Drame de la mésentente conjugale

lundi 26 novembre 2018
par  Francis RENOUT
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En avril 1756, Madeleine Cavelier, femme de François Dampierre, laboureur à Limésy, fut trouvée morte dans l’écurie, aux pieds des chevaux, dont un était détaché du râtelier.

On voyait, auprès d’elle, une fourche dont le manche était brisé. François Dampierre, fermier à la ferme du sieur Lenouvel, au hameau de Beaudouville, était allé, ce jour-là au marché de Pavilly, et, dès le matin, il avait envoyé son valet de ferme à Yerville, à une lieue de là. Lorsque Dampierre revint, le soir, à Limésy, tout y était en rumeur.

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Ses trois petits enfants en bas âge, François 7 ans, Jean Baptiste 4 ans et Joseph 2 ans, sans doute témoins inaperçus d’une horrible scène, avaient dit à qui avait voulu les entendre, que "papa avait tué maman derrière les dadas". Il est facile d’imaginer les sentiments que de tels propos avaient inspirés à tous les habitants du village. On dit à François Dampierre en quel état sa femme avait été trouvée, il parut aussi surpris qu’affligé, se rendit à l’écurie, et, voyant le cadavre étendu aux pieds des chevaux, éprouva ou feignit une vive émotion, et parut se trouver mal. Il sembla persuadé, il soutint que sa femme avait été tuée par celui des chevaux que l’on avait trouvé détaché.

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Les officiers de justice, les médecins qui vinrent constater l’état du cadavre n’admirent point cette explication ; le corps portait plusieurs marques de coups. Les propos des enfants indiquaient assez la main qui les avait portés. Rien, d’ailleurs, n’était plus notoire dans le pays que la mésentente des deux époux, causée, disait-on, par la jalousie de la femme qui accusait son mari d’intrigues adultères avec une voisine. Souvent François Dampierre avait frappé sa femme, souvent on l’avait entendu lui adresser d’horribles menaces.

Après la visite des officiers et des médecins, Monsieur Jean Baptiste Robert Delorme, conseiller du roi, commissaire enquêteur, examinateur civil et criminel au bailliage de Rouen, fit arrêter François Dampierre.Celui-ci fut conduit à Rouen, et une procédure s’instruisit contre lui.

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Fidèle d’abord à son système de dénégation, il soutint longtemps que sa femme n’avait pu être tuée que par le cheval qui avait été trouvé détaché. Enfin, ayant recouru au chapitre de Rouen dans l’espoir d’obtenir la fierte, (Privilège de la saint Romain), devant les chanoines députés pour l’interroger il fut plus sincère ; mais, sans doute, il ne dit pas tout encore.

Il reconnut que c’était lui qui avait, par vivacité, donné à sa femme deux coups du manche de sa fourche dans le ventre, coups dont elle était morte à son grand étonnement. Il protesta qu’il n’avait pas eu l’intention de la tuer, qu’il n’avait agi que par l’effet d’un premier mouvement de colère, excité par les injures atroces qu’elle lui adressait, et qu’il s’en était allé à Pavilly, bien éloigné de croire qu’elle mourrait des coups qu’elle avait reçus.

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Privilège de la Saint Romain :

http://www.rouen-histoire.com/Saint-Romain/Privilege.htm

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Ces explications satisfirent les chanoines ; quoique prévenus que, s’ils jetaient les yeux sur ce misérable, le parlement n’agréerait pas leur choix, et qu’ils devaient songer à en élire un autre. Ils passèrent outre, persuadés que s’il arrivait quelque opposition de la part du parlement, Mr. De Luxembourg, qui protégeait François Dampierre parce que le frère de cet accusé était brigadier dans ses gardes, aurait le crédit d’en triompher. Ils élurent donc ce mari meurtrier de sa femme.

