Drame à Jumièges en 1668

jeudi 30 janvier 2020
par  Francis RENOUT
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Au hasard de mes recherches, sur les archives de Seine Maritime est relaté par le prêtre de l’époque, un fait divers assez courant, au vu de la configuration des lieux.

En effet, le 9 décembre 1668 à Jumièges, sont inhumés cinq jeunes gens, tous originaires du lieu, morts noyés dans la « rivière » la Seine. La veille, de retour de la messe, le samedi 8 décembre, jour de la fête de l’Immaculée Conception, ceux-ci en trop grand nombre pour la petite barque, se noyèrent sans que personne ne puisse leur porter secours. Ces jeunes gens étaient âgés entre 15 et 22 ans.

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Guy de Maupassant disait de ce fleuve : « c’est en effet le plus sinistre des cimetières, celui on l’on a point de tombeau »

Jumièges, situé dans un méandre du fleuve, était, jusqu’à la Révolution, l’une des trois paroisses formant la baronnie du même nom, domaine direct de l’abbaye. Puissant centre monastique au Moyen Âge, c’est dans cette ville que se dresse les plus belles ruines de France.

Cette fête de l’Immaculée Conception située dans le calendrier au 8 décembre, neuf mois avant la fête de la Nativité de Marie est la date « supposée » de la conception de Marie, depuis 1477, par décision de Sixte IV. Un grand nombre de paroissiens devaient assister à cette messe, car autrefois, la religion rythmait la vie de nos ancêtres.

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Parmi eux, il y avait Marin (° le 28/02/1645) et Jacqueline de Longuemare (°10/09/1646) , âgés respectivement de 22 et 19 ans, frère et sœur aînés d’une famille de six enfants dont Valentin, Jean, Noël et Catherine ; leurs parents, Valentin et Marie Chantin, s’étant mariés le 24 mai 1644 à Jumièges.

Concernant l’autre famille, il y avait Nicolas et Catherine Dehors, âgés de 15 et 19 ans, frère et sœur d’une famille de cinq enfants dont Jacques, Pierre et Françoise ; leurs parents Pierre et Marie Chaillou, s’étant aussi mariés au même lieu, le 26 novembre 1644.

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On note aussi la présence de Marie Chaillou, âgée de 19 ans, née le 10 novembre 1649, fille de Raulin et de Marguerite Bertin. Celle ci avait une sœur puînée née le deux octobre 1651, prénommée Marguerite.

Concernant trois d’entre eux, on peut supposer qu’ils ont un lien de famille. Je parle des familles Dehors et Chaillou. Nicolas et Catherine Dehors, Marie Chaillou étaient sans doute cousins ! Quant à la famille de Longuemare, peut-être avait-elle un lien avec le prêtre qui officia lors de leur messe d’inhumation ?

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Que s’est-il passé ce jour là ? Y avait-il trop de monde sur la petite embarcation qui chavira ? Ces jeunes gens plein de vie étaient-ils en train de chahuter ? Un geste malheureux peut en être la cause et la chute dans l’eau fut inexorable ! On peut aussi se demander s’ils savaient nager ? Finalement, on peut se poser beaucoup de questions mais la réponse est enfouie au fond du temps qui passe. Comme disait Charles Trenet : « Quoi que l’on dise, quoi que l’on fasse, le temps s’enfuit et tout s’efface ».

La mort accidentelle dérange et demande une enquête. Un prêtre ne procédera jamais à une inhumation si un mandement de l’autorité ne lui permet ou lui ordonne d’enterrer le cadavre et non le corps. C’est lui que l’on avise en premier de la découverte du cadavre et qui envoie l’information aux autorités, c’est à dire à la vicomté de l’eau. Ceux-ci interviennent le jour même suivant leur secteur d’attribution.

La noyade est dans les paroisses riveraines, et de loin, la première cause de mort accidentelle. Bien que les premiers touchés soient les bateliers, les pêcheurs, des marins de navires qui remontent le fleuve, des personnes qui font la traversée sur un bachot, on trouve des riverains qui utilisent ce mode de déplacement pour traverser d’une rive à l’autre. Les habitations ne sont jamais très loin de la Seine dont la rive borde directement la cour des masures ce qui entraîne la noyade des jeunes enfants.

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Selon des statistiques émanant des fonds de la vicomté de l’eau, ce sont les mois entre juin et septembre qui sont les plus meurtriers. Il y a quatre fois plus de noyés que sur les autres mois de l’année. L’âge moyen est de 25 ans et en majorité des hommes (91%).

Autrefois, à Jumièges, on bénissait un cierge fixé sur une planchette, qu’on laissait dériver au gré des courants et qui était censée s’arrêter près du cadavre. A quoi servait cette pratique ? On considérait les noyés non retrouvés, comme des morts suceptibles de venir hanter les vivants.

Autres faits divers dus à la noyade à Jumièges :

Le 14 mai 1747 est inhumé un homme inconnu, retrouvé noyé dans la Seine, dont le cadavre était à moitié consumé. Après enquête, on sut qu’il s’agissait de Nicolas Créant, disparu depuis trois mois. En effet, sa fille Anne, habitant Canteleu, avait signalé sa disparition, pensant à la possibilité d’une noyade.

Le 3 juin 1777 est inhumé Jean Bouquet, âgé de 28 ans, journalier, retrouvé noyé. On trouve un descriptif physique de la personne ainsi que vestimentaire.

Le 19 Septembre 1779 est inhumé Pierre Fleury, âgé de 18 ans, originaire du Mesnil, « noyé et jeté par les vagues sur le rivage », suivant le récit du prêtre.

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Le 24 février 1782 est inhumé Jean Baptiste Brignault, âgé de 36 ans, employé dans les fermes du Roy. Celui-ci fut reconnu par Mathurin Tougard, son beau-père et par Nicolas Tougard, son oncle. Il gisait noyé dans le trou des Hogues, formé par la rivière, au hameau de Conihut. De peur que le cadavre ne soit emporté par le courant, ils l’attachèrent à un poteau enfoncé dans la vase.

Pendant ce temps, à cette époque, sous le règne de Louis XIV, après la fronde qui a divisé le pays, le 7 décembre 1668, loin de ce drame, le marquis de Saint Maurice écrit ce qui suit au Duc de Savoie : « Le Roi a été cette semaine à Versailles ; il en doit revenir aujourd’hui. Il mena peu de monde avec lui, personne n’y a pu aller sans congé ; les dames ne sont pas néanmoins demeurées ici. » 

F,Renout
(Administrateur cgpcsm)
R

Sources :
Acte d’inhumation des registres paroissiaux de Seine Maritime, vue 21.
Base de données Généacaux. (recherches sur les familles)
Jean Pierre Dérouard (amis du musée de la marine de seine)


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