Cadavre trouvé noyé dans "la rivière" de Seine

samedi 15 décembre 2018
par  Francis RENOUT
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En l’an de grâce 1768, le 14 septembre, fut trouvé sur la paroisse d’Ambourville, le cadavre d’un inconnu, noyé dans la rivière la Seine.

Ambourville est un petit village situé dans les méandres de la seine. L’une de ses ressources est le halage des bateaux à bras d’hommes ou bien avec les chevaux qui tiraient les amarres durant la traversée d’une paroisse. Le remplacement se faisait à la limite de la paroisse voisine et ainsi de suite. Les autres revenus sont l’élevage d’animaux courants de toutes les fermes, la pêche, la culture de céréales et autres légumes ainsi que la vigne et l’osier pour la fabrication de paniers contenant les fruits abondants au bord de Seine.

http://www.traitsensavoie.fr/spip.php?article358

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Quelques années auparavant, une anecdote reste ancrée dans les esprits : le 22 avril 1755 une servante aurait été assaillie par quantité de sangsues au bord de la mare du Rond et serait décédée quelques heures après.

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La Seine est au XVIII ème siècle, un fleuve difficilement navigable et dangereux. L’estuaire, dont les ports et les criques naturels s’ensablent régulièrement, charrie des bancs de sable mouvants qui rendent difficile le passage. Le 6 janvier 1767, la gelée fut si forte que le cours du fleuve fut arrêté en entier. La glace épaisse permettait de traverser à pied sec.

Mais revenons au cadavre découvert : suite au mandement délivré par le conseiller du Roi de la vicomté de l’eau de Rouen et de la réquisition du procureur du Roi, Mr Boudin, le curé du lieu, en présence de plusieurs paroissiens dont François Leroux et Robert Masson, procéda à l’inhumation du corps dans le cimetière du lieu.

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En effet, le corps que l’on trouva « flottant » ou « échoué sur le rivage », visiblement mort depuis longtemps, amena la procédure la plus courante. Il ne devait pas être retiré de l’eau avant qu’une autorité judiciaire ne l’eut visité. Il était, pour cela, attaché à un pieu, à un saule ou à un bateau, le plus souvent par un membre pour que le courant ne l’emporte pas. Etait ensuite avisé le curé qui envoyait un exprès à l’autorité qui procédera à l’enquête, le plus souvent le même jour si la découverte avait eu lieu assez tôt. La Vicomté de l’eau avait normalement le monopole des enquêtes de Rouen à Villequier

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Mais qui était donc ce fameux cadavre ? Comment était-il vêtu ? Y avait-il des signes distinctifs permettant de le reconnaître ?

« un cadavre attaché par la jambe droite avec une corde liée à un piquet de bois enfoncé dans la terre pour retenir ledit cadavre... ». Il fallait en effet que les enquêteurs puisse le retrouver.

Arrivés sur le lieu où se trouve le corps, généralement en compagnie d’une petite troupe de curieux, les enquêteurs le font retirer de l’eau et le Vicomte procède à sa description : hauteur, couleur des yeux et des cheveux, signes particuliers, pièces de l’habillement et objets trouvés dans les poches. Les médecins examinent ensuite le cadavre, qu’ils ont fait déshabiller, pour voir s’il ne porte pas de traces de violences antérieures à la chute dans l’eau. En leur absence, ils estiment que le corps est « tombé vivant dans l’eau » et que la mort est due à la « submersion » (nous n’avons pas trouvé de cas où ils concluent le contraire). Le Vicomte interroge ensuite les personnes présentes afin de savoir si elles ont « quelque connaissance dudit cadavre ». Dans la négative, il donne mandement au curé de l’inhumer comme inconnu. Les vêtements, à moins qu’ils ne soient en trop mauvais état, du noyé et les objets trouvés sur lui sont emportés à la Vicomte de l’eau pour servir en cas d’une éventuelle reconnaissance ultérieure.

L’enquête à laquelle se livre la Vicomte n’est a priori pas facile. Le fleuve déplace le cadavre, l’emmène loin du lieu de l’accident et de ses proches qui pourraient le reconnaître. Cela diminue les possibilités de témoignages.

La mise en terre a généralement lieu le même jour que l’enquête : c’est que les corps des noyés ne sont généralement pas de toute fraîcheur .

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Toujours est-il que le 20 septembre 1768, soit une semaine plus tard, suite aux conclusions du procureur du Roi, il fut reconnu que le cadavre retrouvé en Seine, était celui de Jean Baptiste de Bosc Henry.

Jean Baptiste de Bosc Henry, chevalier et seigneur de Plainville, paroisse de l’Eure, chevalier de l’ordre royal et militaire de Saint Louis, ancien capitaine au régiment de Monaco, demeurait en son château et paroisse de Plainville.

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Que faisait-il en cet endroit éloigné de 17 lieues de ses terres ? Ce que l’on sait, c’est qu’il mourut assassiné, puis jeté dans la Seine. Sur le registre, le prêtre ne signala aucune marque suspecte sur le cadavre !

