« L’homme qui passe » Alphonse Jacques Delastre

samedi 13 août 2022
par  Francis RENOUT
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Alphonse Jacques Delastre naît le 16 mars 1824, au domicile de ses parents, rue de Martinville, à Rouen. Ses parents Louis Romain et Reine Sophie Daniel se sont mariés en cette ville, le 8 septembre 1808. Ceux-ci sont journaliers comme l’étaient leurs parents respectifs.

On ne connaît rien de la vie d’Alphonse Jacques pendant ses quarante premières années, sauf qu’il était rémouleur comme on le verra mentionné plus tard sur différents actes. Appelé « gagne petit » ou « gagne misère », celui-ci se déplace avec sa petite charrette, sur laquelle est fixée une meule en grès. S’arrêtant à chaque coin de rue, il aiguise tous les ustensiles tranchants que leur confient les éventuels clients. En ce XIX ème siècle, leurs cris et le crissement de leur meule sur le métal, faisaient partie des bruits typiques des grandes villes.

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(Félix Benoist-Rouen vers 1850)

Au gré de son travail de marchand ambulant, qui l’amène de village en village, Alphonse Jacques se retrouve dans le département voisin du Calvados. Il demeure à Touques. C’est là qu’il rencontra celle qui deviendra son épouse. Il se marie le 17 mars 1851, en cette ville, avec Anne Justine Leboucher, originaire du même lieu, située à l’embouchure de la vallée de la Touque, qui se jette dans la Manche toute proche. Quelques jours auparavant, un contrat de mariage est établi par maître Lacaille en date du 6 mars. Anne Justine, née le 26 mars 1831, sans profession, habite avec sa mère veuve depuis 1839.

En 1867, le couple est domiciliée à Bonneville sur Touques, village de 450 habitants, où se trouvent les ruines de l’ancien château fort de Guillaume le Conquérant, qui avait pour fonction de commander la basse vallée de la Touques et le port d’embarquement pour l’Angleterre.

Au cours de l’année 1867, Alphonse Jacques, âgé de 45 ans et Anne Justine, âgée de 36 ans, sont condamnés pour vols et complicité de vols, par le tribunal correctionnel de Pont l’Evêque, le 15 juillet. Ils écopent respectivement de six mois de prison pour lui et cinquante francs d’amende pour outrage public, et cinq mois pour elle (journal de Honfleur du 15 juin, 20 juillet et 26 octobre 1867).

De caractère violent, Alphonse Jacques devient de plus en plus enclin à la paresse et à l’ivrognerie. Il sera condamné quatre fois par le tribunal correctionnel : une fois pour vol et trois fois pour outrages. Les mauvais traitements envers son épouse deviennent chaque jour plus fréquents et plus graves. Plusieurs fois, elle dut quitter le domicile conjugal. A plusieurs reprises, il la frappait à coups de tranchet et la menaçait de la tuer. Vers la fin du mois d’avril 1871, par crainte de ses menaces, elle décide de se retirer définitivement chez sa mère, à Touques. Depuis son départ, on remarquait chaque jour, qu’Alphonse Jacques rôdait sur le chemin emprunté par son épouse, pour revenir le soir après sa journée de travail. Par peur, Anne Justine se faisait accompagner.

Le 25 mai 1871, après avoir fait sa journée de travail chez les époux Ducommun, à Touques, elle partit vers 20h, pour retourner chez sa mère. Avant d’arriver sur la grande route, elle doit parcourir un chemin qui longe le cimetière. Elle se trouva nez à nez avec son mari. Il lui demanda de revenir vivre avec lui ; ce qu’elle refusa. Suite à cette réponse négative, il lui plongea son couteau dans le ventre et s’éloigna. Elle fit quelques pas et tomba sur la route où elle fut aidée par quelques personnes de passage. Malgré l’intervention du médecin, elle décède suite à l’hémorragie, le matin du 27 mai. Son mari fut arrêté quelques temps plus tard et avoua son crime.

Plus tard, le 14 août 1871, il est accusé d’’assassinat sur son épouse par le tribunal de Bayeux et condamné aux travaux forcés (matricule 4664).

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(condamnation du 14 août 1871)

Le 19 avril 1873, Alphonse Jacques embarque sur le navire « la Loire », pour le bagne, dans la colonie pénitentiaire de la Nouvelle Calédonie. Le navire part de Toulon, sous les ordres du réputé très cruel capitaine Jacques Lapierre. Essuyant un très mauvais temps pendant la traversée, « la Loire » arrive à Nouméa, le 23 juillet 1873, après un voyage de trois mois.

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(Navire la Loire)

Histoire du navire « la Loire » :

http://www.bernard-guinard.com/arcticles%20divers/Convois%20de%20deportes/Loire/la_Loire.html

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(navire la loire)

Les convois de déportés vers la Nouvelle Calédonie :

https://www.bernard-guinard.com/arcticles%20divers/Convois%20de%20deportes/Convois_de_deportes.html

L’île Nou, ancienne propriété d’un négociant et aventurier britannique, James Paddon, devient un centre pénitentiaire de 1864 à 1924. De nombreux prisonniers de métropole y furent déportés. Cette île, devenue une presqu’île artificielle et rebaptisée Nouville après la construction d’un pont, est maintenant un quartier de Nouméa. Le 6 mai 2021, un site historique concernant l’histoire du bagne y a été inauguré.

Nouméa : l’île Nou :

http://www.clocherobecourt.com/Robecourt/NC/NoumeaIleNou.php

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(l’île de Nou)

Alphonse Jacques décède le 1 mai 1901, sur l’ île Nou, en Nouvelle Calédonie, après 28 ans de travaux forcés. La déclaration de décès ayant été faite par l’officier d’administration Antonin Roucairol, suite aux dires des surveillants Pierre Fourquier et Jean Crabos. Sur l’acte, il est mentionné rémouleur.

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(Habillement du forçat)

Pourquoi ce titre ? Peut-être avez-vous trouvé ? En Normandie, le rémouleur était appeler « l’homme qui passe » par les anglais. Le rémouleur était aussi nommé repasseur ; de là à y voir un lien !

F.Renout
(Administrateur cgpcsm)

Sources :
Journal de Honfleur (articles du 15 juin, 20 juillet, 22 août et 26 octobre1867)
Archives du calvados (acte de mariage N°1 vue 386)
Archives de nouvelle Calédonie et dépendances (acte de décès N° 53 vue 39)


Documents joints

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