Des brigands Cauchois pendant la période révolutionnaire

lundi 17 septembre 2018
par  Francis RENOUT
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La crise de l’An III (1794-1795), due aux troubles révolutionnaires et à des hivers les plus terribles du siècle, provoqua, comme de coutume, une effroyable crise de misère : le chômage, « la cherté des grains », « la disette du pain » et l’exode massif des villes vers les campagnes. Des groupes de mendiants parcouraient notre région du Pays de Caux à la recherche de nourriture. Ceux-ci opéraient surtout la nuit et pénétraient dans les fermes. Quelquefois, ils se montraient menaçants.

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En bref, un certain nombre d’actes de brigandage semblaient correspondre à des hausses périodiques du prix des grains, génératrices de mécontentement et de misère. comment devenait-on brigand ? En dehors des malheurs individuels (invalidité, maladie, mort des parents ou du conjoint), c’étaient surtout les crises politiques et économiques qui provoquaient des déracinements collectifs.

Par contre, ces groupes de mendiants n’étaient rien à côté d’autres bandes plus redoutables, armées et disposant de chefs, de véritables brigands, qui ont semés la terreur dans nos campagnes : c’était les chauffeurs de pieds ou de pâturons.

La plupart du temps, ils agissaient masqués. Pour tromper la vigilance de leurs victimes, ils se déguisaient en mendiants, couverts de haillons, en paysans, en soldats mourant de faim, en prêtres même parfois, ils s’habillaient en gendarmes qui prétendaient rechercher des réfractaires ou des déserteurs.

Leurs armes favorites étaient généralement les fusils à deux coups, les pistolets de poche ou espagnols avec garniture d’argent, mais aussi des armes tranchantes (sabres, haches, poignards, baïonnettes) ou quelquefois des bâtons ferrés.

Ils s’introduisaient dans les habitations, généralement de nuit, soit par la force (fausses clés, passe-partout, madriers pour briser les portes), soit « par ruse et par finesse » ; dans ce cas, ils pouvaient imaginer des supercheries : réclamer quelques secours pour un malade pour forcer la porte d’un presbytère, ou bien invoquer la blessure d’un cheval pour s’introduire dans une ferme.

Ils s’en prenaient aux puissants (propriétaires nobles ou bourgeois, marchands ou négociants), mais aussi aux faibles, c’est-à-dire les classes populaires dont ils aggravaient la misère générale.

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Quel était le butin de leurs rapines ? Pour reprendre les formules de l’époque, les brigands s’intéressaient à « tout ce qui leur était nécessaire » et « finalement à tout ce qu’ils pouvaient trouver ». Parmi les produits de leurs vols figuraient l’argent - la prise la plus recherchée - les petits objets de valeur (bijoux, montres, vaisselle d’argent ou d’étain, cuivre), les vêtements et le linge usuels, les produits et les denrées alimentaires (céréales, pommes de terre, pain, viandes salées et surtout charcuterie), les volailles et plus rarement des moutons et des chevaux.

C’est donc, au hameau de Tessy, au sud est d’ Ouville la Rivière, hameau séparé du village et très proche d’Ambrumesnil, que la bande du célèbre brigand François Duramé commirent un de leurs méfaits. Né vers 1759, c’était un ancien tisserand du village de Bondeville (Notre dame de Bondeville actuellement). Ce nom de Duramé, en quelques années, était devenu la terreur du pays. Voir son histoire sur un de mes articles :

http://www.geneacaux.net/spip/spip.php?article263

Le bourg d’Ouville la Rivière se trouve dans la vallée de la Saâne, un peu avant son embouchure. Trois rivières traversent Ouville la rivière : la Saâne, le Monceau et le Clapet. Ce dernier est alimenté par le lac du château, lui-même alimenté par une source qui donne une eau très limpide. La présence de ces cours d’eau explique le nom du village, mais aussi le nom que l’on pouvait trouver au siècle dernier sur les cartes postales : Ouville-les-Trois-Rivières.

De la cavée Sainte-Apolline jusqu’au Tessy s’étend un bois qui longe la route d’Offranville.

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Ces brigands avaient l’habitude de s’introduire la nuit chez les gens et leurs brûlaient les pieds sur les braises de la cheminée pour leur faire avouer où ils cachaient leurs économies. Les individus dont nous parlons étaient au nombre de 13 ou 14. Presque tous avaient des chevaux, sauf deux ou trois seulement qui paraissent suivre à pied.

Une nuit, le 15 février 1794 (27 pluviose de l’an II), ils arrivèrent devant la gentilhommière du comte et de la comtesse de Milleville, au hameau de Tessy, à Ouville la Rivière. Dans ce hameau se trouve un manoir datant de 1582, à la place d’un château plus ancien dont les fondations et anciennes traces ont été mises au jour par d’anciens propriétaires. C’est donc certainement en ce lieu que se déroulèrent les faits suivants.

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Les propriétaires avaient pris l’habitude de s’enfermer chez eux le soir venu. Sur le coup de 21h, ils entendirent frapper à leur porte. Une voix cria dehors : « Au nom de la loi, ouvrez ! ». Le comte fit entrer les deux officiers de la force publique qui le rudoyèrent. Ils se disaient chargés de faire une perquisition afin de savoir s’il n’entretenait pas de correspondance avec les émigrés.

