Naufrage sur les côtes de Fécamp en 1784

dimanche 21 janvier 2018
par  Francis RENOUT
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Yves Duboys Chesnay relate un fait divers qui m’a interpellé :

le 12 décembre 1784, naufrage d’un bateau de pêche de Fécamp, monté par 24 hommes, se perd corps et biens en rade de Fécamp

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Aucunes explications concernant le bateau, le négociant ou l’armateur, les noms des marins et les circonstances de ce drame ne nous sont parvenus.

Poussé par la curiosité, j’entrepris des recherches sur les archives en ligne pour espérer retrouver la trace de ses marins disparus.Celles-ci ne furent par vaine comme je vais vous l’expliquer un peu plus loin dans l’article.

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Voyons le contexte de l’époque, vers la fin du XVIII ème siècle :

Les guerres de Louis XIV ont brisé l’essor Fécampois et la reprise se fait progressivement au XVIIIe siècle. En 1764, deux navires seulement partent sur les bancs de Terre-Neuve pour la pêche à la morue ; seize marins vont moins loin, pêcher le hareng et le maquereau le long des côtes du Pays de Caux. Il y en eut jusqu’à 56 en 1788 pour la pêche aux harengs.

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La pêche au XVIII ème siècle en Manche et en Atlantique :

https://www.histoire-genealogie.com/La-peche-au-XVIIIo-siecle-en

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Le recrutement se faisait en général à Fécamp, c’est pourquoi on retrouve parmi cet équipage des habitants de Sassetot le Mauconduit et principalement de Saint Pierre en Port. Des noms de famille que l’on retrouve fréquemment dans nos généalogies.

On peut donc supposer que ce bateau composé seulement de 24 personnes venait de partir pour aller pêcher le hareng ou qu’il revenait au port bien chargé. Ce qui me fait dire que c’était le hareng, c’est parce que nous étions en décembre et que c’était un petit équipage. Il faut dire que la pêche à morue est à part. A la différence des pêches dérivantes ou côtières, les hommes partaient longtemps en mer : Globalement entre mars et octobre, soit 5 à 7 mois. Quand à la pêche aux harengs, celle-ci était en plein essor entre 1781 et 1789.

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Quelles sont les circonstances concernant ce naufrage ? Nous savons simplement que ce bateau se trouvait entre Fécamp et Étretat , pas très loin de la rade de Fécamp.

L’entrée d’un navire dans le port de Fécamp a toujours été réputée pour être de manœuvre délicate, surtout par gros temps et mer agitée ; les navires, avant d’atteindre la passe plutôt étroite, ont à franchir un courant latéral côtier assez fort qui peut les déporter tantôt en marée montante vers le Trou au Chien, tantôt en marée descendante sur la plage ; pour neutraliser l’effet du courant, il est préconisé de rentrer soit à l’étale pour les navires à voiles soit « à plein gaz » pour les navires à moteur, la manœuvre étant plutôt rapide et intense ; de nombreux marins en ont malheureusement fait les frais, autant les marins fécampois et même ceux confirmés que surtout les novices et tous ceux qui rentrent ici pour la première fois ; de nombreux incidents et aussi accidents eurent donc lieu à cet endroit.

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Par contre, les marins qui tombent dans ces eaux glacées, empêtrés dans leur équipement n’ont guère de chance de survie même s’ils sont repêchés.

Il faut savoir qu’à cette époque, l’espérance de vie d’un marin de la pêche est courte, bien inférieure à celle d’un marin du commerce, et leurs femmes sont veuves en moyenne à 36 ans.

Voilà quelle a été la vie, courte et dure, de centaines de milliers de Normands, nés dans les ports et leur arrière pays : Granville, Fécamp, Dieppe, Honfleur

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Revenons à notre naufrage et à nos marins qui composaient ce bateau :

Parmi cet équipage se trouvait un maître de bateau du nom de Charles Monnier domicilié à Sassetot le Mauconduit, des mousses âgés de 9 à 15 ans et des marins âgés entre 24 et 52 ans.

Pourquoi des enfants si jeunes me direz vous ? Les mousses étaient nombreux dans les équipages et aux XVI ème et XVII ème siècle, certains ont à peine huit ans ! En général, les parents sont bien contents de ne plus avoir à les nourrir. D’autre part, la cuisine était faite sur les bateaux par les mousses de treize à quinze ans.

