Les naufragés du vaisseau de la marine royale « le Bourbon »

vendredi 7 octobre 2022
par  Francis RENOUT
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En consultant les registres paroissiaux de la ville de Saint Valery en Caux, on retrouve trois actes concernant des services d’inhumation à l’égard de trois marins du lieu décédés en mer sur le vaisseau de guerre « le Bourbon ».

Ces trois marins valeriquais se nommaient : Adrien Bachelet, François Rigoult et Nicolas Plé. Ces services d’inhumation ou plutôt ces simulacres d’enterrement, faits par le prêtre Ridel, entre le 12 et le 16 juin 1741, sans les corps des disparus, servaient au repos des âmes de ces marins disparus en mer. Sans ces actes transcrits sur les registres paroissiaux, ces personnes auraient définitivement disparus de nos mémoires.

Quelques informations permettent de poursuivre l’enquête : le nom du vaisseau de guerre « le Bourbon » et le nom du capitaine commandant ce navire ; nom malheureusement difficilement exploitable !

« Le Bourbon » est un navire de guerre français en service de 1719 à 1741, portant 74 canons sur deux ponts. Comme d’autres vaisseaux de guerre de la marine royale, lancés pendant les vint-cinq premières années du règne de Louis XV, il reste le plus clair de son temps à quai. Vingt ans après son lancement, en 1739, « le Bourbon » appareille enfin pour sa première mission. Vaisseau de commandement du marquis d’Antin composé d’une division de quatre navires, ils partent à destination de la mer baltique, pour une représentation diplomatique, auprès des cours de Suède et du Danemark. Cette mission va durer de mai à septembre 1739.

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(Le Bourbon)

En 1740, l’Espagne demande de l’aide à la France. Le cardinal de Fleury envoie aux Caraïbes, une escadre de 22 navires de guerre, sous les ordres du vice-amiral le marquis d’Antin. Les vaisseaux partent de Brest en septembre 1740. La même année, sous les ordres de César Louis Boulainvilliers de Croy, capitaine, le vaisseau « le Bourbon » rejoint aux Antilles l’escadre du marquis d’Antin, nommé Antoine François De Pardaillan de Gondrin, officier de marine, vice-amiral de France, commandant de la flotte du ponant, à Brest, de 1737 à 1741. Il combat sans succès la flotte britannique dans le cadre de l’intervention française dans le conflit anglo-espagnol mais oblige les anglais à suspendre leurs opérations. Les français affaiblis par les maladies tropicales (fièvre jaune) et le manque d’approvisionnement, restent le plus souvent en rade de Saint-Domingue.

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(arbre généalogique de François de Pardaillan de Gondrin)

Guerre de l’oreille de Jenkins :

https://wikimonde.com/article/Guerre_de_l%27oreille_de_Jenkins

Le 7 février 1741, le marquis d’Antin appareille pour la France, laissant aux Antilles la division du chevalier d’Espinay. Le navire « le Bourbon » fait partie de l’escadre de retour.

Le 12 avril 1741, au retour des Antilles, à la hauteur d’Ouessant, le vaisseau fait beaucoup d’eau, suite aux dégâts occasionnés par une forte tempête. Le vaisseau se retrouve séparé de sa flotte. Il devient alors impossible de faire fonctionner les pompes. Se rendant compte que le navire est perdu, César Louis Boulainvilliers, fait mettre à l’eau la chaloupe et le canot, sur lesquels embarquent 23 officiers et marins, sous prétexte d’aller chercher du secours. Parmi ces marins, il y a son fils Henry Louis, âgé de vingt ans. Pour ne pas créer de panique, le capitaine Boulainvilliers resta à bord. Une demi-heure plus tard, sous les yeux de ce groupe d’hommes, « le Bourbon » sombre avec le reste de l’équipage, dont nos trois marins Valeriquais, à dix lieues du cap Finistère.

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(Ouessant)

Le 18 avril, le marquis d’Antin arrive à Brest. Il meurt d’épuisement le 24 avril, âgé de seulement 32 ans, à la paroisse Saint Louis, à Brest. Le lieutenant Jacques de Roquefeuil, promu en mai, le remplace à la tête de l’escadre de Brest.

Quarante ans après le naufrage, le comte d’Estaing, écrit une note inspirée par le témoignage de Louis Henry de Boulainvilliers de Croy devenu entre-temps capitaine sur « le Languedoc », un des vaisseaux de son escadre en Amérique.

« La conduite de son père qui s’immola sur « le Bourbon », qui ne voulu point abandonner ce vaisseau coulant sous ses pieds, qui nomma froidement ceux qu’il arrachait à la mort certaine en les faisant embarquer dans le canot ou la chaloupe où il ne voulu point entrer, parce que son devoir de capitaine l’en empêchait, et parce que, s’il eût abandonné son vaisseau, la foule qu’il n’aurait pu contenir aurait submergé les deux embarcations ».

Concernant nos trois marins, j’ai pu retrouver la trace de Nicolas Plé. Fils de Nicolas Plé, boulanger, et d’Elizabeth le Breton, il naît le 27 mai 1708, à Saint Valery en Caux. Il se marie le 7 juillet 1739, avec Marguerite Alexandre de Montgrime, fille de Gédéon, bourgeois, laboureur, et d’Angélique Rigoult. Cette famille Alexandre de Montgrime a été anoblie en 1638. Nicolas est marinier. Le couple n’eût pas d’enfants, car je pense que son époux était déjà parti en mer pour une longue période. Quelques mois après le décès de celui-ci, elle se marie en secondes noces, le 3 décembre 1742, au même lieu, avec Jean Baptiste Auger, capitaine de navire. Malheureusement, âgée seulement de 28 ans, elle décède le 11 septembre 1743, quelques jours après la naissance de son fils Jean Baptiste.

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Quant à François Rigoult, il est né le 22 octobre 1713, à Saint Valery en Caux. Il est le fils de Philippe et de Marie Basire, mariés en 1699, qui eurent quatorze enfants. C’est une famille de Bourgeois, dont les ancêtres furent procureur du Roi en l’administration de Saint Valery en Caux et avocat au parlement.

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Concernant Adrien Bachelet, deux naissances pourraient correspondre sur la paroisse de Saint Valery en Caux en 1700 et 1720. Difficile de savoir lequel des deux correspond à notre marin, étant donné qu’on n’a même pas son âge approximatif au moment du décès. Plusieurs familles « Bachelet » sont originaires de ce lieu depuis le XVII ème siècle.

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F.Renout
(Administrateur cgpcsm)
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Sources :
Archives nationales de France, marine G24, liste des vaisseaux du Roi au 1 janvier 1723.
Archives départementales de Seine Maritime
wikimonde (guerre de l’oreille de Jenkins)
Hubert Granier (Marins de France au combat)
Revue marine et coloniale/ Ministère de la marine et des colonies.


Documents joints

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