Tandis que les deux gardes commençaient à vider les tiroirs des meubles, des hommes dépenaillés et affublés d’un masque firent irruption dans la demeure. En peu de temps, ils garrottèrent le propriétaire sur une chaise et le déchaussèrent. Des bûches brûlaient dans l’âtre. Ils approchèrent la chaise, mais ils entreprirent d’abord d’ouvrir tous les meubles et les vidèrent de tout ce qui les intéressait. Ils confectionnèrent ensuite des ballots avec des couvertures pour emmener leur butin. Ils s’emparèrent de quatre couverts d’argent et quatre montres, dont une à répétition, deux bracelets fins, et deux bagues avec une assez grande somme d’assignats.

Deux hommes traversant sa cour au moment ont été tirés par ces scélérats, heureusement ils n’ont point été atteints.

Ils cherchaient surtout des bijoux et demandèrent à la comtesse où ceux ci pouvaient se trouver. Elle leur répondit qu’ils pouvaient la torturer mais qu’ils n’obtiendraient pas de renseignements. Ils l’emmenèrent donc pour la « chauffer » quand un coup de fusil retentit à l’extérieur. Ils entendirent : " A la raille ! A la raille ! ". C’était le signal d’alarme des bandits entre eux. Ils s’enfuirent sans emporter tout leur butin.

Les propriétaires de ce manoir, à l’époque, étaient Pierre Louis de Milleville et Marie Aimable Françoise de Beaunay, seconde épouse du comte.Ceux-ci s’étaient mariés le 7 juillet 1789 à Rouen, paroisse Sainte Croix Saint Ouen.

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Pierre Louis de Milleville, écuyer, seigneur de Béthencourt, Gaillarbois et autres lieux, fils de Pierre et de Marie Charlotte le Senechal, est né le 1 décembre 1727 à Auberville sur Eaulne, paroisse d’Envermeu. Il eut trois frères et une sœur. Il se maria en premières noces avec Anne Françoise Charlotte Leblond de la Villedubois, le 30 janvier 1782 , à Rouen, paroisse Saint Godard. Il décéda le 19 mars 1813 à Ouville la Rivière, âgé de 85 ans.

C’est dans ce contexte que se situe « l’affaire des brigandages » et l’’arrivée du Représentant du Peuple en mission Siblot, envoyé par la convention nationale.

En février 1794, on signala au Représentant du Peuple en mission Siblot des vols, des attroupements suspects dans les Districts de Cany, Gournay et Dieppe. Siblot était convaincu qu’il s’agissait d’un complot en liaison avec la Vendée. Il organisa la répression, les arrestations, le déplacement du Tribunal Criminel à Dieppe pour y juger les coupables.

Extraits de la lettre de Siblot, Représentant du Peuple :

30 Pluviôse An II 18 février 1794

« Aux administrateurs du District Révolutionnaire de Dieppe
Je viens d’être informé, citoyens, qu’il s’est commis dans votre district et celui de Cany des brigandages d’un genre très inquiétant. Des hommes se disant envoyés par les administrations du district parcourent les campagnes, se font ouvrir les portes des maisons, s’emparent des personnes exerçant envers elles des violences, brisent les armoires et dérobent tout ce qu’ils trouvent.
Les mêmes brigands se déguisent en mendiants, pillent le pain, les légumes, les volailles et tout ce qui tombe sous leurs mains. (...) Leur but, n’en doutez pas, est d’exciter des mouvements partiels pour grossir leur nombre de tous les malveillants, les aristocrates et les fanatiques, et d’établir dans votre département un nouveau théâtre de guerre civile.
Il est de la plus grande importance pour étouffer dans le principe ce germe de contre révolution, la moindre erreur dans les combinaisons et le moindre
retard dans l’exécution des moyens énergiques et révolutionnaires qu’il convient
d’employer, pourraient causer les plus grands malheurs. Rappelez-vous que c’est de la même manière qu’a commencé la malheureuse guerre de la Vendée, qui a coûté tant de sang et d’or à la République.
Je vous invite, Citoyens, à employer tous les moyens que la loi met en votre pouvoir pour faire arrêter les brigands et les livrer à la justice nationale. Je compte sur votre sincère attachement à la République, sur la promptitude et la sagesse de vos mesures, et vous invite à ne me rien laisser ignorer de tout ce qui se passera dans cette affaire importante.
Salut et Fraternité
( Siblot )

De la Révolution au milieu du XIXème siècle, les moyens de répression ne changèrent pas sensiblement. La gendarmerie créée par le décret du 16 février 1791 pour remplacer l’ancienne maréchaussée, demeurait la principale force d’intervention, aux effectifs encore très faibles. Certes, les gardes nationales, création révolutionnaire, pouvaient être d’une aide précieuse dans la lutte contre le brigandage. Mais au fil des années, l’enthousiasme des gardes nationaux s’émoussa, à tel point qu’ils « murmuraient » ou refusaient même de se rendre aux convocations des maires, lors des battues organisées contre les brigands.

F,Renout

(Administrateur cgpcsm)

Sources : Claude Féron (livre sur Longueil), revue Quiquengrogne 2005, société d’histoire de Revel saint Férréol et archives départementales


Documents joints

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