Des bandes de mendiants écument les campagnes du Pays de Caux

jeudi 22 février 2018
par  Francis RENOUT
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Autrefois, il n’y avait ni Sécurité Sociale, ni caisse de retraite ; nos ancêtres travaillaient très au-delà de 60 ans ; quand ils le pouvaient. Par exemple, une veuve, tout en conservant son domicile, et bien qu’ayant des enfants, mais très pauvres, pouvait être amenée à mendier pour pouvoir survivre.

Une maladie, une mauvaise récolte pouvaient très rapidement faire basculer la vie d’un ancêtre proche de la misère, et le transformer en mendiant.

Plus qu’une profession à proprement parler, il s’agissait d’une activité, reconnue, qui permettait à la personne de vivre, souvent parce que sa condition ou sa santé ne lui permettaient plus de travailler, et qu’elle se trouvait seule.

On trouve même parfois des testaments passés par des mendiants, voire quelques contrats de mariage entre mendiants.

Il faut se remettre dans le contexte d’une époque où l’économie se vivait en autarcie et où « un sou était un sou » (source1)

Nos ancêtres travaillaient souvent très dur et jusqu’à un âge avancé. Une maladie , une infirmité, une mauvaise récolte, un manque de solidarité familiale et bien d’autres aléas les forçaient à avoir recours à la mendicité pour survivre et faire vivoter la famille car l’image du mendiant, sans logis et coupé de toutes relations familiales n’est pas tout à fait juste.

L’activité de mendiant était reconnue comme une profession respectée. Dans la société médiévale les mendiants n’étaient pas rejetés. De tous temps, il y a eu des personnes nécessiteuses, infirmes condamnées à mendier dans la rue ; les communautés urbaines et villageoises les ont plutôt protégées. Les mendiants recevaient nourriture et hospitalité selon des principes bien établis. (2)

Bien que la mendicité soit de toute époque, il y eu une recrudescence de mendiants pendant les années 1783 à 1789 dans le Pays de Caux.

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Contexte climatique :

En ces années 1783 à 1785, les hivers sont très froids et accompagnés de fortes chutes de neige, la terre est gelée jusqu’à 60 cm de profondeur pendant trois mois consécutifs. Il y a de fortes crues de la Seine. Le bois de chauffage vient à manquer, le froid sévit partout dans notre région, ce qui a pour conséquence le décès d’un grand nombre de personnes.

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Pendant les années suivantes entre 1787 et 1789, les conditions météorologiques ne sont pas meilleurs.

L’automne 1787 est pourri et les semailles sont mauvaises. Le printemps 88 est très chaud, d’où l’échaudage des blés. Les orages violents d’août abîment les moissons. Il pleut et grêle presque tout l’été, et l’automne est tout aussi désastreux, il en résultae des moissons tout à fait insuffisantes.

L’hiver arrive et, en Normandie la température descend a -23°C, il gèle dés le 25 novembre et jusqu’au 13 janvier. Pour se chauffer, les gens dévastent plusieurs forêts. La seine reste gelée pendant un mois, l’épaisseur de glace atteint 60 cm, la famine règne : des bandes faméliques ravagent la région quoique les religieux viennent en aide aux plus malheureux. L’ été 1789 est très chaud.

A cela s’ajoutent des épidémies de grippe et de pneumonie.

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Contextes économique :

Ces conditions climatiques désastreuses amenèrent à une crise économique dramatique pour le Pays de Caux et en France en général. Tout ceci provoqua des hausses du prix du blé et du pain, hausses qui atteignirent 50%, puis 100%. Or le pain était à cette époque l’aliment principal, le doublement de sa valeur fut donc très mal accepté.

En 1785, une épizootie avait frappé le bétail et plus de la moitié du cheptel avait disparu.

L’existence matérielle du paysan était encore assez misérable, même à la fin de l’ancien régime. Son habitation était tout à fait insuffisante. La plupart des maisons étaient bâties en torchis, couvertes de chaume ; une seule chambre basse, sans plancher ; de petites fenêtres, sans vitres.

Des problèmes économiques freinaient également le bâtiment et de nombreuses autres activités artisanales et agricoles, principalement le textile.

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De très nombreux Cauchois, aux ressources modestes, pratiquaient en dehors de leurs activités agricoles le tissage à domicile pour le compte de manufactures, tandis que leurs femmes et leurs filles filaient ou tramaient, c’est-à-dire préparaient les trames pour le tisserand. On tissait le lin que l’on cultivait sur place. Il était travaillé par les écoucheurs ; la laine que fournissaient les moutons épars sur le plateau, et le coton importé. La plupart des tisserands cauchois étaient froquiers ou fabricants de froc, tissu léger et assez grossier fait de laine ; d’autres étaient toiliers ; quelques uns étaient siamoisiers, ou fabricants de siamoise. Cette activité secondaire, lorsqu’elle ne devenait pas principale, permettait aux gens sans grande fortune de vivre décemment.

