« Lucipain »

jeudi 27 janvier 2022
par  Francis RENOUT
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« Lucipain », « Lucipin » ou bien « Lussipain » ! Que représente pour vous ce terme ou ce mot écrit de façon différente ? A première vue, certainement rien ! Si vous faites une recherche sur un moteur de recherche, on vous répond qu’il n’y a aucun résultat pertinent associé à cette recherche.

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C’est par hasard, au détour d’une recherche généalogique, que je retrouve ce terme apposé sur un acte de baptême, à la fin du XVIII ème siècle, à Saint Ouen du Breuil, dans le Pays de Caux. Celui-ci m’interpelle ! Je pensais avoir mal lu ! Nous sommes le lundi 13 octobre 1788. Au village, le prêtre du lieu nommé Tourneroche baptise le fils de Louis Andrieu, marchand de lard, et de Marie Anne Quesnel, sur les fonds baptismaux de l’église Saint Ouen, construite au XIII ème siècle. Il reçoit les prénoms de Louis Lucipain par Pierre Thomas, son parrain, et par Anne Marguerite Gustin, sa marraine, tous deux originaires du même village. D’où provient ce prénom insolite ou peut-être ce surnom étrange ? A t-il été mal compris par le prêtre ou mal transcrit sur les registres par le clerc ? En tout cas, celui-ci ne passe pas inaperçu !

La curiosité me poussa à faire quelques recherches ! Tout d’abord, concernant la famille Andrieu. Celle-ci est originaire de Saint Ouen du Breuil depuis la fin du XVII ème siècle et certainement bien avant. Les premiers représentants de ce patronyme, Guillaume Andrieu, époux d’Anne Michel, dont le mariage a été célébré le 8 juillet 1697, sont passementiers. Ils fabriquaient donc des passements. Ce terme désigne des pièces d’étoffes étroites utilisées pour l’ornementation des vêtements ou du mobilier, telles que les cordons, dentelle, frange, liseré ou ruban.

Histoire de Paris : les passementiers et boutonniers :

https://www.histoires-de-paris.fr/passementiers-boutonniers/

Au cours du XVIII ème siècle, les membres de la famille Andrieu travaillent presque tous dans les métiers du textile en tant que passementiers, tisserands, toiliers ou marchand de coton.

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Louis Andrieu, né en 1735, père de Louis Lucipin se marie en premières noces, le 16 novembre 1761, avec Catherine David, à Saint Ouen du Breuil. Le couple a six enfants entre les années 1762 à 1775. Malheureusement, Catherine décède le 10 avril 1783. Louis attendra plus de quatre ans avant de se marier de nouveau, le 8 août 1788, dans son village natal, avec Marie Anne Quesnel. Louis est alors âgé de 53 ans. Par contre, sa nouvelle épouse est âgée de 22 ans. Trente ans les séparent. Pour se placer dans le contexte familial, Marie Anne a le même âge que le 3 ème fils de Louis !

Louis est tisserand en 1762, marchand de lard entre 1788 et 1790, puis journalier entre 1794 et 1802. Au cours des divers événements de sa vie, rien ne nous met sur la piste éventuelle d’un surnom qui lui aurait été donné. Il décède à son domicile, au hameau de la folie, à Saint Ouen du Breuil, le 11 avril 1807, âgé de 71 ans.

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De son second mariage, le couple aura neuf enfants, dont Louis Lucipin, fils aîné, qui naît dix mois plus tard. Mais, parmi ces nombreuses naissances, un deuxième prénom m’interpelle. Il s’agit de Jacques Rock ! Avant-dernier fils du couple, celui-ci est né le 18 août 1800, à Saint Ouen du Breuil. Ce prénom Rock est encore une énigme ! Apparemment, ce serait un prénom ancien, assez rare. Je dirais même très rare, car personnellement, je n’en ai jamais entendu parler ! La première personne répertoriée, portant ce prénom, date de 1913. Auparavant, celui-ci fut porté par un pirate hollandais, né le 27 février 1630, aux Pays Bas,, nommé Rock de Braziliaan.

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Louis Lucipin dont on retrouve le prénom sur des actes de naissance ou de mariage de ses enfants, se marie trois fois au cours de sa vie, en 1807, 1850 et 1857. De son premier mariage le 4 août 1807, avec Marie Catherine Théodiste Biville, originaire d’Auppegard, il aura deux enfants. Un fils naît le 19 mars 1810 à Butot. Je vous laisse deviner le prénom ! Il se nomme : Isidore Auguste Lucipain.

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Poussé par la curiosité, je fais des recherches sur Isidore Auguste Lucipain. Celui-ci est journalier. Il se marie le 30 juin 1833, à Beautot, avec Marie Zoé Queval. Le couple a onze enfants entre 1833 et 1850. Parmi eux, on note ce prénom : Auguste Zéphirin.