Suite à la teneur du mandement, Marc Antoine Nicolas Cauvin de la Cavinière, conseiller du Roi en la Vicomté de l’eau à Rouen, assisté de Mr Jacques Pierre Lambert, avocat en la cour en l’absence du procureur, en conséquence de la requête, présentée le 19 septembre, par Marguerite Suzanne De Ragayne De Tallonay, épouse de Jean Baptiste de Bosc Henry, stipulée et présentée par messire Claude Jean Baptiste de Ragayne, chevallier et seigneur de Tallonay, son frère, ordonna l’exhumation et examen du cadavre.

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Les chirurgiens sont-ils à même de déceler les morts suspectes ? Le 14 septembre 1768, les médecins estiment que le cadavre examiné à Ambourville est mort des suites de noyade et délivrent le permis d’inhumer. Il faudra son exhumation, le 20 du même mois, pour qu’on le reconnaisse pour le sieur de Plainville assassiné et jeté dans le fleuve quinze jours auparavant. Les chirurgiens attestent que le mort est « suffoqué dans l’eau », mais rien n’indique que personne ne l’ait aidé à « tomber vivant à l’eau » ni qu’il ne s’y soit pas jeté volontairement : assassinat et suicide peuvent trouver dans le fleuve une impunité presque assurée.

L’histoire nous révélera que Jean Baptiste de Bosc Henry fut assassiné pour vol et précipité ensuite dans le fleuve.

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La vicomté de l’eau :

https://fr.wikipedia.org/wiki/Vicomt%C3%A9_de_l%27Eau

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Suite à la requête de la famille ci-dessus nommée, le décès fut transcrit sur les registres de la paroisse de Plainville, afin de permettre aux enfants mineurs de Jean Baptiste de Bosc Henry d’y avoir recours en cas de besoin.(vue 267)

Biographie de la famille du Bosc-Henry :

On trouve ici la famille qui aura sans doute eu le plus d’importance pour la commune de Plainville. Le premier de la lignée fut Jean du Bosc-Henry qui a rendu hommage au fief de Plainville en 1577, celui-ci fut aussi baron de Drucourt (ses enfants reprendront la seigneurie de ce village par la suite).

Son frère Philbert (ce nom apparaît dans les recherches de généalogie mais le nom de Philippe apparaît dans certaines œuvres) reprit probablement la seigneurie à sa suite et sa descendance en garda la possession.

Cela commença par son fils Robert, il ne posséda sûrement pas longtemps le fief étant donné qu’il mourut en 1648 seulement 3 ans après Philbert (1645). Son fils Jean-Baptiste, né en 1647, dut reprendre la seigneurie dès qu’il en fut d’âge avant de mourir en 1684. François, né en 1675 fut son héritier et ne dut passer le flambeau que très tard étant donné qu’il ne mourra qu’à l’âge de 92 ans soit en 1767.

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Enfin la dernière génération de seigneurs de la famille fut plus abstraite, Esprit-Jean-Baptiste qui était communément appelé chevalier de Plainville, capitaine du régiment de Monaco et a qui l’on doit probablement la construction du château actuel (daté de 1754)

Lors du dépôt de ses bans de mariage en 1752 avec Marguerite Suzanne De Ragayne De Tallonay, il est décrit comme seigneur de Plainville, son père lui laissa donc probablement le fief bien avant sa mort. Cependant entre 1768 et la Révolution, il n’y a pas de trace d’un réel seigneur.

Esprit Jean Baptiste, né le 26 août 1713 à Plainville, fils de François de Bosc Henry et de Marie Antoinette des Perriers, se marie le 14 février 1752 à la Genevraie (Talonnay) avec Marguerite Suzanne de Ragayne de Talonnay. Le couple eut cinq enfants dont un fils et quatre filles entre 1753 et 1763.Le fils, Jean Baptiste Charles fut Mousquetaire noir de la garde du Roy et Seigneur de Plainville

Son père François décédait à l’âge vénérable de 92 ans , le 6 juin 1767 à Plainville, quinze mois avant son fils.Sa mère, Marie Antoinette, suivit d’un mois son mari, puisqu’elle devait décéder le 26 juillet 1767, âgée de 82 ans.

Plainville se situe à l’Ouest du département de l’Eure dans le Lieuvin et le canton de Bernay.

F,Renout
(Administrateur cgpcsm)

Sources :

Archives de Seine Maritime :Acte d’inhumation de la commune d’Ambourville

Archives de l’Eure : acte de requêtes et ordonnance

Gilbert Fromager (histoire du village d’Ambourville)

Véronique Hauguel (Denoville, capitaine à Caudebec en caux)

Jean Pierre Dérouard (amis du musée de la marine de Seine à Caudebec en caux)

Wikipédia (histoire de la famille de Bosc Henry)


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