Quel était que ce métier d’écoucheur ? Ecoucher le lin, le chanvre, c’est frapper la filasse avec une baguette, dite écouche, pour en faire tomber les fragments de la tige qui y sont restés adhérents.

Mais à la suite du traité de commerce signé en 1786 avec l’Angleterre, les marchandises anglaises produites industriellement, donc moins chères, concurrencèrent les produits français et entraînèrent une crise aiguë dans l’industrie textile, d’où la mise au chômage de près de 200.000 ouvriers.

Les Anglais avaient pris, en effet, une avance considérable dans l’industrie textile grâce à diverses inventions : le métier à tisser de John Wyatt en 1738, perfectionné en 1770 à l’aide de la force hydraulique par Richard Arkwright, un seul ouvrier peut alors faire 120 fils ; la navette volante de John Kay qui permit d’accroître dès 1773 la largeur des tissus et enfin le métier à tisser, mû par une machine à vapeur, inventé en 1785 par Edmund Cartwright.

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Les salaires étaient relativement faibles, les conditions de vie difficiles et, très fréquemment. A la moindre maladie du père la famille sombrait dans la misère et pouvait même quelquefois être réduite à la mendicité.

Les cahiers de doléances mettent également en lumière la crainte constante de la famine, ou simplement de la disette. Le Pays de Caux souffrit tout particulièrement de sévères famines en 1788 et 1789.

Ce sont les journaliers qui sont le plus atteints par les crises, les disettes, les épidémies, et ils forment le principal contingent des mendiants et vagabonds.

A tout cela s’ajoutait toutes sortes d’impôts.

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Sans doute peut-on voir dans cette situation l’une des causes de l’accroissement considérable de la mendicité et du vagabondage. Des bandes de mendiants, sans cesse plus nombreuses, erraient de ferme en ferme, de paroisse en paroisse, toujours implorantes, parfois menaçantes. On constate alors des attroupements nocturnes qui amènent la terreur et le trouble dans les maisons.

Cette population, qui semble assez nombreuse, nous est surtout connue dans les registres par les actes de décès, mais on la rencontre également dans les mariages et en conséquence dans les naissances.

L’état crée les dépôts de mendicité, en 1764, pour réprimer le vagabondage et la mendicité. Toutefois la situation s’aggrave et ce sont les crises de subsistance de la fin du XVIII ème siècle, qui provoquent l’agitation de la population, et qui aboutissent à la Révolution.

La Révolution de 1789 fut un tournant décisif. Les hommes devenaient égaux « Liberté, Égalité, Fraternité » Les sans-culottes décrétèrent que la mendicité n’était que la conséquence d’une société exploitée par une Monarchie despotique et tyrannique. Les pauvres devaient dorénavant faire l’objet d’une sollicitude et de toute la solidarité nationale.

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Le Directoire instaura un Décret du 27 Novembre 1796 concernant l’ouverture de bureaux de bienfaisance dans les principales villes du pays. Ces établissements avaient pour but de procurer des secours en nature et en nourriture à tous nécessiteux.

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Anecdote cauchoise :

En l’an de grâce 1785, le 24 mai, à Hattenville, paroisse de Caudebec en Caux, une louve monstrueuse qui faisait des ravages depuis quinze jours, se jeta sur un mendiant. Un habitant du lieu, nommé Cuvier, vint à son secours en attaquant la louve. Celui-ci la terrassa en enfonçant une main dans la gueule et en la serrant à la gorge avec l’autre. Le mendiant, pendant ce temps, demanda du secours à un voisin. Ce dernier acheva l’animal à coups de hache.(source3)

A propos de la mendicité on peut consulter l’ouvrage suivant :

Vagabonds et mendiants dans les campagnes au nord de Paris dans le premier tiers du XVIIIe siècle Par Jérôme Luther Viret :

https://www.cairn.info/revue-annales-de-demographie-historique-2006-1-page-7.htm

F. Renout - administrateur cgpcsm)

Sources :

Texte de : Jean Bernard LAURENT - Généalogiste professionnel à Saint Bel (1)

Le métier de mendiant par Marie-Jeanne Durand Saint Omer (2)

Journal historique et politique du 4 juin 1785 (3)

Cahiers de doléances du bailliage de Cany


Documents joints

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