Amené devant le parlement, François Dampierre reproduisit les explications dont le chapitre avait bien voulu se contenter ; mais elles n’eurent aucun succès auprès de ces magistrats aguerris. L’énormité du crime les avait pénétré d’horreur. « Ils considérèrent, et c’est M. De Miromesnil, premier président, qui nous l’apprend, que ce serait donner un exemple dangereux, que d’accorder la grâce à un homme qui, étant seul avec sa femme, lui avait donné la mort.

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François Dampierre ayant tout nié devant le premier juge et tout confessé pour obtenir le privilège de saint Romain, ils pensèrent qu’il y avait lieu de présumer qu’après avoir tué sa femme, il avait lui-même placé le cadavre près des chevaux, et en avait détaché un, pour que l’on crut que c’était cet animal qui avait tué la malheureuse. De plus, le jour du crime, il avait dès le matin envoyé son domestique à une lieue de chez lui, sous prétexte de lui donner une commission ; lui-même était allé à un marché voisin, où il avait passé tout le jour et n’était revenu que le soir.
Toutes ces circonstances donnèrent lieu de penser qu’il pourrait y avoir eu dessein prémédité. Dans cette incertitude, le parlement déclara François Dampierre indigne du privilège, et fit dire au chapitre, suivant l’ancien usage, que s’il voulait, sur-le-champ, en élire un autre, la cour le jugerait.

Le chapitre, blessé du refus du parlement, répondit qu’il persistait dans son élection, et qu’il n’entendait point en faire une nouvelle. François Dampierre fut reconduit à la prison du bailliage où il était détenu, et le premier juge continua l’instruction de son procès. Le chapitre se pourvut en cassation au conseil contre l’arrêt du parlement qui avait déclaré François Dampierre indigne du privilège.

Magdeleine Cavelier, âgée de 42 ans, fut donc inhumée à Limésy, le 10 avril 1756 entourée de parents et amis, dont Pierre Dampierre, son beau-frère, Pierre Racine et Charles et Jean Baptiste Cavelier.

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Le couple Dampierre / Cavelier s’était marié le 27 août 1746 à Grémonville, ayant obtenu une dispense de mariage de Rouen, pour consanguinité au 3 ème degré.
François était plus jeune de 9 ans par rapport à son épouse. Né le 12 septembre 1725 à Yerville, il était fils de François, laboureur, et de Marie Guérin. Quant à Magdeleine, née le 12 septembre 1713 à Carville la Folletière, elle était fille de Charles et de Marie Magdeleine Dampierre.

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De leur union naquirent trois fils ; François le 7 juillet 1749 à Grémonville, Jean Baptiste le 26 mars 1752 à Limésy et Joseph le 7 octobre 1754 à Limésy. Ces trois jeunes enfants durent assister de nombreuses fois aux scènes de ménage de leurs parents, puis, au dernier moment à la mort de leur maman. Au moment du drame, ils furent même laissé seuls par leur père et durent avertir le voisinage.

Par la suite, ce fut Pierre Dampierre, frère de François, tisserand, qui obtint la garde de ses neveux puisqu’on le retrouve mentionné "tuteur" au mariage de son neveu François, en 1775.

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Joseph, le dernier des fils, mourut le 26 janvier 1758, âgé de 3 ans, à Saint Martin aux arbres, au domicile de son oncle Pierre.

Tout laisse à supposer que les parents de François Dampierre, François et Catherine, vivaient dans le même lieu, à la ferme, au hameau de Beaudouville, à Limésy. Ils étaient décédés quelques temps avant le drame ; Catherine le 4 juin 1753 et François, âgé de 80 ans, le 23 décembre 1755 au même lieu.

Malgré quelques recherches, je n’ai pas trouvé ce que devint François après son procès ! Peut être a t-il put échapper à la peine de mort, grâce au privilège de la Saint Romain, et finit-il ses jours en prison ou au bagne !

F.Renout
(Administrateur cgpcsm)

Sources :
1) histoire d’Amable Floquet en 1833
2) base de données Généacaux et archives départementales


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