Travaux forcés pour vol de trois chemises au XIX ème siècle

vendredi 15 juillet 2022
par  Francis RENOUT
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Au début du XIX ème siècle, la justice n’était pas tendre envers ses concitoyens ! Voici les faits qui furent reprochés à trois femmes et le jugement qui s’ensuivit.

Nous sommes dans le courant d’octobre 1822, à Saint Valery en Caux, petit bourg du Pays de Caux. Aimée Marguerite Angot, fileuse, âgée de 35 ans et Madeleine Thierry sont surprises en train de voler trois chemises. Dans le même temps, Aimée Marguerite Angot et Françoise Marguerite Christioche, 52 ans, font une tentative de vol dans un magasin du lieu, à l’aide de fausses clés.

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Toutes trois sont arrêtées et sont mises à la disposition du juge. Le jugement est rendu le 24 mars 1825. Les sentences sont les suivantes : six ans de travaux forcés pour Aimée Marguerite Angot, cinq ans de travaux forcés pour Françoise Marguerite Christioche et un an de prison pour Madeleine Thierry.

A cette époque, la criminalité féminine présente un caractère très occasionnel. Les crimes reprochés sont des vols dans la majorité des cas. Souvent dus à leurs conditions de vie précaire, ces vols sont commis par nécessité. La nature des objets volés consiste souvent en biens de consommation et en argent. On perçoit chez ces personnes une grande fragilité sociale avec un niveau d’instruction assez faible.

Au cours de cette période, les femmes et les filles forment une population spécifique au sein du monde pénitentiaire. En effet, les condamnées aux travaux forcés ne vont pas dans les bagnes, mais dans des maisons centrales, avec les autres catégories pénales. Ce régime particulier se fonde sur leur inaptitude aux travaux pénibles effectués par les bagnards. Toutefois ces derniers exécutent leur peine « au grand air » ; tandis que les femmes sont enfermées et astreintes à un travail obligatoire, avec de strictes conditions de détention.

Qui étaient ces trois femmes ?

Concernant Aimée Marguerite Angot, celle-ci est née le 25 avril 1789 à Saint Valery en Caux. Elle est la fille de Jacques Angot, capitaine de vaisseau de l’état, et de Cécile Rose Grenier, qui se sont mariés le 4 octobre 1785, au même lieu. C’est une famille de marchands depuis le XVII ème siècle. Son grand-père Jean Philippe, époux de Marguerite Massif, est un adjoint de la nouvelle municipalité installée le 12 frimaire de l’an IV (3/12/1795). Il est considéré comme notable et membre de la commission des subsistances. Aimée Marguerite qui exerce le métier de fileuse, restera célibataire.

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Concernant Françoise Marguerite Christioche, celle dernière est née le 18 décembre 1772, à Saint Valery en Caux. Elle est la fille de Jean et de Marie Anne Françoise Caperon qui se sont unis le 17 févier de la même année, au même lieu. Son parrain est Jean Philippe Angot, grand-père d’Aimée Marguerite. Elle naît dans une famille de marins qui habite la rue Saint Léger. Elle se marie le 17 nivose de l’an VI (06/01/1798) avec Jacques Alexandre Gigot. En cette année 1798, Jean est marin et Françoise Marguerite est fileuse. Un fils, Jacques Alexandre, va naître le 22 septembre 1808, à Boulogne sur Mer.

Concernant Madeleine Thierry, je ne retrouve aucun renseignement la concernant. Est ce son nom de famille ? Celui de son époux ?

Où furent effectuées les peines de prison :

Agée de 53 ans, Françoise Marguerite Christioche décède le vendredi 12 août 1825, à Gaillon, dans l’Eure soit seulement quatre mois après la date de la sentence. Sur l’acte de décès, les témoins sont Christophe Joseph Huyon, 35 ans et Louis Félix Bonvallet, 55 ans. Tous deux sont gardiens à la maison centrale de détention de Gaillon. La transcription sur les registres de Saint Valery en Caux est faite le 31 décembre 1825.

