Naufrage du trois mâts « Frances Fischer »

vendredi 1er mars 2019
par  Francis RENOUT
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Le 16 novembre 1909, à 18h15, un trois-mâts barque, paraissant désemparé, a été aperçu du sémaphore à Saint-Valery-en-Caux.

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Comme il semblait avoir l’intention de rentrer dans le port et qu’il s’approchait des jetées, le courant l’a dévié et il s’est échoué sous le sémaphore. A ce moment-là, on pouvait apercevoir de la grève, que les huniers, les perroquets et les focs étaient lacérés, la grande voile, la misaine carguées. On voyait une large brèche sur la hanche du tribord arrière.PNG - 726 koToute la voilure était déchirée et le gouvernail s’était détaché. Des sauveteurs sont partis par la terre pour aider l’équipage à débarquer. Ils ont été stupéfiés de voir qu’il n’y avait personne à bord. Les autorités maritimes sont venues et ont trouvé le nom du bateau : Frances Fisher, sans le nom du port d’attache. Avertis à Fécamp, les douaniers en ont fait l’inventaire.

Il ne manquait que la baleinière que l’équipage avait prise pour évacuer le bord. La viande était sur le fourneau ; la soute aux vivres était approvisionnée. Le remorqueur fécampois Hercule ne put le renflouer. Quelques jours plus tard, le 21 novembre, les renseignements arrivèrent d’Angleterre. Jaugeant 1 359 tonnes, construit en 1885, chargé de 2000 tonnes de coke, parti de Newcastle vers le Chili, il était dirigé par le commandant John Jones. Suite à une tempête, il avait été abordé en manche par un vapeur anglais « le Dalmatia », dans les parages du feu de Sovereign sur les côtes anglaises. Son équipage était parti sur l’abordeur.

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Le 23 novembre 1909, une équipe anglaise est arrivée à Saint-Valéry-en-Caux. Elle a débarqué du Frances Fisher des provisions et des valeurs, qu’elle a emmené avec des chevaux pour les mettre à l’abri dans les rochers. Pour soulager le Frances Fisher 500 tonnes de charbon ont été jetées à la mer.

Le 28 novembre, une nouvelle tentative de renflouement fut engagée. On réussit à sortir le navire d’une trentaine de mètres de l’endroit où il gisait.

Le 29 novembre, affrété par les Anglais, un remorqueur dunkerquois a pu le tirer et l’emmener à Dieppe, malgré les courants forts au cap d’Ailly. Devant son état incertain de navigabilité, l’entrée du port de Dieppe lui fut refusée. Il fut alors échoué près de la jetée ouest. Après examen, les assurances ont renoncé au sauvetage ; la cargaison et l’épave seront vendues.

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Le 5 décembre 1909, battue par la récente tempête, qui avait fait tomber les mâts, l’épave a été mise en pièces. Le bruit s’était soudain répandu, dans la matinée, que l’administration de la Marine avait décidé d’abandonner au pillage le bois et le charbon provenant du naufrage du voilier Frances Fisher. Le dimanche, les Dieppois accoururent avec des voitures à bras chercher des bois de démolition et du coke.

Pour la petite histoire, un employé de l’Octroi fut envoyé pour percevoir, auprès de chacun des « récupérateurs », la somme de 15 centimes, droit habituellement perçu, pour introduction en ville du combustible. La confiance régna de nouveau, et, cette fois, chacun se faisant cette réflexion toute naturelle que si l’administration percevait, c’est qu’on avait le droit de ramasser.

À midi, il ne restait plus de bois, mais il y avait encore à grappiller. Le coke que transportait le voilier s’était éparpillé sur le rivage. Il avait été depuis recouvert de galets mais, avec un peu d’effort, on pouvait le retrouver.

C’est ainsi que tout l’après-midi durant, on put voir des travailleurs creuser le galet pour dégager le coke dont ils remplissaient ensuite des mannes qu’ils s’étaient procurées, on ne sait où. Or, le lundi, un représentant de la maison de Dunkerque qui avait entrepris le sauvetage du Frances Fisher se présenta aux bureaux de la Marine, demandait à parler à Monsieur l’administrateur Téphany et, une fois en sa présence, l’informait qu’il venait de déposer une plainte en règle contre les pilleurs.

Le dimanche suivant, le 8 décembre 1909, Monsieur Moore, sauveteur propriétaire de l’épave du voilier retira sa plainte. À vrai dire, il ne le fit pas spontanément, mais sur les instances de Monsieur Robert Delarue. Celui-ci était à Dieppe le représentant de la Lloyd’s, l’assureur du Frances Fisher, pour le compte duquel monsieur Moore avait engagé les opérations de sauvetage.

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Monsieur Robert Delarue était dieppois, et même un bon dieppois qui aimait non seulement sa ville mais aussi ses concitoyens. Et quand il vit les conséquences que l’acte de baraterie de dimanche pouvaient avoir pour nombre de braves gens qui ne s’étaient pas bien rendus compte de ce qu’ils avaient fait, et surtout pour certains fonctionnaires coupables d’un peu d’incurie, monsieur Robert Delarue pria monsieur Moore de retirer sa plainte et, pour l’y décider, s’engagea à le dédommager personnellement du préjudice qui lui avait été causé.

Voilà donc qui est arrangé. Ceux qui avaient fait, ce dimanche, des provisions de bois pouvaient se chauffer sans remords.

Francis Renout
(Administrateur cgpcsm)

Sources :

1) Daniel Lefebvre, historien local

2) la saga des épaves du Pays de Caux

3) revue « connaissances de Dieppe », articles des journaux de l’époque.

4) Cartes postales et photos ; Jean Pierre Riès et Yves Romain


Documents joints

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