Nous sommes au XIX ème siècle. On peut penser que les registres d’état civil sont tenus plus rigoureusement que les registres paroissiaux de l’ancien régime. Ceci pour vous dire que peut-être, on pourrait en déduire que Zéphirin et Lucipin serait un seul et même prénom. Mais, cela n’engage que moi. Dans nos villages cauchois du XVIII ème siècle, on parlait le patois « eul pâlé paquant ».

Intrigué par ses deux prénoms, je continue mes recherches sur cette famille Andrieu ! Celle-ci ne fut pas vaine, car au bout d’un moment, je retrouve un cousin de Louis : Adrien. Celui-ci, marchand de coton, est l’époux d’Anne Rose Deperrois. Leur mariage fut célébré le 1 février 1768, à l’église Saint Ouen. Des enfants naissent au cours des années. Parmi eux, baptisés en 1783 et 1785, on note les prénoms suivants : Jean Rabony et Guillaume Bénoni. Quel est l’étymologie de ces deux prénoms ?

Rabony (Rabboni) est un prénom rare et peu populaire. Quel est son origine ? Quand à Bénoni, celui-ci n’est pas dans le calendrier de l’église. Prénom ancien et rare, encore en usage dans le Pays de Caux, il signifie en hébreu « le fils de ma douleur ». Il fut mis jadis à la mode par la légende de Genevièvre de Brabant : Bénoni était son fils.

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Après une analyse des prénoms concernant le village de Saint Ouen du Breuil, sur la période de 1670 à 1800, on s’aperçoit que quelques familles ont donné des prénoms peu utilisés à l’époque comme : Évariste, Esprit, Sénator, Plaisance, Zéphirin et ce, entre 1778 et 1798.

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Sous l’ancien régime, le choix des prénoms est restreint car c’est l’église qui tient les registres de baptêmes. Les parents ne peuvent pas choisir n’importe quel prénom. Ils doivent se référer à des normes liées à la religion chrétienne. D’autre part, on utilise souvent le nom de baptême de la marraine pour la filleule ou celui du parrain pour le filleul, voire celui des grand-parents. Cette tradition sera conservée jusqu’au XX ème siècle. Pour les familles, c’était une manière de montrer son attachement aux générations précédentes, à la lignée familiale, mais aussi à sa région. Cependant, la possibilité d’avoirs plusieurs prénoms de baptême limite cette monotonie.

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Concernant « Lucipain », prénom inhabituel et original, il est difficile d’en retrouver l’origine et le sens. Autrefois, suivant le Petit Robert, un surnom ou prénom usuel pouvait être ajouté au prénom de baptême pour distinguer le nouveau né par un caractère particulier. En général, le prénom usuel est donné à une personne dans la vie courante. Est ce que Louis Andrieu a voulu le transmettre à son fils ? Pour déterminer un prénom usuel trop lointain, il y a les inventaires de successions ou autres documents notariés, où certains notaires se dispensent de reporter tous les prénoms, pour ne retenir que l’usuel.

Orthographié sous la forme « Lucipin », on trouve un moine né au IV ème siècle dans le haut Bugey, dans l’Ain. Eloigné de quelques centaines de km du Pays de Caux, je doute que les parents de Louis Lucipain eurent connaissance de ce moine et attribuèrent ce prénom à leur fils ! D’autre part, Saint Lucipin fut aussi un village du Jura.

Après l’ancien régime et à la naissance de l’état civil, de nouveaux prénoms apparaissent encore, tout aussi étranges, mais ceux-ci sont plus difficiles à tracer, puisqu’ils sortent de l’imagination des parents, désireux de se départir de l’influence religieuse ou de suivre une mode particulière.

Généalogie insolite de Louis Richer :

https://www.sgq.qc.ca/images/_SGQ/R_LAncetre_plus_libre/G-I-PRENOMS-INSOLITES.pdf

Les prénoms participent de l’identité de la famille.Ils sont réactivés à chaque génération pour mieux mettre en scène la cohérence de ce groupe lignager. Il s’agit d’affirmer que les individus s’inscrivent dans une continuité qui les dépasse, et la réutilisation du prénom dit la survie du groupe familial.

Nos prénoms ne nous disent plus ça ou alors rarement. Nous ne portons plus les prénoms de nos ancêtres ou peut-être en deuxième prénom. Cette évolution est le symbole d’une société dans lequel le lien aux générations passées est souvent plus ténu, voire coupé.

De nos jours, concernant « Lucipain », ce prénom pour le moins pittoresque est tombé dans l’oubli. Qu’ils nous émerveillent ou qu’ils nous consternent, certains choix de prénoms nous font encore réagir. Si aujourd’hui ce choix est libre, nos ancêtres avaient moins de liberté. Pourtant, certains parents se démarquaient déjà par leur originalité.

F.Renout
(Administrateur cgpcsm)
R.

Sources :
Registres paroissiaux de Saint Ouen du Breuil
Recherches personnelles sur les familles
Florian Besson (le top des prénoms au moyen-âge)


Documents joints

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Portfolio

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