois ! La dernière personne décédée est Jean Baptiste Romain Daverton, le 17 octobre, âgé de 73 ans, garde champêtre et fossoyeur.
On constate qu’à Saint Valery en Caux, cette maladie fit de nombreuses victimes en 1817 et en 1832. Cette observation fut faite par Charles Nicolas Morel, futur médecin, élève des hôpitaux de Paris, suite à une thèse présentée et soutenue à la faculté de médecine de Paris, le 26 juillet 1834, pour obtenir son grade de docteur en médecine. Il étudia cette maladie lors de ses vacances de 1832 et 1833, sous les auspices d’un médecin recommandable du lieu, le docteur Angot, âgé de 83 ans environ. Ce dernier, fils de médecin, veuf en 1809 de Marie Victoire Massif, décèda le 4 février 1833. Il fut aussi directeur de la poste aux lettres.
Charles Nicolas Morel, naquit le 29 juillet 1809, à Saint Valery en Caux. Ses parents étaient Jacques Charles, chevalier de la légion d’honneur et maître du port, et Marie Rose Ridel. Son aïeul paternel était charpentier de maisons. Il se marae le 6 février 1844, en ce bourg, avec Flore Joséphine Coquatrix, fille d’un ancien notaire.
Ce fut au rapport de Louis Le Pecq de la Clôture, en 1740 et 1741, que ce fléau connut sous le nom de milliaire, aussi nommé la peste de Normandie, porae ses ravages au centre de la contrée de Caux. Celui-ci était docteur agrégé en la Faculté de médecine de Caen et professeur de chirurgie. Il décèda à l’âge de 36 ans, en 1742. Son fils aîné Louis, né le 12 juillet 1736, suivit les traces de son père. Après ses études de médecine à Caen, il se rendit à Rouen, où il devint responsable de l’hôpital et des prisons. Il fut aussi médecin épidémiologiste et directeur de l’Académie des Sciences de Rouen.
A quelles causes attribuer la suette ? Regardons la topographie de cette ville au début du XIX ème siècle. Saint Valery en Caux est situé à quatorze lieues du Havre et six de Dieppe. Cette ville de cinq à six mille habitants occupe une vallée formée par la réunion de quatre vallons. Ses maisons sont construites en silex, disposées autour des quais, sur le rivage de la mer et sur la route du Havre. Dans le quartier « bohême », où se concentre une grande partie de la population, les maisons sont basses, à un étage, avec un seul appartement au rez de chaussée. La retenue qui sépare la ville neuve de l’ancienne contient beaucoup d’eau stagnante, où se dépose chaque jour des matières sablonneuses en suspension dans la mer, formant une épaisse couche vaseuse de dix à quinze pieds d’épaisseur. Dans l’angle sud-est de la retenue, se trouve un parc à huitres bordé de fleurs et d’arbustes. Comme dans tous les ports de mer, la principale occupation est la pêche. Les marins ont une vie dure et très active. On y voit aussi des négociants, des armateurs, des tonneliers, des charpentiers, des saleurs et bien d’autres professions.
Le port, le marais, les débris putréfiés des poissons, les saumures anciennes infectant l’air des rues et des habitations déjà humides et situées au dessous du sol, comme dans le quartier « Bohême » sont-ils la cause de cette maladie ? Ces circonstances doivent y contribuer, mais cette maladie s’attaque aussi aux bourgeois qui ne sont pas moins exposés que les autres habitants. Charles Nicolas observe qu’il y a une coïncidence particulière entre le souffle du vent du midi, chaud et sec, en juillet-août, et le développement de maladies graves.
Au cours des années 1830 à 1835, on constate des épidémies de grippe et de choléra au printemps ou en hiver. Les hivers glacials sont très venteux accompagnés de chutes de neige. Sur la Seine gelée pendant plusieurs semaines, des attelages circulent.
La suette miliaire survient en France entre 1712 (Montbéliard) et 1947. On la surnommait également suette de Picardie parce qu’elle était arrivée en France dans cette région, tout comme en Normandie d’ailleurs. Deux grandes vagues sont répertoriées en France : 1750-1780 et 1830-1870. Mais son nom le plus usité était suette miliaire parce que les irruptions cutanées qu’elle provoquait ressemblaient à des grains de mil. On ressentait alors de violents maux de tête et on était sujet à des sueurs abondantes (d’où son nom) possédant une odeur très caractéristique. En fait, les causes en sont toujours demeurées mystérieuses et la létalité (taux de mortalité) était, fort heureusement, moindre que lors d’autres épidémies. La convalescence était toutefois très longue et les morts se comptaient dans les populations les plus fragiles. Le corps médical était d’ailleurs très divisé sur ses causes, certes, mais surtout sur les soins qu’il fallait prodiguer aux malades. De cette incertitude naîtront de grandes paniques en raison de ce flou médical qui angoissait les populations concernées. Alors que la cohésion du monde médical aurait été une garantie de calme social, ces atermoiements ne feront qu’envenimer les choses.
En cas de maladie, nos ancêtres s’adressaient en priorité à Dieu et à ses saints qui avaient tous une spécialité, comme saint Laurent pour les brûlures et sainte Apolline pour les maux de dents. Les maladies les plus courantes étaient aussi très souvent soignées par des recettes de "bonne femme" dont les plantes ont longtemps été les composants exclusifs, et les colporteurs faisaient recette avec leurs drogues miracles. Ce n’était qu’en dernier ressort qu’il était fait appel à un homme de l’art qui pouvait alors être le médecin, le chirurgien, le rebouteux ou parfois même le sorcier, ces deux derniers n’étant parfois qu’un seul et même personnage ! Les guérisseurs, nom aussi donné aux rebouteux, étaient interdits par une loi de 1792 qui ne devait pourtant pas empêcher ceux-ci d’exister même encore actuellement. Pendant très longtemps, les médecins, appelés mires au Moyen Age, possédaient des connaissances médicales très limitées et ne pratiquaient couramment guère que trois thérapies, à savoir les saignées, les purges et les clystères.
La suette disparut dans les années 1950, évoque une maladie infectieuse, peut-être virale ; mais malgré les recherches, son germe n’a jamais été identifié.
F.Renout
(Administrateur cgpcsm)
R
Sources :
Charles Nicolas Morel (dissertation sur la suette miliaire-1834)
Article de la dépêche du midi
Recherches diverses (Jacques Patenôtre)