Exhumation pénible d’une fillette âgée de huit ans

dimanche 10 avril 2022
par  Francis RENOUT
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En parcourant les registres paroissiaux de Luneray, je fus surpris à la lecture d’un acte d’inhumation. Celui-ci mentionnait l’exhumation d’une fillette âgée de 7 ans et huit mois, deux semaines seulement après son inhumation. Cette histoire, ou plutôt ce scandale regrettable et pénible pour la famille, se produisit moins de vingt ans avant la révolution, le 29 juillet 1771.

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Pourquoi le prêtre vicaire de l’époque, Jacques Romain, fit-il opposition à la première inhumation en date du dimanche 14 juillet ? Pourquoi obtint-il un ordre de réquisition du lieutenant du bailliage, établi par le sieur Robert Merre, premier huissier au bailliage d’Arques ?

Des éléments mentionnés sur l’acte d’inhumation, on retient ce qui suit : la fillette est l’œuvre de parents issus du mariage prétendu de Nicolas Lardant, tisserand, et d’Anne Collin, fileuse, religionnaire de la paroisse de Luneray.

On comprends donc, que ce couple, fait partie de la religion prétendue réformée et qu’ils sont protestants.

A luneray, la réforme protestante se développe au sein de la petite bourgeoisie et des tisserands.

Le protestantisme en Normandie :

https://museeprotestant.org/notice/le-protestantisme-en-normandie/

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La tolérance restait encore très précaire à la fin du XVIII ème siècle. Dans la longue période qui va de la révocation de l’édit de Nantes à la Révolution, les inhumations furent souvent l’occasion de scènes très pénibles. Bien que toujours interdites au début de ce siècle par les édits, les inhumations protestantes, avaient lieu clandestinement et étaient tolérées. La cérémonie très simple avait lieu souvent au cours de la nuit. Le corps était emmené dans un endroit écarté : une cour, dans un jardin ou à l’ombre d’un petit bois enclos de murs attenant à l’habitation principale. Le corps était déposé décemment dans une fosse comblée au plus vite. Pour éviter toute manifestation indécente, on prenait soin d’effacer toute trace extérieure de l’endroit de l’inhumation. Cet endroit n’était connu que de quelques personnes de la famille du défunt.

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Une loi du 9 avril 1736, complétée en 1768, permettait aux protestants d’obtenir un permis régulier d’inhumer leurs morts, la nuit, après une déclaration de décès faite au bailliage par deux témoins. Cet acte était dressé au greffe du bailliage du décès des religionnaires.

Cependant, concernant cette affaire, on sait que le père obtint l’autorisation du lieutenant général civil, près du bailliage, de procéder à l’inhumation de sa fille dans le lieu ordinaire réservé à ceux faisant profession de la religion réformée. L’enfant fut inhumée dans le cimetière protestant, conformément à la première autorisation donnée. Ce lieu se nommait le clos Philippot ou Flipo et continua à être utilisé après la révolution comme cimetière protestant officiel. D’autre part, cela n’empêcha pas les familles qui avaient réservé une parcelle de terrain , pour le repos de leurs défunts, de continuer à le faire.

Le prêtre vicaire ayant obtenu gain de cause auprès du bailliage mit l’affaire en justice. La cour donna raison au prêtre. En conséquence, l’exhumation eût lieu et le corps, remis dans le cercueil à découvert au prêtre, reçu les cérémonies de l’église et fut inhumé dans le cimetière catholique, en présence de Gilles Michel Gloria, clerc de la paroisse et de Joseph Lardant, tisserand, oncle de la défunte, qui signent.

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La raison retenue par le tribunal fut que l’enfant, étant âgée de 7 ans et 8 mois, devait à cet âge, conformément aux édits en vigueur, être élevé dans la religion catholique. Malgré des situations de ce genre, de plus en plus rares, les idées de tolérance gagnaient chaque jour du terrain.

Cette petite fille, dont le repos éternel fut troublé, se nommait Catherine Marie Rose Lardant. Elle était née le 24 octobre 1763 et fut baptisée catholiquement le lendemain 25 octobre.

Sous le règne de Louis XV et de Louis XVI, la répression se fit moins sévère et en 1787 fut signé un édit de tolérance. En 1788, un édit de Louis XVI ordonna la création de cimetières pour les non catholiques. Malgré l’existence du cimetière communal pour tous, des familles protestantes ont continué à inhumer leurs morts dans les cimetières familiaux et ce, encore de nos jours, près de trois siècles après la révocation de l’édit de Nantes.

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L’édit de Nantes fut promulgué en 1598 mais l’origine des cimetières protestants remonte bien avant, au début du protestantisme. La religion réformée étant illégale, de 1685 à 1787, les morts n’avaient pas droit aux sépultures dans le cimetière paroissial exclusivement réservé aux catholiques. A partir d’une déclaration de 1736, les autorités ont fini par fermer les yeux, dès que les morts étaient signalés par écrit. Apparemment, ce ne fut pas le cas pour le prêtre vicaire de Luneray !

Dépouillement des registres des temples de Luneray et Bacqueville par Daniel Lardans :

https://huguenots-france.org/france/normandie/caux/luneray/luneray.htm

F.Renout
(Administrateur cgpcsm
R

Sources :
Acte d’inhumations des registres paroissiaux des archives de Seine Maritime
Paul Collen (Luneray à travers les âges)


Documents joints

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