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(Château de Gaillon)

Suite à un décret, cette maison centrale de détention de Gaillon a été ouverte le 3 janvier 1812, dans l’ancien château donné par Saint Louis aux archevêques. A la révolution française, le château était la proie des pilleurs. Il devient alors propriété de l’état. C’est alors que le préfet de l’Eure, Barthélémy François de Chambaudoin, propose d’y établir la maison centrale.

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Elle accueillera plus de 500 condamnés des deux sexes dans les anciens bâtiments. En 1817, on aménage un premier atelier de tissage. Dans ces ateliers seront aussi fabriqués des chaussons, des chaises, des tapis, de la peausserie, brosserie et cordonnerie. En 1820, un quartier correctionnel pour mineurs et un quartier pour les femmes sont ouverts. Dans ce lieu, d’après le docteur Vingtrinier de Rouen, on constate 614 décès entre 1817 et 1825. En 1839, les dernières femmes prisonnières du lieu partent de Gaillon. La prison fermera définitivement en 1901.

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(Fenêtre de prison)

A partir de 1803, des maisons centrales sont ouvertes sur tout le territoire français. Installées dans d’anciens biens nationaux : abbayes, citadelles, châteaux, ces maisons centrales accueillent les condamnés à l’emprisonnement correctionnel de plus d’un an, les condamnés à la réclusion criminelle et les femmes condamnées aux travaux forcés. A partir de 1812, les personnes condamnées habitant les départements de l’Eure, de la Somme, de la Seine Inférieure, de l’Orne et de l’Eure et Loir seront amenées et incarcérées au château de Gaillon.

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(Prisons du château de Gaillon)

Les archives de la Maison centrale de Gaillon, pour le XIXe siècle, constituent les sous-séries 2Y et 43 YP à 47 YP. En particulier, sont conservés les registres d’écrou de 1816 à 1899 (cotés de 43 YP 1 à 27). Les registres matricules, quant à eux, sont conservés de 1816 à 1867 (44 YP 1 à 9).

Le château prison de Gaillon :

https://journals.openedition.org/rh19/6450

Historique du château de Gaillon :

https://www.eure.gouv.fr/content/download/13225/82796/file/11%20Historique%20complet%20du%20Ch%C3%A2teau%20de%20Gaillon.pdf

Les remparts de Gaillon :

http://remparts-de-normandie.eklablog.com/les-remparts-de-gaillon-eure-a130707430

Le 12 janvier 1826, Jacques Alexandre Gigot, alors veuf, se marie en secondes noces avec Suzanne Réalan. Agé de 61 ans, il décède le 25 mars 1830, dans le quartier des marins, sis rue Saint Léger, à Saint Valery en Caux.

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(Rue Saint Léger Saint Valery en Caux)

Aimée Marguerite Angot, après avoir purgé sa peine, reviendra à Saint Valery en Caux, son village natal. On a trace d’un legs de 600 francs effectué au bureau de bienfaisance de la ville par une certaine Aimée Marguerite Angot. Etait-ce la même personne ? Restée célibataire, elle décède le 16 février 1843, sise cavée des écros.

Qu’est devenue Madeleine Thierry ? On ne le saura peut-être jamais ! Victor Hugo disait : « Ceux qu’on appelait les petits, les sans grades, ont formé l’immense majorité des hommes et des femmes, qui à leur manière et dans l’ombre, ont forgé l’histoire. Pourtant, à l’inverse des grands de ce monde, ils ont laissés peu de traces dans les manuels scolaires, disparaissant tout aussi vite de nos mémoires. Généalogistes et historiens ont fait sortir de l’oubli la vie de nos ancêtres. Au fil de leurs recherches, nous les voyons travailler, aimer, souffrir, en un mot : vivre  »...

F.Renout
(Administrateur cgpcsm)
R
Sources :

Virginie Despres (femmes et filles envoyées en prison entre 1822 et 1850)
Marc Renneville (le château prison de Gaillon)
Archives départementales de Seine Maritime
Généacaux (Base de données)


Documents joints

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