Sur l’acte d’inhumation d’un marin, je trouvais le nom du négociant de ce bateau.C’était Jacques Angot, domicilié à Saint Valéry en Caux, une famille de notable du lieu, marchand puis négociant de père en fils.Tout laisse à supposer qu’il s’agit de Jacques Philippe Angot, né vers 1732, marié à Clotilde Picard le premier août à Croixmare. Celui-ci est décédé le huit février 1793 à Saint Valéry en Caux.

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Quand au maître d’équipage, Charles Monnier, celui-ci est né le 19 novembre 1752 à Sassetot le Mauconduit, paroisse où il s’est marié le quatre octobre 1784 avec Barbe Guéroult, neuf semaines seulement avant son décès en mer, âgé seulement de trente deux ans. Il est fils de Charles, matelot et de Marie Anne Allais.

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Concernant les mousses :

Jean Lefebvre, âgé de neuf ans fut retrouvé le 14 décembre sur les rivages d’Étretat.Il était le fils de Jean et de Marie Robert de Saint Pierre en Port.

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Michel Robert, marinier, âgé de 15 ans, fut retrouvé de la même façon le 14 décembre à Étretat.

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Pierre Jacques Bailleul, marinier, âgé de 15 ans, fut quand à lui retrouvé le treize décembre sur les rivages de Saint Valéry en Caux. Il était originaire de Saint Pierre en Port.

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Concernant les marins :

Deux furent retrouvés noyés sur le territoire d’Élétot :

Jean François Soudry, le premier février 1785, soit six semaines après le naufrage.Son corps fut transféré à Saint Pierre en Port selon la demande de son père Jean Baptiste.

Jean Lhomet, marinier, 51 ans, transféré à Saint Pierre en Port.

Pierre Nicolas Monnier, 24 ans, fut retrouvé échoué sur le rivage des grandes dalles à Sassetot le Mauconduit le 29 janvier 1785. Il était cousin du maître d’équipage Charles Monnier. Pierre Nicolas est né le 15 décembre 1760 à Sassetot le Mauconduit et fils de Nicolas et de Marguerite Bretel.

Michel Berton, âgé de 37 ans, retrouvé échoué sur le rivage de Saint Pierre en Port le premier février 1785.

Jean Robert, marinier, 52 ans, originaire de Saint Pierre en Port, fut retrouvé sur le rivage de Senneville sur Fécamp le 1 février 1785. Il fut reconnu par sa femme et sa fille.

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Nicolas Robert, marinier, originaire de Sassetot le Mauconduit, 40 ans, fut retrouvé sur le rivage de Veulettes sur Mer le 1 février 1785.

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Jean ?? (nom illisible), originaire de Saint Pierre en Port, 30 ans, marinier, fut retrouvé le 1 février 1785 sur le rivage de Veulettes sur Mer.(acte 52 des archives)

Pierre Allican, originaire de Saint Pierre en Port, fut retrouvé le 15 décembre 1784 sur les rivages de Criquebeuf en Caux.

Pierre Fiquet, reconnu par ses habits, 32 ans, originaire de Saint Pierre en Port, fut retrouvé le 1 février 1785 à Saint Léonard.

On retrouve d’autres cadavres non identifiés ou avec peu de renseignements sur la même période :

Sur Fécamp, paroisse Saint Nicolas, furent retrouvés deux personnes noyées le 10 janvier 1785 (vue 11) et le 15 décembre 1784.(vue9). La 3ème personne était Pierre Perquier, marinier, décédé le 29 janvier 1785 (vue 12)

Sur Senneville sur Fécamp, fut retrouvé un homme inconnu, noyé, âgé de 18 ans, le 30 janvier 1785.

Sur Saint Valéry en Caux, Jean Ledun fut retrouvé sur le rivage le 31 janvier 1785.

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Sur les 24 membres d’équipage, je retrouve donc 14 marins et mousses concernant ce tragique naufrage. Si on considère les quatre personnes « inconnues », cela porte le chiffre à 18. Quand aux autres, soit ils furent échoués plus loin sur d’autres rivages ou emmenés en mer. On constate aussi que certains ne furent retrouvés que le 1 février 1785, soit plus de six semaines plus tard. On peut comprendre toutes ces familles de marins dans la peine et le désarroi.

Seul regret, je n’ai pas retrouvé à ce jour, le nom de ce bateau.

F,Renout
(administrateur cgpcsm)

Sources diverses dont Yves Duboys Fresnay


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